PREVENTION DU CANCER DU COL UTERIN PAR
LA VACCINATION ANTI-HUMAN PAPILLOMAVIRUS
Le cancer est une cause majeure de décès dans le monde, à l’origine de 7,6 millions de décès en 2008, soit environ 13% de la mortalité mondiale [85]. Selon ARBYN M, CASTELLSAGUE et al, le cancer du col serait le troisième cancer le plus fréquent chez les femmes dans le monde entier après le cancer du sein et colorectal, avec 530 000 nouveaux cas de cancer et 275 000 décès dus à cette maladie chaque année [4]. En effet, le cancer constitue un fardeau de santé publique en termes de morbidité et de mortalité aussi bien dans les pays en développement que dans les pays industrialisés. Selon les données de l’OMS, le cancer est actuellement considéré comme l’un des principaux problèmes de santé publique surtout dans les pays en voie de développement qui ne disposent que de 5% de ressources nécessaires pour la lutte anticancéreuse. Source de profondes souffrances individuelles, la mortalité imputable à cette maladie reste aussi le triste témoin de l’inégalité qui règne toujours entre les sexes dans le domaine de la santé. La perte de mères, de grands-mères, et d’autres membres de la famille, essentielles en ce qu’elles s’occupent des enfants, rapportent un salaire et travaillent dans leurs communautés, est aussi la cause de graves difficultés économiques. Les plus hauts taux d’incidence et de mortalité sont observés en Afrique subsaharienne, en Amérique latine et Caraïbes, et en Asie du Sud et du Sud-Est [62, 54]. En Afrique subsaharienne, 72 000 nouveaux cas ont été enregistrés en 20008 et 56 000 femmes sont mortes des suites du cancer du col de l’utérus. Dans cette région du monde, le cancer du col de l’utérus est le cancer le plus fréquemment retrouvé chez les femmes avec une incidence de 24,4% pour 100.000 et un taux de mortalité de 22,9%. Par exemple, entre 1981 et 1990 les données des registres hospitaliers de Nairobi faisaient apparaître que le cancer du col de l’utérus représentait 70 à 80 % de l’ensemble des cancers des voies génitales et 8 à 20 % de tous les cancers [59]. 3 Au Sénégal, 3,2 millions de femmes âgées de 15 ans et plus sont à risque de développer un cancer du col utérin. Selon une évaluation récente, 1197 femmes sénégalaises sont diagnostiqués avec le cancer du col chaque année, et 795 de ces cas sont mortels. Le taux d’incidence standardisé de cancer du col utérin a été récemment estimé à 34,7 pour 100 000 femmes-années au Sénégal [50]. La situation dramatique dans ces pays est principalement attribuable à l’absence de dépistage efficace, de diagnostic et des services de prévention tant primaire que secondaire. Le facteur majeur de risque du cancer du col de l’utérus est l’infection par le virus du papillome humain (VPH). L’infection virale au Papillomavirus Humain (HPV pour « Human PapillomaVirus ») est la plus commune des infections du tractus uro-génital, survenant le plus fréquemment chez les adolescentes et les jeunes femmes après les premiers rapports sexuels. Les types de Papillomavirus humain à haut risque (HR-HPV) sont des agents responsables du cancer du col et d’autres cancers génitaux et de l’oropharynx [85]. Les Types HR-HPV 16 et 18 contribuent à plus de 70% de tous les cas de cancer du col utérin dans le monde entier [81]. Basés sur des données épidémiologiques et biologiques disponibles, 12 types muqueux de HPV, c’est-à-types HPV 16, 18, 31, 33, 35, 39, 45, 51, 52, 56, 58, et 59, ont été classés comme cancérogènes pour l’homme (CIRC groupe 1) ou HR-HPV types, tandis que les types de HPV 26, 53, 66, 67, 68, 70, 73, et 82 ont été classés comme des types à haut risque (PHR)-HPV possibles ou probables (CIRC groupes 2A et 2BQ2) [7]. La prévalence de l’infection par le HPV et la distribution des différents types HR-HPV varient d’une région géographique à l’autre et dans la même région [45]. En Afrique, la prévalence de l’infection à HPV atteint 21,3 % avec des variations notables en fonction des régions : 33,6 % en Afrique de l’Est, 21,5 % en Afrique de l’Ouest et 21 % en Afrique australe. 4 Dans une étude publiée récemment au Sénégal, sur un total de 943 échantillons cervicaux prélevés dans quatre régions du Sénégal (Dakar, Thiès, Saint- Louis, Louga et), 936 échantillons (99,2 %) étaient globine-bêta positifs et ont été retenus pour l’étude. L’étude a montré que dans la région de Dakar la prévalence des types HPV était de 17,4 %, alors que la prévalence des types pHR – VPH était de 7,4 %. Le type le plus répandu parmi la population testée des femmes dans la région de Dakar était HPV 52 (3,2%), suivie par le VPH 31 (3,0%) et HPV 16, 45, et 53 (toutes avec une prévalence identique de 2,8% ). Chez les femmes sénégalaises, la prévalence du VPH 16/18 était de 8,9 % chez les femmes de moins de 25 ans et est tombé à 1,6% chez les femmes âgées de 30-34 ans avant de remonter à 9,0 % chez les femmes âgées de 65 ans ou plus [17]. La prévention primaire du cancer du col utérin repose essentiellement sur des modes de vie sains et sur la vaccination contre le VPH. Deux vaccins prophylactiques, – le vaccin Gardasil quadrivalent (types 6, 11, 16, 18) de Merck et – le vaccin bivalent Cervarix (types de HPV 16, 18) de GlaxoSmithKline, offrent une protection quasi complète contre les lésions précancéreuses du col utérin et les anomalies ano-génitales associées au type d’infections [16]. La disponibilité de ces vaccins a soulevé beaucoup d’espoir pour la prévention des lésions précancéreuses et du cancer du col utérin par la suite, en particulier dans les pays en développement. En outre, l’efficacité du vaccin dans une région donnée dépend de la distribution des types de VPH spécifiques qui prédominent dans cette région [9, 10]. Cependant, nombre de ces pays ne peuvent se permettre ce programme de vaccination en raison du coût élevé du vaccin [85]. Dans certaines communautés, l’ignorance et le manque d’information concernant la maladie sont également des obstacles à la prévention. Peu de données sont disponibles sur l’acceptabilité du vaccin, la préparation des 5 systèmes de santé et le bénéfice coût – efficacité et l’impact à long terme de cette vaccination [40]. Cette étude avait pour objectifs de : – Evaluer le niveau de connaissances et pratiques (acceptabilité) de la vaccination anti HPV dans la prévention du cancer du col utérin. – Proposer des stratégies pour l’acceptabilité et la diffusion du vaccin anti HPV au Sénégal en particulier et en Afrique subsaharienne (ASS) en général. Hormis l’introduction et la conclusion, ce travail comprend deux parties : o Partie I : qui traite de l’analyse situationnelle o Partie II : qui traite de la méthodologie, la présentation des résultats et la discussion.
CANCER DU COL ET PAPILLOMA-VIRUS HUMAIN
Vers le début des années 1980, le professeur zur Hausen et ses collègues ont identifié l’association entre certains papillomavirus humains et le cancer du col de l’utérus : les HPV en sont aujourd’hui reconnus comme la cause de pratiquement tous les cancers du col [6]. L’infection à HPV, de nature sexuellement transmissible, doit être présente pour que le cancer se développe, mais d’autres facteurs accroissent le risque de progression cancéreuse [18, 47,49]. Ces cofacteurs incluent les premiers rapports sexuels à un âge précoce, les grossesses nombreuses, la multiplicité des partenaires sexuels, le tabagisme, la contraception hormonale à long terme, et l’infection à VIH. De toute évidence, l’absence de dépistage et traitement des lésions précancéreuses accroît aussi le risque de progression cancéreuse de l’infection
L’INFECTION A HPV DANS LE MONDE
Les papillomavirus sont des virus à ADN à localisation tissulaire spécifique aisément transmissibles et très répandus. L’infection à HPV, la plus courante des infections sexuellement transmissibles, affecterait selon les estimations quelque 630 millions de personnes dans le monde [72]. 8 Aux États-Unis, environ 40 pour cent des jeunes femmes contractent l’infection durant les trois premières années de leur activité sexuelle. À l’échelle mondiale, 50 à 80 pour cent des femmes sexuellement actives contractent une infection à HPV au moins une fois dans leur vie [34, 14]. Heureusement, les infections à HPV sont, en grande majorité, transitoires : elles se résolvent sous l’effet de la réponse immunitaire naturelle et deviennent indétectables au bout de 6 à 18 mois [45]. Si l’infection persiste toutefois, elle peut être la cause du développement de cellules précancéreuses aptes, à plus long terme, à devenir cancéreuses. Administrée avant l’exposition aux virus, la vaccination anti-HPV peut prévenir l’infection causée par les types ciblés. Aussi est-elle recommandée aux jeunes adolescentes non encore sexuellement actives.
TYPES DE HPV ONCOGENES
Les HPV forment une grande famille de virus, dont plus de 300 génotypes sont connus. Certains affectent l’appareil génital. Parmi ceux-ci, certains présentent un haut potentiel d’évolution vers le cancer (les types oncogènes), alors que d’autres ne causent que des affections bénignes. • Les types oncogènes causent différents cancers ano-génitaux et autres, dont notamment le cancer buccal. • Les génotypes HPV non oncogènes sont à l’origine des verrues génitales, de cytologies cervicales anormales, de papillomatose respiratoire récidivante, ou d’infections asymptomatiques qui se résolvent d’elles mêmes [72]. • Les types HPV 16 et 18, oncogènes, sont associés à environ 70 pour cent des cas de cancer du col utérin [12]. Au moins 11 autres génotypes sont cancérogènes, mais à moindre fréquence. Parmi ces derniers, HPV 45 et 31 représentent environ 4 pour cent chacun des cas de cancers du col. 9 Le cancer du col commence par une infection des cellules de surface du col utérin par un virus HPV de type oncogène. Comme indiqué plus haut, la plupart des infections à HPV se résolvent spontanément, mais un faible pourcentage de femmes contaminées par les types oncogènes développe une infection persistante, susceptible de donner lieu à des changements précancéreux (lésions ou dysplasies) [70]. Ni les infections de courte durée, ni celles persistantes ne présentent de symptômes. Les femmes doivent par conséquent se soumettre à un dépistage régulier pour déterminer si une infection persistante s’est produite ou si des lésions sont apparues. Certaines lésions se résolvent spontanément, tandis que d’autres évoluent vers le cancer invasif du col utérin (Figure 2) [84]. La progression de l’infection au pré cancer puis au cancer est lente de sorte que le cancer est le plus souvent diagnostiqué chez les femmes de 40 ou 50 ans. Étant donné cette longue période évolutive, les occasions ne manquent pas d’identifier et de traiter les premiers stades de la maladie au niveau de l’infection HPV ou des lésions précancéreuses. Si les lésions sont traitées tôt, les taux de guérison sont extrêmement élevés et il n’y a généralement pas d’évolution cancéreuse.
PREVENTION DU CANCER DU COL
Deux méthodes de prévention, primaire et secondaire, permettent aux femmes de réduire leur risque de cancer du col utérin. La prévention primaire consiste à éviter l’infection initiale par les types d’HPV oncogènes. L’approche est possible, pour les deux virus responsables de la plupart des cancers du col, par vaccination anti-HPV avant le début de l’activité sexuelle. Si l’infection est déjà présente, la prévention secondaire par dépistage et traitement des lésions précancéreuses peut empêcher le développement du cancer du col. L’abstinence ou la monogamie mutuelle peuvent aussi prévenir l’infection à HPV. Il ne s’agit cependant pas d’options réalistes pour beaucoup de femmes.
VACCINS ANTI-HPV
En 2006, l’US Food and Drug Administration (FDA) approuvait le premier vaccin anti-HPV : Gardasil®, des laboratoires Merck & Co., Inc. Depuis lors, Gardasil et le vaccin Cervarix® de GlaxoSmithKline, d’abord homologué en Australie et en Union européenne en 2007, ont été autorisés dans plus de 100 pays du monde. Les deux vaccins sont constitués de particules pseudovirales sans ADN, ainsi que d’adjuvants pour la stimulation du système immunitaire. Ils ne peuvent pas causer d’infection à HPV. Gardasil23 et Cervarix24 protègent tous deux contre les génotypes HPV oncogènes les plus courants, HPV 16 et 18. Gardasil protège aussi contre les génotypes 6 et 11, responsables d’environ 90 pour cent des verrues génitales. Les deux vaccins s’administrent en une série de trois injections intramusculaires de 0,5 ml sur une période de six mois, selon des schémas légèrement différents.
Efficacité des vaccins anti-HPV
Les vaccins anti-HPV préviennent l’infection et les lésions précancéreuses Les essais cliniques des deux vaccins anti-HPV ont retenu comme critère d’évaluation principal les lésions cervicales (généralement de haut grade, telles que les néoplasies intra-épithéliales cervicales de grade 2 CIN2+) : ils ont comparé le nombre de cas de lésions précancéreuses dans les groupes vaccinés et témoins afin de déterminer l’efficacité des vaccins à prévenir les lésions aptes à évoluer vers le cancer [26]. L’évolution cancéreuse peut prendre plusieurs dizaines d’années : il n’aurait dès lors pas été réaliste d’attendre, au niveau des essais, l’apparition de cas de cancer et, plus important encore, il aurait été contraire à l’éthique de laisser les patientes progresser vers le cancer si des lésions avaient été détectées. L’Organisation mondiale de la Santé, de concert avec d’autres organismes scientifiques, a reconnu dans le critère d’évaluation CIN2+ un choix logique et éthique pour l’évaluation de l’efficacité vaccinale, convenant du reste que la prévention des CIN2+ est probablement un bon signe de prévention ultime du cancer. Il faudra plus de temps pour constater l’effet sur les cas de cancer effectifs du col [81]. L’efficacité de la prévention des lésions précancéreuses causées par le HPV 16 ou 18 est fort élevée pour les deux vaccins : elle atteint plus de 92 % parmi les femmes non infectées précédemment par ces types de virus [5]. On remarquera ici que cette efficacité s’applique à 70 pour cent des cancers causés par ces deux virus, pas à la totalité des cancers du col). Il est donc important de vacciner les jeunes adolescentes avant qu’elles deviennent sexuellement actives et risquent l’exposition aux virus. Durée de la protection vaccinale Les résultats des essais cliniques publiés font état d’une efficacité des vaccins anti-HPV à prévenir l’infection et les lésions de haut grade pendant une période 12 d’au moins cinq ans (Gardasil29) à plus de six ans (Cervarix30). Les résultats préliminaires d’un essai du composant HPV 16 du vaccin Gardasil indiquent une efficacité allant jusqu’à 8,5 ans [60]. Il s’agit là de la durée déclarée à ce jour, sur la base des données de suivi des principaux essais. Il est encourageant de voir que la protection ne semble pas diminuer au fil du temps. Les vaccins pourraient d’ailleurs s’avérer efficaces à beaucoup plus long terme encore, comme le révéleront les données cumulées [79]. Les résultats définitifs ne deviendront disponibles qu’après suivi à plus longue échéance des participantes aux essais cliniques. Des chercheurs finlandais ont entrepris le suivi de 22 000 jeunes femmes pendant au moins 15 ans pour répondre à cette question [36]. Protection limitée contre d’autres génotypes de HPV Gardasil et Cervarix semblent tous deux offrir une certaine protection contre les types d’HPV oncogènes non ciblés par les vaccins, notamment l’HPV 31, proche du type 16 (les vaccins anti-HPV actuels ciblent les types 16 et 18). Cervarix présente aussi une certaine efficacité contre le type 45 .
Co-administration de vaccins
Les adolescentes ont généralement moins de contacts avec les systèmes de soins de santé que leurs cadettes. Si les vaccins anti-HPV pouvaient être administrés en même temps que d’autres immunisations ou interventions de santé recommandées à l’adolescence, les programmes pourraient atteindre de plus hauts taux de couverture. Au moins trois études ont démontré l’innocuité de la co-administration du vaccin anti-HPV avec d’autres. Dans ces études, les chercheurs ont administré le vaccin anti-HPV en même temps que celui contre l’hépatite (deux études) ou que le DT polio-coqueluche.
Innocuité de la vaccination anti-HPV
L’innocuité des médicaments, y compris les vaccins, s’évalue de deux manières : au moyen des données des essais cliniques et à l’aide des rapports de pharmacovigilance obtenus du public une fois les médicaments homologués et introduits sur le marché. Les données de vastes essais cliniques randomisés sont généralement très fiables, parce que les rapports d’effets indésirables graves peuvent être examinés et vérifiés et qu’il existe de surcroît un groupe témoin de comparaison. Les effets indésirables graves mais extrêmement rares ne sont cependant pas toujours détectés avant l’administration de centaines de milliers de doses d’un vaccin. Aussi la pharmacovigilance joue-t-elle un rôle important dans le suivi d’innocuité de tous les médicaments, y compris les vaccins anti-HPV. En août 2009, plus de 50 millions de doses de Gardasil avaient été distribuées dans le monde (avec plus de 23 millions aux États-Unis dès décembre 2008 présentant jusque-là un très faible taux d’effets secondaires graves et sans décès confirmé associé à la vaccination. En Australie, en décembre 2009, 6 millions de doses de Gardasil avaient été distribuées, avec peu de rapports d’effets secondaires, en grande majorité légers. De septembre 2008 à septembre 2009, 1,4 million de doses de Cervarix ont été administrées au Royaume-Uni44 et environ 9 millions de doses dans le reste du monde, présentant également un faible taux d’effets secondaires graves et sans indication de décès associés à la vaccination [42, 77].
INTRODUCTION |