LES ASPECTS CLINIQUE, PSYCHOPATHOLOGIQUE ET THERAPEUTIQUE DES ETATS LIMITES
L’état limite encore appelé borderline en anglais renvoie à la notion de frontière.Le terme borderline est apparu pour la première fois dans la littérature médicale avec Hugues en 1884.Il a été utilisé pour désigner des cas de symptômes physiques survenant au cours d’affections psychiatriques.L’état mental de ces sujets oscillait toute leur vie entre la démence et la normalité [7;9].Par la suite, d’autres psychiatres ont isolés des tableaux cliniques qui ne rentraient ni dans le cadre des nevroses ni dans celui des psychoses.Ainsi, une multitude de termes a été utilisée pour décrire de tels états, engendrant un flou dans le concept.Il s’agissait de délires curables, de démence précoce, de schizophrénie latente, de schizonévrose, de schizophrénie ambulatoire, de la schizophrénie pseudo névrotique, d’états mixtes et transitionnels schizophréniques, de schizoses, de schizoïdies ou encore de personnalités narcissiques, psychopathiques, prépsychotiques.L’état limite a donc été pendant longtemps considéré comme une forme de schizophrénie.Eisenstein en 1949, va les rassembler sous le vocable «borderline» ou «état-limite» ou « personnalité limite».Les travaux des psychanalystes ont contribué à faire sortir l’état limite de la schizophrénie et ont permis d’avancer dans sa compréhension [3;7;24;41].Ainsi, Le concept d’état-limite a été conçu pour rendre compte de ces états frontières, qui n’étaient ni des psychoses, ni des nevroses. L’ambiguïté autour de ce concept demeure.En effet, pour certains auteurs l’état limite est une catégorie diagnostique et pour d’autres c’est une dimension .Selon Bergeret , l’état limite, à la différence de la psychose et de la nevrose, est une organisation pathologique de la personnalité et non une structure, car elle n’est ni stable ni fixe. C’est une pathologie fréquente. Sa prévalence est estimée à 2% au sein de la population générale et selon les études, elle varie de 15 à 50% en milieu psychiatrique, surtout en hospitalisation.Les femmes sont les plus touchées, soit deux à trois femmes pour un homme.Elle affecte aussi bien les adultes que les adolescents et pose un problème de santé publique . Dans notre contexte, les données sont encore inexistantes.Cependant, nous constatons que le diagnostic d’état limite est de plus en plus évoqué.Mais l’élaboration de ce diagnostic reste encore hésitante, du fait des connaissances encore insuffisantes tant sur le plan clinique que thérapeutique.C’est ainsi que nous nous proposé de mener cette étude. Nous nous sommes fixé comme objectif principal d’identifier les processus psychodynamiques permettant de comprendre ce diagnostic.Au préalable, nous mettrons en exergue les éléments cliniques sur lesquels repose le diagnostic d’état limite.Enfin, nous décrirons les aspects de la prise en charge.
Etiopathogénie et psychopathologie
Etiopathogénie
De nombreuses études proposent un modèle «bio-psycho-sociale» pour approcher l’étiopathogénie des états limites.Il s’agit des hypothèses génétiques, neurobiologiques et psycho-sociales. Sur le plan génétique, certains traits de la personnalité borderline semblent être «hérités» tels que l’impulsivité et l’instabilité thymique, ce qui fait le lien avec des anomalies sérotoninergiques.Chez les parents au premier degré, l’abus de substances toxiques et les personnalités se rattachant à l’ancienne psychopathie sont régulièrement retrouvés. Du point de vue neurobiologique, des recherches se focalisent sur le rôle de certaines aires corticales cérébrales, en particulier limbiques.Ces aires sont impliquées dans la dérégulation des émotions et des impulsions, mais aussi sur le rôle du système sérotoninergique dans le système nerveux central études [2;7;38].Une étude a été récemment menée sur les implications neurologiques et le réseau relationnel chez les états limites.Elle a montré à l’IRM cérébrale que les patients limites en comparaison aux sujets normaux présenteraient une hypoactivité dans les aires en miroir dans le système nerveux, avec augmentation pour des tâches devant encourager les liens ou rapports sociaux, de même qu’une hyperactivité des amygdales [27].Une autre étude récente [35] a comparé à l’IRM cérébrale les modifications structurales de la substance grise chez les patients bipolaires et les borderline.Elle a montré que chez les patients borderline, les anomalies de la substance grise intéressaient surtout la région fronto-limbique, tandis qu’elles étaient diffuses (en cortical et sous-cortical) chez les sujets bipolaires.La région fronto-limbique étant la zone du comportement et des émotions. En ce qui concerne les hypothèses psychosociales, de nombreuses études [2;7;32]mettent en évidence la fréquence des traumatismes précoces au cours du développement, qu’il s’agisse d’abus sexuels chez 50 à 70% des patients, de maltraitances, mais aussi de carence affective ou de négligence émotionnelle, ou encore de pertes ou de séparations précoces.L’influence de facteurs psychologiques liés à des dysfonctions familiales est avancée, avec notamment des antécédents de traumatismes sexuels retrouvés dans certaines études chez près d’un quart des patients.
Psychopathologie
Pour la plupart des auteurs, les traumatismes de la petite enfance sont responsables de ces états limites et auront pour conséquence des menaces contre l’intégrité narcissique [5;6;7;20].Les travaux de Kernberg et Bergeret ont contribué à une meilleure compréhension psychopathologique des états limites. Dans la conception structurale de Bergeret [6;28], il y’a un traumatisme désorganisateur précoce va bloquer le développement libidinal, normal jusqu’alors.Le moment du traumatisme se situe aux alentours de deux ans, c’est- à dire dans une zone après le stade anal I et avant le stade œdipien.A ce stade, le danger du morcellement dépassé, le Moi n’a pu néanmoins accéder à une relation d’objet génital, où les conflits névrotiques œdipiens se situent entre le ça et le Surmoi.Il va s’en suivre la phase de pseudo-latence, plus précoce et plus durable que la latence normale.C’est le «tronc commun aménagé» marqué d’une profonde immaturité avec un Moi lacunaire «vacuolaire ».Ce tronc commun, fait d’aménagements instables, sera maintenu par des mécanismes de défense primaires, et ce pendant des années ou toute la vie. A l’occasion d’un traumatisme désorganisateur tardif, ces mécanismes cèdent devenant trop faibles pour protéger le Moi du sujet, il va alors apparaitre la décompensation soit sur le mode psychotique ou névrotique ou dépressif ou encore des passages à l’acte.En dehors des crises aigues, il va se mettre en place d’autres aménagements de type caractériel et de type pervers, un peu plus stables que les précédents. Pour Kernberg [20;28], la personnalité limite est une organisation pathologique de la personnalité durable qui se situe entre la névrose et la psychose.La pathologie du Moi y est plus sévère que ce que l’on retrouve dans les névroses.L’organisation limite repose sur trois caractéristiques fondamentales que sont le degré d’intégration de l’identité, le niveau des mécanismes défensifs et la capacité à vivre l’épreuve de la réalité. Les mécanismes de défense mis en jeu chez le sujet borderline sont primitifs [7;10].Ils préservent le Moi des structures psychotiques dépassées ou des structures névrotiques non atteintes. Il s’agit du : clivage qui peut concerner le patient (Soi) ou l’Autre. Il protège le sujet borderline contre la diffusion de l’angoisse, lui évitant ainsi la confrontation à l’ambivalence et à la souffrance dépressive. l’identification introjective permet au sujet borderline d’identifier des attributs, des pensées, des qualités à l’autre et de les introjeter en lui, d’où la valorisation. l’identification projective permet au sujet d’expulser à l’extérieur de lui-même les mauvaises images de soi et d’objet, les empêchant ainsi de venir menacer les bonnes.Il les projette sur autrui, l’angoisse persecutive le contraignant alors à exercer un contrôle étroit de l’objet perçu comme dangereux et à en forcer encore l’idéalisation.Véritable cercle vicieux, ce mécanisme estompe les limites entre soi et l’objet, contribuant au syndrome d’identité diffuse. l’idéalisation primitive entraine une surestimation de soi ou de l’autre et refoule inconsciemment les sentiments hostiles par rapport à l’objet et à soi.Il consiste aussi à idéaliser les objets externes qui doivent apparaître comme parfaits et hors de portée de tout risque d’être détruits par l’agressivité du sujet ou des mauvais objets sur lesquels est projetée cette agressivité. l’omnipotence et dévalorisation : L’objet, paré de toutes les qualités grâce à l’idéalisation, va permettre des identifications omnipotentes au sujet, et va pouvoir apporter des gratifications narcissiques directes.Dès que ce dernier cesse d’apporter gratification et protection, il est dévalorisé et rejeté d’autant plus vite qu’il n’existe pas de véritable attachement. le déni, corollaire du clivage, permet de maintenir hors de la conscience une représentation contradictoire, incompatible avec l’état d’esprit dans lequel se trouve le patient à ce moment-là. La mise en acte, forme particulière de déni, est une opération mentale pouvant directement déboucher sur des conduites symptomatiques.Elle sert au patient borderline à se protéger en rejetant à l’extérieur de lui-même, avant toute mentalisation, la souffrance liée aux aléas de la relation d’objet, d’où les passages à l’acte.
Les aspects cliniques et diagnostiques
Les aspects cliniques
N’importe quel symptôme psychiatrique est susceptible de se rencontrer chez ce type de patients.Mais le fonctionnement limite leur donne une tonalité particulière. L’angoisse L’angoisse figure dans toutes les descriptions cliniques des états limites.Classiquement décrite comme permanente, flottante, allant du «mal de vivre chronique» à la grande crise aiguë avec son cortège de manifestations somatiques, sidération mentale et déréalisation. Plus que sur son intensité, les auteurs insistent sur la facilité avec laquelle elle envahit le patient sans réelle circonstance déclenchante, ainsi que sur son caractère diffus et incontrôlable. Les troubles thymiques concernent la dépression et la labilité thymique. La prévalence de la dépression chez les patients borderline est telle que certains auteurs, comme Bergeret, en font l’un des éléments central de leur organisation structurelle.C’est une dépression de type abandonnique.La dépression «limite» comporte plusieurs spécificités cliniques propres à cette organisation de la personnalité.C’est la rareté du ralentissement psychomoteur, la désadaptation grave du sujet à sa réalité externe et interne ou bien la qualité des affects qui renvoie à des sentiments de vide, des peurs d’abandon, plutôt qu’à une tristesse.La culpabilité y est remplacée par des sentiments de rage froide, de colère.La colère est plus souvent rapportée par le patient qu’observée par le clinicien. La labilité thymique a une tonalité dysphorique, le patient oscillant entre dépression et angoisse, entre angoisse et colère. les symptômes d’allure névrotique Ceux-ci se montrent fluctuants dans le temps, associés entre eux de façon variable.Les symptômes d’allure phobique sont fréquents ; les symptômes hypocondriaques sont plus rares ; les idées obsédantes et les rituels sont possibles. La caractéristique de ces symptômes réside dans la tonalité persecutive et les efforts de rationalisation.Les symptômes de conversion hystérique, sont remarquables par le contexte principalement agressif et manipulateur dans lequel ils surviennent. les troubles du comportement de type impulsif Ils témoignent d’une agressivité sans expression symbolique possible.Ce sont les passages à l’acte auto-agressifs.Il peut s’agir des conduites d’automutilation, des tentatives de suicide, des ivresses aiguës, des accès boulimiques, des accidents de la voie publique ou conduites à risque récurrentes.Ces passages à l’acte sont aussi hétéro-agressifs.Ce sont des accès de colère, des accès de violence. Ces troubles sont également à type d’alcoolisme, de toxicomanie et de tendances sexuelles polymorphes.Ces conduites sont fréquemment observées chez les patients borderline.D’autres troubles tels que les troubles du comportement alimentaire, les conduites de jeu pathologique et les achats compulsifs, sont possibles.
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