Réflexions autour d’une difficulté de prise en charge d’une adolescente
Introduction
Le commencement de l’adolescence à la puberté avec toutes ses manifestations somatiques et ses changements psychiques entraine des transformations relationnelles remarquables entre parents et enfants. Les parents sont inévitablement confrontés à leurs propres expériences pubertaires, à la façon dont ils ont essayé de résoudre leurs problèmes triangulaires, à leurs mouvements de séparation individualisant et à la métamorphose de leurs d’enfants [Burgin, 1987]. Selon Schonfelder [1987], un jeune aveugle lui aurait dit en parlant du vécu de la puberté : « la puberté est une porte dans un mur qui sépare l’enfant de l’âge adulte. Il faut qu’on y passe, là il fait sombre et on y reste peut-être coincé. J’abandonne beaucoup de choses derrière moi, mais j’aimerai emporter plein de choses. Puis se présente un vaste champ ouvert, j’espère y trouver ce que je cherche. J’espère aussi ne pas perdre la vue d’ensemble». L’OMS considère que l’adolescence est la période de croissance et de développement humain qui se situe entre l’enfance et l’âge adulte, entre les âges de 10 et 19 ans. Elle représente une période de transition critique dans la vie et se caractérise par un rythme important de croissance et de changements. Ces changements se voient surtout sur le plan corporel. Selon Jeammet [1995], c’est avec les premiers signes de la puberté que naissent les premiers sentiments d’étrangeté à l’égard du corps propre et que se font jour les premières interrogations sur les liens entre le sujet et son corps. En effet, avec la puberté, la nature nous donne un corps qui devient apte à réaliser les pulsions : agressivité, pulsions sexuelles ; il y a là quelque chose qui a un effet sur l’appareil psychique, effet dont la dimension inéluctable ne doit pas faire oublier le caractère potentiellement traumatique. Ceci est souvent plus frappant chez les filles que chez les garçons et va entrainer des expressions de cette crise un peu différente selon le sexe. [Jeammet, 1995] 3 Une étude faite au Sénégal Sarr [2001] dans le service de pédopsychiatrie de l’hôpital psychiatrique de Thiaroye montre une prédominance des filles dans les consultations des adolescents en pédopsychiatrie. Chez les adolescents, les troubles dysthymiques sont apparemment rares comparativement à l’adulte. Cette rareté serait due aux difficultés diagnostiques que revêtent les troubles dysthymiques durant l’adolescence [Sarr. et al, 2001]. Le trouble bipolaire de l’enfant et de l’adolescent (TBEA) est mal connu et sous-diagnostiqué. Ses manifestations cliniques, ses imbrications de comorbidité avec des manifestations psychopathologiques fréquentes en font la particularité [Macias et al, 2007]. Ainsi ce travail a été mené dans le but d’apprécier les aspects cliniques des troubles de l’humeur de l’adolescence et de faire une réflexion psychopathologique autour de ce cas. Il s’est déroulé au sein du service de Pédopsychiatrie du centre hospitalier psychiatrique de Thiaroye. 4 Première partie : revue de la littérature
Historique
Sur le plan historique, Esquirol avait référé en 1838 plusieurs cas d’accès maniaque chez des enfants d’âge scolaire, sans oublier que Kraepelin a décrit à son tour des accès dépressifs et maniaques chez des enfants et adolescents. Des tableaux hypomaniaques ont été décrits chez des enfants très jeunes, de l’ordre de quatre ans [Macias et al, 2007]. En Afrique le caractère critique de l’adolescence fait qu’un certain type de rites d’initiation étaient pratiqués à travers la mobilisation de toute la société pour accompagner l’enfant vers l’âge adulte. [Sylla et al, 2003] Des rites d’initiation permettaient en effet « au jeune africain de parfaire le processus qui faisait de lui un être social appartenant au groupe, au-delà de l’individu biologique uniquement issu de son père et de sa mère : l’initiation ne prolonge pas la famille ; elle la refoule, elle la tue, elle la supprime dans l’enfant même. »[Collomb, 1977] Aujourd’hui, la disparition progressive des rituels de passage et le modernisme ne semblent guère faciliter les choses aux adolescents, aux familles, mais aussi et aussi aux professionnels. Le constat a aussi était fait selon lequel les symptômes présentés par les adolescents peuvent être mis en rapport avec des traumatismes anciens, remontant à leur première enfance ou leur naissance. C’est l’entrée dans l’adolescence qui semble réveiller de vieux conflits mal ou pas résolus. [Thiam et al, 2014] 6 II. Adolescence et Oedipe Selon Nürnberg [1977] la puberté commence vers 14 ans. Au début de la maturité sexuelle, à une époque où les hormones de reproduction commencent à se former, toute l’évolution sexuelle de la première enfance est de nouveau parcourue en raccourci, et le complexe d’Oedipe est réactivé. La durée de la puberté varie avec les races, les conditions sociales et les particularités individuelles. Elle peut s’étendre sur un espace de temps soit très court, soit très long. Nous observons une puberté prolongée chez des individus qui s’adaptent difficilement à la réalité, par exemple chez certains dissociaux. Selon le couple Ortigues qui a étudié l’Œdipe en Afrique, à travers leur matériel d’étude il semble que la rivalité œdipienne se joue selon des voies sensiblement différentes de celles qui sont habituelles en Europe. En Afrique la rivalité parait tout d’abord être systématiquement déplacée sur les frères qui polarisent les pulsions agressives. L’agressivité s’exprime principalement sous la forme de réactions persécutives. Par ailleurs, dans la mesure où les pulsions agressives ne sont pas projetées, on peut constater qu’elles sont conscientes, mais réprimées, contrôlées non exprimées. Les fantasmes ou émois agressifs sont présents et se traduisent en une longue souffrance, sourde et secrète, écrasante, inavouable, qu’il convient de taire pour ses parents et aussi pour ne pas se montrer vulnérable. Bien souvent des somatisations apparaissent comme le moyen d’inhiber dans l’instant l’expression des fantasmes ou impulsions agressives.
Rappels cliniques des troubles de l’humeur chez l’adolescent
La dépression de l’adolescent
La dépression de l’adolescent ne doit pas être banalisée ou mise sur le compte d’une « crise de l’adolescence ». Il est important de la diagnostiquer et de la traiter. La dépression chez l’adolescent est souvent méconnue. Il est parfois difficile de faire la différence entre le normal et le pathologique, notamment avec ce que l’on appelle classiquement la « crise d’adolescence », qui fait partie des processus normaux du développement. On parlera de dépression ou de maladie dépressive lorsque l’adolescent présente des symptômes dépressifs caractérisés et prolongés, dont lui-même ou son entourage peuvent repérer le début. Une dépression à l’adolescence non repérée et non traitée peut être à l’origine de troubles surajoutés à type de troubles relationnels, de difficultés voire d’échecs scolaires, de difficultés à s’intégrer dans la société. Enfin, il existe un risque de passage à l’acte suicidaire, qui ne doit jamais être sousestimé. Le diagnostic peut être difficile, car l’adolescent dépressif ne présente pas uniquement les signes cliniques habituels de l’état dépressif majeur, mais peut aussi attirer l’attention au travers de troubles comportementaux ou relationnels, de difficultés scolaires, de passage à l’acte, de prise de toxiques… L’une des particularités de la dépression à l’adolescence est d’être souvent atypique, masquée ou précédée par ce que l’on appelle un syndrome de menace dépressive ou crise anxio-dépressive, qui peut comprendre des troubles anxieux, des troubles fonctionnels ou somatiques, des manifestations d’agitation ou de colère. Facteurs de vulnérabilité Lors de l’entretien, on sera particulièrement attentif aux éléments suivants, qui pourraient constituer des facteurs de vulnérabilité à la dépression chez l’adolescent : · Le sexe féminin, 8 Des antécédents personnels d’idées suicidaires ou de tentative de suicide, Des antécédents personnels de troubles de l’humeur (dépression ou manie) dans l’enfance, souvent ces antécédents n’ont pas été clairement identifiés comme un épisode de trouble de l’humeur, Une situation de deuil, de perte ou de séparation, dans l’enfance ou plus récemment Des antécédents de troubles dépressifs chez les parents. Motifs de consultation principaux qui doivent évoquer une dépression à l’adolescence : Signes d’anxiété : tension, inquiétude, fébrilité, peur d’être atteint d’une maladie grave (cancer, SIDA), palpitations, sensation d’oppression de boule dans la gorge, sueurs, vertiges pouvant aller jusqu’à la véritable crise d’angoisse ou l’état de panique. retrait. Troubles du comportement, le plus souvent relevés par la famille : irritabilité, impulsivité, agressivité, prises de risque et passages à l’acte (prise d’alcool, prise de toxiques, expériences à risque…). rupture brutale dans les résultats scolaires Signes fonctionnels ou somatiques divers : fatigue et manque d’entrain troubles du sommeil, diminution de l’appétit, douleurs diverses (céphalées, maux de ventre…). Expression d’idées suicidaires, voire une tentative de suicide. Signes d’examen Au cours de l’examen et des entretiens avec l’adolescent, mais aussi auprès de l’entourage, on recherchera les signes suivants, dont la caractéristique principale est de marquer un changement par rapport à l’état antérieur : La tristesse : l’adolescent a un faciès triste, il exprime un sentiment de « Cafard», des idées noires, il pleure facilement. L’irritabilité : il est de « mauvaise humeur », s’agace facilement, peut se montrer agressif. La diminution de l’intérêt et du plaisir : elle se traduit par un sentiment d’ennui, de dégoût, une anhédonie, un isolement et l’abandon d’activités qui jusque-là étaient investies. Le ralentissement psychomoteur : la mimique et la gestuelle spontanées sont pauvres, la voix est monotone, l’adolescent est ralenti dans ses actions et ses pensées. L’agitation psychomotrice : elle est en général inadaptée et improductive. Les troubles du sommeil : il peut s’agir d’insomnies (difficultés à s’endormir, réveils nocturnes, réveil matinal précoce), d’hypersomnies ou de cauchemars. La fatigue : l’adolescent est fatigué dès le réveil, n’arrive pas à récupérer et aimerait qu’on lui donne des « vitamines » pour le stimuler. Les difficultés à se concentrer : difficultés pour maintenir son attention, pour mémoriser. Les cognitions de la lignée dépressive : sentiment d’être dévalorisé, idées de culpabilité ou de honte, pessimisme, autoaccusation, tendance à la dépréciation de soi et des autres.
Les troubles bipolaires à l’adolescence
20 % des adolescents déprimés présentent en fait des troubles bipolaires (ou maladie maniaco-dépressive).Il existe un risque de suicide, d’échecs affectifs et professionnels à répétition, de désinsertion sociale et d’évolution vers des conduites addictives. Classiquement, le trouble bipolaire est un trouble chronique de l’humeur, qui se caractérise par la succession d’états maniaques 10 et/ou d’états dépressifs. Chez l’adolescent, la distinction entre normale et pathologique est parfois difficile. L’épisode maniaque se caractérise par l’existence d’une période clairement identifiable où l’humeur de l’adolescent est anormalement expansive, exaltée ou irritable. Cette période doit avoir duré au moins une semaine ou avoir nécessité une hospitalisation. Selon le DSM IV [1994], pour parler d’épisode maniaque, il faut qu’il existe au moins trois des symptômes suivants : 1. Inflation de l’estime de soi ou idées de grandeur 2. réduction marquée du besoin de sommeil 3. Logorrhée, besoin de parler en permanence 4. Fuite des idées ou sentiments que les idées vont trop vite 5. Distractibilité 6. Augmentation de l’activité orientée vers un but (social, professionnel, sexuel) ou agitation psychomotrice 7. Implication excessive dans des activités agréables, mais potentiellement dommageables : achats et investissements inconsidérés, désinhibition sexuelle. Selon l’intensité des symptômes, il faut distinguer épisode maniaque et épisode hypomaniaque : – On parle d’épisode maniaque quand le trouble de l’humeur décrit plus haut entraîne une perturbation marquée du fonctionnement ou nécessite une hospitalisation ou s’accompagne de traits psychotiques, en particulier d’idées délirantes. – On parle d’épisode hypomaniaque lorsque l’épisode comporte un changement significatif par rapport au fonctionnement habituel, qu’il est 11 remarqué par les autres, mais qu’il ne s’accompagne pas d’une altération sévère du fonctionnement, ni d’idées délirantes. À partir de ces différentes définitions, on va décrire différentes catégories de troubles : – dans la dépression unipolaire, le patient présente tout au long de sa vie exclusivement des épisodes dépressifs. – Dans le trouble bipolaire I le patient présente un ou plusieurs épisodes maniaques corrélés ou non avec un épisode dépressif. – Dans le trouble bipolaire II le patient présente essentiellement des épisodes dépressifs, mais avec dans son évolution la présence cyclique d’épisodes hypomaniaques. – Dans l’état mixte, le patient présente à la fois les critères d’un épisode maniaque et d’un épisode dépressif majeur.
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