Les brûlures chimiques en milieu professionnel
INTRODUCTION
Les accidents et les maladies liés au travail font peser un fardeau humain et économique intolérable sur les travailleurs et leur famille, ainsi que sur les entreprises et sur la société en général. Le Bureau International du Travail (BIT) a estimé récemment que, dans le monde, les coûts économiques des accidents et des maladies liés au travail représentent l’équivalent de 4 pour cent du produit intérieur brut à l’échelle mondiale, soit plus de 20 fois le montant de l’aide officielle au développement (BIT, 2008). Des conditions déplorables de santé et de sécurité au travail font chaque année deux millions de morts au travail, 271millions de blessés et 160 millions de cas de maladies professionnelles à travers le monde (Joseph et coll 2007). Les brûlures chimiques sont relativement fréquentes dans certains milieux professionnels comme la fabrication des produits chimiques, de pesticides, mines, médecine et laborantins et domaines professionnels connexes (Géraut et coll, 1993). La brûlure se définit comme une destruction partielle ou totale du revêtement cutané ou des tissus sous-jacents par un agent thermique, électrique, chimique ou par des radiations ionisantes. La brûlure est grave lorsqu’elle engage le pronostic fonctionnel et/ou vital par son étendue, sa profondeur, sa topographie, les circonstances et l’agent vulnérant (Kamel, 2001). Les brûlures constituent un problème fréquent depuis des décennies dans le monde entier (Gobulovic et coll, 2000). Les brûlures chimiques par projection accidentelle sur la peau et/ou dans l’œil d’une substance corrosive sont fréquentes en milieu professionnel pouvant provoquer des intoxications aigues et chroniques (Testud 2009). La fréquence et la gravité diffèrent d’un pays à l’autre selon le degré socio-économique des populations. Les pays en développement sont particulièrement vulnérables en raison d’un manque de réglementation, de systèmes de surveillance, d’application des règles et de formation et d’une insuffisance de l’accès aux systèmes d’information (Joseph et coll, 2007). Malgré les initiatives positives prises pour diminuer le nombre d’accidents et de troubles de la santé dans le milieu du travail, les accidents et les maladies notamment les brûlures restent encore trop fréquentes aujourd’hui (BIT, 2008). La situation est encore plus dramatique avec l’absence de recensement régulier des cas de brûlés, ce qui fait que les estimations sont loin de confirmer une tendance à l’amélioration (Beyiha et coll, 2000). 2 Le milieu de travail comporte des dangers qui constituent des risques pour l’intégrité physique, physiologique, et psychologique de l’homme dont les manifestations se traduisent par les accidents du travail (AT) et les maladies professionnelles (MP). Ces deux cas ont des impacts socio-économiques négatifs lorsqu’ils surviennent pour la victime et sa famille (souffrances de la victime, invalidité, perte d’un membre pourvoyeur de revenu, …), pour l’entreprise (dépenses médicales, dégâts matériels, arrêts de travail, perte d’un travailleur qualifié, …) et pour la nation (réparation des AT et MP), (Karim, 2011). Les aspects professionnels des brulures chimiques au Sénégal sont méconnus car ils ont été peu documentés. La présente étude s’inscrit dans le cadre d’une meilleure connaissance de ce type d’accident du travail. Elle vise à contribuer à promouvoir la sécurité sur les lieux de travail. C’est pourquoi, nous avons initié ce travail en vue de décrire les caractéristiques épidémiologiques traçant le profil clinique et thérapeutique des brûlures en milieu professionnel. A cet effet, nous nous sommes fixés les objectifs décrits ci-après. OBJECTIFS Objectif général Contribuer à l’étude des aspects épidémiologiques, cliniques et thérapeutiques des brûlures chimiques en milieu professionnel à Dakar. Objectifs spécifiques (OS) : OS1 : Déterminer les profils sociodémographiques et épidémiologiques des brûlures chimiques en milieu professionnel à Dakar, OS2 : Déterminer les circonstances de survenue de ces brûlures chimiques, OS3 : Décrire les types de brûlures observés, OS4 : Déterminer la prise en charge et l’issue des cas de brûlures chimiques. 3 PREMIERE PARTIE : Revue de la littérature
Données épidémiologiques des brûlures chimiques professionnelles
Dans le monde
Les brûlures sont responsables de plus de 300 000 décès annuels d’après l’Organisation mondiale de la santé. Ce nombre est très probablement sous-estimé du fait que la majeure partie des accidents se situent dans les pays défavorisés où il n’existe pas de statistiques précises. Ainsi, les USA comptabilisent chaque année, 2 millions de brûlés dont 500.000 sont des brûlures graves avec une mortalité directe estimée à 1000/an (Herndon et coll, 2001). En France, l’incidence des brûlures (nombre de cas pour 100.000 habitants par an) nécessitant des soins médicaux est d’environ 300, soit 150.000 cas par an, et 1 million pour la Communauté européenne. Parmi ces brûlures françaises, 7.500 demandent une hospitalisation. La brûlure est une entité traumatique fréquente puisqu’elle affecte environ 70.000 personnes par année en Suisse. Ce chiffre a nettement régressé au cours des dernières décennies sous l’effet des mesures préventives en particulier sur les lieux de travail (Wassim et coll, 2006).
En Afrique
Dans les pays en développement, la brûlure est un réel problème, d’autant plus grave que la mortalité y est plus élevée qu’ailleurs. Les règles de sécurité au travail ne sont pas respectées. La prévention qui a réellement fait régresser l’incidence des brûlures en Europe n’est pas une priorité en Afrique (Dantec et coll, 2003). L’accident est souvent collectif, membres d’une même famille, employés d’un même atelier. Les moyens d’alerte sont limités, les moyens d’extinction aussi simples que l’eau font souvent défaut à proximité. Les secours professionnels, s’ils sont développés dans les grandes villes, sont rares et éloignés en brousse. Les règles de sécurité au travail ne sont pas respectées. Ainsi en Afrique subsaharienne, l’incidence des brûlures est l’une des plus élevées au monde avec 245 cas pour 100.000 personnes soit 3 fois l’incidence moyenne mondiale (Forjuoh et coll, 4 1998). La mortalité due aux brûlures est aussi l’une des plus élevée, elle serait par exemple de l’ordre de 10 % en Afrique de l’Est (Nordberg et coll, 1994).
Au Sénégal
Au Sénégal, l’étude faite par SEYE révélait que les brûlures représentaient 6,26 % de l’ensemble des lésions accidentelles enregistrées (Seye, 1979). Les brûlures étaient estimées graves dans 18 % des cas. La même étude relevait qu’un patient sur deux décédait suite à ses brûlures; l’absence de réanimation et de surveillance étaient les facteurs incriminés. Dans une étude faite dans le service de réanimation polyvalente du CHU de Dakar en 2001, les brûlures thermiques étaient les plus fréquemment retrouvées, avec comme première cause les flammes, suivies des brûlures chimiques et des brûlures électriques. Les accidents du travail représentaient la deuxième cause (Kamel, 2001) La proportion des brûlures chimiques au Sénégal n’est pas évaluée malgré l’usage fréquent de produits chimiques dans les ateliers, alors que dans d’autres pays ces brûlures chimiques graves sont très fréquentes (Ainaud et coll, 2000). Le problème des brûlures ne se résume pas seulement à sa fréquence et à son taux de mortalité, mais comporte aussi la gravité des conséquences qu’elles peuvent entraîner dépendant en grande partie du délai et de la qualité de prise en charge.
Agents à l’origine de brûlures
Agents thermiques
Ils sont responsables de la destruction de la peau par les flammes ou par ébouillantement. Les effets sont proportionnels à la surface et à la profondeur des lésions. Les brûlures thermiques constituent la majorité des admissions dans les services de brûlés (Deitch et coll, 1991). 1.2.2. Agents chimiques Les lésions cutanées secondaires à la coagulation ou la dessiccation des protéines tissulaires sont dues à des agents chimiques. L’action destructrice continue jusqu’à ce que l’agent soit retiré. La pénétration cutanée par beaucoup de produits chimiques conduit à une toxicité systémique. Les lésions sont souvent plus profondes qu’elles n’apparaissent et sont ainsi à l’origine d’un faible pourcentage d’admissions (Coz, 2003). 5 Parmi les quelques 200000 éléments et molécules chimiques connus, les caustiques sont en nombre relativement restreint. En revanche, leur importance industrielle, en rapport avec de multiples usages (agents d’hydrolyse, d’oxydation, catalyseurs ou matières premières en synthèse chimique, traitement des métaux…), est considérable ; selon l’état physicochimique de la substance, on sera confronté soit à la projection cutanéomuqueuse d’un liquide, soit à une inhalation de vapeurs (Géraut et coll, 2000). Liste de certains agents acides responsables de brûlures chimiques -L’acide acrylique est le produit de base des acrylates. Des brûlures ont été observées en imprimerie comme l’encre est à base d’acrylates (Ducombs et coll, 1974). – L’acide sulfurique (H2SO4) est le plus déshydratant et dessicant. Il donne des nécroses noires ou brunâtres, sèches, dures et indolores. La réaction exothermique est forte. Il existe un risque de passage systémique avec œdème de glotte et état de choc (Breden et coll, 2009). – La soude caustique et l’ammoniac qui dégage des gaz très irritants peuvent brûler (Breden et coll, 2009). -Les aldéhydes tels que le formaldéhyde, le glutaraldéhyde et le glyoxal, sont caustiques lorsqu’ils sont concentrés. Divers solvants peuvent être très agressifs : diméthylformamide, dichlorométhane, kérosène, N-méthylpyrrolidone, tétrahydrofurane, pyridine, vinylpyrine (Coz, 2003).
Agents électriques
Ils sont responsables de la destruction cutanée secondaire à la chaleur produite par le passage du courant électrique à travers la peau. L’arc électrique ne constitue pas une brûlure électrique vraie. Les lésions sont plus étendues et plus profondes qu’elles n’apparaissent. Le système de conduction cardiaque peut être affecté conduisant au décès brutal (électrocution) ou à des troubles du rythme. La contraction musculaire intense (tétanisation) peut entraîner des fractures des os longs ou même de la colonne vertébrale. La destruction musculaire entraîne la libération de myoglobine qui altère la fonction rénale (Joucdar et coll, 1997).
REMERCIEMENTS |