ASPECTS SOCIOCULTURELS DE l’EPIEPSiE

ASPECTS SOCIOCULTURELS DE l’EPIEPSiE

Aspects sociodémographiques des épileptiques 

Le profil sociodémographique de nos épileptiques vient mettre en exergue la stigmatisation et la ségrégation que vivent ces individus en Casamance. Notre individu-type est un jeune homme célibataire, dont l’âge est compris entre 17 à 25 ans. Il a été scolarisé mais a dû arrêter ses études à cause de sa maladie. Il est sans emploi. Wig et al disaient que l’épilepsie contribuait pour une grande part à l’invalidité des personnes. A.K. est un jeune épileptique de notre cohorte. Il est suivi au CPEBZ depuis sept ans. Ses crises ont débuté lorsqu’il avait huit ans. Il a arrêté ses études au primaire. Son père, un instituteur à la retraite, nous a expliqué comment la stigmatisation que son fils subissait à l’école a occasionné son retrait de l’école. Il disait à ce propos : « Ici, c’est difficile, parce que les gens de la Casamance ont peur de l’épileptique, car ils pensent que c’est contagieux et comme c’est une maladie qualifiée d’extrêmement dangereuse, quand il piquait des crises qu’il était à l’école, on m’appelait pour venir le chercher, et je retrouvais tout le monde hors de la classe –ni maitre ni élèves, en fin de compte, j’ai fini par le retirer de l’école, parce que c’était très gênant ».Parfois, ce sont les enseignants qui entretiennent cette stigmatisation. Nous le retrouvons dans le témoignage du père de M.A., une épileptique de 23 ans, célibataire sans enfant, sans emploi qui a arrêté ses études en classe de quatrième secondaire. Il disait : « Au primaire, on la rejetait souvent. Tu sais les enfants ici, ils disent que c’est autre chose. Et son maître aussi, ce n’était pas quelqu’un de cohérent… Il n’aidait pas. Si elle fait une crise en classe, il la rejette. Il lui dit rentre chez toi avant de contaminer tes copines. Une fois, je me suis disputé avec lui. Ce jour là, ça a chauffé pour lui. Lui, en tant qu’éducateur qui devait dire aux gens de ne pas fuir et que c’est une maladie comme les autres, pas contagieuses, mais lui le premier la rejette. ». Cet arrêt de la scolarisation vient expliquer le fait que nos épileptiques soient en grande majorité sans emploi ou même s’ils travaillent, ils occupent des emplois subalternes. D’ailleurs, Roger et Miribel  disaient que 75 à 80 % des épileptiques travaillent, mais une part non négligeable le fait à mi-temps dans des emplois subalternes, souvent inférieurs à leurs compétences. Concernant leur statut matrimonial, on notait une ségrégation, tant il y avait de célibataires. Fall , Matemolo et Danfa retrouvaient eux-aussi une prédominance de célibataires chez leurs épileptiques. Karfo disait d’ailleurs: « En Afrique, une observation empirique montre que les épileptiques sont généralement célibataires ou divorcés, en majorité ». Bien vrai que la majorité des accompagnants de nos patients pensent qu’un épileptique pourrait se marier, nous ne pouvons ignorer cette hésitation qu’ils affichaient à ce moment de l’entretien. Certains disaient, concernant leur parente épileptique : « si un homme accepte de la marier, elle pourra se marier ». Cette ségrégation est flagrante au Togo, dans l’aire Moba-Gourma, où Grunitzky rapportait que les parents d’une fille épileptique pouvaient donner leur enfant en mariage sans dot. Quoique dans cette aire culturelle le mariage soit conditionné par la dot . 

 Connaissances sur l’épilepsie

 ◆Manque d’informations liées à l’épilepsie Benoist disait : « Son besoin de comprendre ne tient pas au besoin de connaitre, mais à celui de vivre » [6]. La moyenne d’année du suivi de ces patients au CPEBZ est de 4,28 ans. Ces épileptiques qui venaient à des fréquences de 3-4 fois/an à leur rendez-vous de consultation n’avaient auparavant jamais entendu parler de l’épilepsie, pour la grande majorité. Ce même constat a été observé au Maroc, où Maïmouni notait 58,1% de patients qui ne savaient pas le nom exact de leur maladie, malgré le fait qu’ils aient préalablement été consultés par un médecin . Pourtant, Deccache disait : «l’éducation du patient est un processus par étapes, intégré dans la démarche de soins, comprenant un ensemble d’activités organisées de sensibilisation, d’information, d’apprentissage et d’aide psychologique et sociale, concernant la maladie, les traitements, les soins, l’organisation et les procédures hospitalières, les comportements de santé et ceux liés à la maladie, et destinées à aider le patient (et sa famille)….» . Les patients devraient recevoir les informations et les documentations relatives à leur maladie mais cela n’a pas été le cas chez près de 3/4 de nos patients. Arborio disait : « De façon générale, en l’absence d’explication supplémentaire, les malades restent fixés sur une imprécision, une causalité surnaturelle ou sociale et n’interrogent pas le médecin, dont le rôle est essentiellement perçu comme celui d’un dispensateur de médicament. ». Nous pouvons donc affirmer que cet inconfort lié à l’ignorance de leur diagnostic explique le fait que 84,15% de notre population d’épileptique aient consulté des tradithérapeutes. D’ailleurs, Thiane (2004) avait constaté que la sousinformation à propos de l’épilepsie au Sénégal aidait, en plus des différences de culture, à pérenniser le mysticisme corrélé à la maladie épileptique . Page 30 Ce manque d’informations venant du personnel médical pourrait s’expliquer par un manque de formation adéquate. Ka, un sociologue sénégalais, avait souligné la précarité des conditions de travail du personnel soignant comme l’un des facteurs d’apport de mauvaise réponse thérapeutique chez les épileptiques et leur famille. ◆Paradoxe entre les croyances et le choix thérapeutique: évolution des représentations socioculturelles casamançaises? Nous constatons un paradoxe dans l’itinéraire thérapeutique de nos épileptiques. Nous notons que 1/4 de nos patients pensent qu’il s’agit d’une maladie mystique alors que plus de 3/4 de nos patients ont consulté des tradipraticiens à cause de cette maladie. La comparaison de nos résultats, concernant la perception étiologique et nosographique de l’épilepsie, aux chiffres obtenus par Matemolo  montre qu’aujourd’hui, cette population a tendance à plus penser à une cause organique que surnaturelle. Ceci pourrait s’expliquer par une évolution des représentations que ces populations se font de l’épilepsie. En effet, Maïmouni disait : « La notion de l’origine surnaturelle de l’épilepsie est récurrente dans d’autres études menées dans d’autres pays en voie de développement. Cette croyance est ancienne mais évolue avec le temps… » . Contrairement à nos résultats (7,32 %), 5 ans avant Matemolo avait objectivé 50% de patients épileptiques croyant que leur maladie était contagieuse. Ce qui vient étayer davantage notre hypothèse quant à l’évolution des représentations de l’épilepsie en Casamance. En considérant les modifications apportées à la pratique du Bukut, on pourrait suggérer une mutation de la société casamançaise vers une un peu plus moderne. Si auparavant, il était imposé à tous les jeunes hommes non circoncis du village célébrant le Bukut de rester près de deux mois dans le « bois sacré », de nos jours, ce stage initiatique ne dure que deux semaines ; et il existe des dérogations pour les personnes ayant des contraintes professionnelles ou sociales. Tout ce ceci préfigure d’une évolution des représentations de l’épilepsie en Casamance, où ces peuples ont tendance à abandonner la croyance en une origine mystique. ◆Tradipraticiens : vecteurs de la pérennisation des croyances anciennes de l’épilepsie Les guérisseurs traditionnels disaient quasiment tous qu’il s’agissait d’une maladie surnaturelle. Matemolo , avait trouvé que la grande majorité des tradipraticiens que ses patients consultaient affirmaient eux-aussi une cause surnaturelle de l’épilepsie. Il remarquait également que les affirmations de ces tradipraticiens venaient renforcer les appréhensions que Page 31 ses patients avaient de la maladie. En outre, ce fait les poussait à aller de marabout en marabout malgré l’échec des thérapies traditionnelles. En effet, nous avons aussi constaté que la grande majorité de nos patients avaient consulté plus de quatre tradipraticiens. Nous pensons que le discours des tradipraticiens installe des réalités socioculturelles partagées par les patients et leurs proches, et que ce discours vient confirmer une pensée enfouie dans leur inconscient collectif, leurs croyances ancestrales : l’épilepsie est une maladie mystique. 

Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
1) Casamance : mœurs et coutumes de certaines populations
2) Historique de l’épilepsie
3) Aspects socioculturels de l’épilepsie en Afrique
DEUXIEME PARTIE
1) METHODOLOGIE
1.1) Cadre d’étude
1.2) Population d’étude
1.3) Type d’étude
1.4) Période d’étude
1.5) Méthode
1.6) Logiciels d’analyse statistique
1.7) Limites
2) RÉSULTATS
2.1) Population d’étude
2.2) Profil sociodémographique de nos patients
2.3) Connaissances sur l’épilepsie
2.3.1) Répartition en fonction des connaissances et opinions sur l’épilepsie
2.3.2) Discours des tradipraticiens selon nos patients
2.3.3) Dénominations de l’épilepsie selon les différentes ethnies
2.4) Vécu par rapport à l’épilepsie
2.4.1) Description de la première crise
2.4.2) Vécu en dehors de la crise
2.4.3) Perception de l’avenir des épileptiques
2.4.3.1) Point de vue des patients
2.4.3.2) Point de vue des accompagnants
2.4.4) Accompagnants face à la crise
2.5) Prise en charge de l’épilepsie
2.5.1) Itinéraire thérapeutique des patients épileptiques
2.5.2) Comparaison des traitements
3) DISCUSSION
3.1) Aspects sociodémographiques des épileptiques
3.2) Connaissances sur l’épilepsie
3.3) Vécu par rapport à l’épilepsie
3.3.1) Vécu de la crise
3.3.2) Vécu en dehors des crises et avenir de l’épileptique
3.4) Prise en charge de l’épilepsie
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES

 

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