Justifier la réponse stratégique.
Afin d’explorer cette problématique, différents cadres théoriques se sont présentés au fur et à mesure de l’élaboration de ce travail : théorie des ressources et compétences en raison des travaux de Hamel autour des innovations et des capacités dynamiques, métaphore militaire pour identifier les comportements stratégiques et compétitifs des différentes parties prenantes impliquées. Ces cadres n’ont finalement pas été retenus en raison de la difficulté à identifier les compétences liées à une absence de réaction, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de compétences particulières qui ont été développées ou acquises puisqu’il n’y a pas de nouvelle disposition organisationnelle. D’autre part, le cadre autour de la métaphore militaire n’a pas été retenu en raison du manque de caractéristiques et de postures de neutralité et de coopération, la désertion présentant la seule option envisageable. ue de littérature du champ de l’innovation, la définition de l’innovation stratégique retenue et a identifié l’enjeu de ce travail autour de la détermination des réponses à l’adoption de ces innov ions. Il débouchait sur la problématique de cette étude : Comment des organisations justifient-elles leur réponse stratégique allant à l’encontre d’un changement sectoriel puissant ? Dans le deuxième chapitre, nous avons opérationnalisé le concept et identifié le streaming en tant qu’innovation stratégique, mais également discerné les différents acteurs en subissant son influence dont ceux susceptibles d’être en capacité de refuser cette innovation. Le cadre théorique retenu s’inscrit dans le prolongement de la revue de littérature du chapitre 1. Après avoir théorisé le concept d’innovation de rupture, Christensen et al. (2018) identifient différentes pistes d’ouverture et de prolongement de leurs travaux. Parmi ces pistes se trouve l’intérêt d’approfondir les réponses à ces innovations, dans une approche concurrentielle. Ce chapitre permettra en premier de décrire les réponses identifiées par Charitou et Markides (2003) et leurs dimensions. Ce cadre permettra de caractériser les comportements des organisations face à ce changement.
Par ailleurs, les réponses organisationnelles sont nécessairement déterminées par les individus. En ce sens, il est pertinent de chercher à comprendre les motivations des individus dans leurs réponses stratégiques. Pour mener à bien l’identification des motivations dans ces situations données, le cadre des cités et des mondes proposé par Boltanski et Thévenot (1991) prolongé par Boltanski et Chiapello (1999) permet d’identifier les justifications des individus dans leurs décisions et les « principes supérieurs communs ». Ce cadre permet de considérer que la réponse négative à un changement est une décision justifiée, donc les acteurs ont bien conscience de ce changement. Ils ne sont pas passifs face à cette situation. Ainsi, le cadre théorique retenu permet d’obtenir une lecture à deux niveaux de ce phénomène qui combine lecture macro- et micro-environnementale : d’une part un cadre macro-environnemental de caractérisation des comportements des organisations par leurs réponses à un changement ; d’autre part un cadre micro-environnemental par la justification de la réponse donnée à ce changement. Ce chapitre se présente en deux parties. Nous verrons d’abord le concept de réponse stratégique. Il s’inscrit dans la continuité de la théorie de l’innovation que nous intégrons à l’innovation stratégique. Puis nous verrons le concept de justification, issu de la théorie des mondes de Boltanski et Thévenot. Dans ce travail, la difficulté principale est de pouvoir caractériser un objet d’étude qui se distingue par son absence. C’est pourquoi la description du contexte dans les chapitres 1 et 2 joue un rôle majeur pour identifier un changement sectoriel puissant, l’innovation stratégique.
Pour rappel, dans le chapitre 1, lors de la formulation de la problématique, nous comparions la construction de cette recherche à un problème quasi-mathématique. L’étude du refus de l’innovation stratégique contient un élément négatif. La recherche d’un objet négatif ne peut toutefois pas se concevoir dans le sujet (au risque de tomber dans les travers de la circularité). Les résultats doivent pouvoir contredire et contester l’objet de recherche. En déplaçant la négation dans le cadre d’analyse, on obtient un objet de recherche neutre, mais un regard porté spécifiquement sur les dimensions négatives de cet objet. La littérature sur l’adoption de l’innovation (Kimberly et Evanisko 1981, Dewar et Dutton 1986, Damanpour et al. 2018) ne peut convenir puisque nous cherchons précisément le contraire. La littérature sur la résistance à l’adoption de l’innovation (Coch et French 1948, Dent et Goldberg 1999, Ford et al. 2008, Heidenreich et Spieth 2013, Talke et Heidenreich 2014) n’est pas non plus la plus appropriée puisqu’elle poursuit l’objectif de développer des leviers pour dépasser cette résistance. Nous présentons dans ce chapitre les deux concepts mobilisés qui constituent les deux niveaux d’approche du cadre théorique : l’approche organisationnelle liée au concept de réponse stratégique, puis l’approche sociologique de la justification. L’approche par la réponse stratégique doit permettre de caractériser le phénomène auquel l’industrie phonographique fait face ; l’approche par la justification doit permettre d’approfondir les croyances et valeurs associées à ce phénomène.