Introduction aux réseaux décisionnels un cas d’école.
La gestion du risque social est souvent présentée comme une question relevant de la théorie de la décision. Les modèles traditionnels de décision dans le risque (von Neumann et Morgenstern) ou dans l’incertitude (Savage) sont pourtant peu adaptés à des problèmes de décision publique impliquant la survenue d’événements rares. Certes, les évolutions de la théorie de la décision au cours des trois dernières décennies ont permis de réels progrès dans la représentation de ces problèmes et ouvert la voie à des applications plus pertinentesComme nous l’avons vu tout au long des chapitres précédents, c’est dans la phase d’évaluationdu risque que sont identifiés les événements redoutés, leurs causes, leurs effets, leurs probabilités de réalisation ainsi que les choix d’action existants. C’est également à ce stade que se pose la question du traitement de l’incertitude non probabilisable. En se plaçant en aval de l’évaluation du risque, la représentation traditionnelle de la théorie de la décision ne peut donc pas aborder ces questions1. Pour des applications de la nouvelle théorie de la décision à la gestion des risques dans le secteur nucléaire en France, on pourra notamment se reporter aux thèses de Yann Serquin (Serquin, 1998) et de Sébastien Destercke (Destercke, 2008).formel, à l’estimation d’un réseau bayésien causal (RBC). En particulier, l’évaluation du risque consiste à établir par voie empirique des relations fonctionnelles décrivant des mécanismes causaux. Les perturbations exogènes y traduisent l’action agrégée de causes inobservables, et leurs distribu- tions de probabilités sont l’une des données primordiales d’une évaluation de risque, comme dans le cas d’un modèle causal (Pearl, 2000). On peut donc espérer qu’un modèle de décision fondé sur les RBC, tel que celui que nous exposons dans ce chapitre et le suivant, apportera un éclairage particulier à l’articulation entre évaluation et gestion des risques sociaux.
Introduction.
Cependant, nous avons également relevé que, dans des cas fréquents, le gestionnaire de risque ne disposait pas d’un modèle causal pré-établi et validé pour fonder ses décisions. Il nous semble donc nécessaire, au moment d’examiner la question de la décision, d’élargir le propos par rapport aux applications traditionnelles des RBC.Le dénuement du décideur, dans une situation où l’évaluation « objective » du risque est ab- sente ou incomplète, ne lui interdit pas de faire sa propre évaluation du risque, c’est-à-dire de se représenter la situation dans laquelle il est appelé à intervenir sous la forme d’un modèle causal et de former des croyances relatives à l’action de causes non identifiées dans cette situation. Nous adoptons ce point de vue subjectiviste, qu’il soit en mesure d’en observer la valeur avant de faire son choix ou pas. Nous ferons appel à la version dynamique de notre modèle, où l’incertitude se résout séparément pour chaque variable, dans le premier cas, et à la version statique, où toute l’incertitude se lève de façon simultanée, dans le second. Il faut noter que ce problème est distinct de celui de la temporalité des causes et des effets. Les théories de la causalité considèrent généralement qu’une cause doit précéder ses effets sur l’axe temporel (Reichenbach, 1956; Good, 1961; Suppes, 1970), et nous les suivons sur cette voie. Mais l’incertitude d’un décideur au sujet d’une grandeur donnée subsiste par définition tant qu’il ne l’a pas observée, qu’elle soit déterminée ou non au sens physique du terme.
En second lieu, nous nous plaçons dans la tradition de la théorie subjectiviste de la décision,où le décideur peut se déterminer en fonction de ses croyances, qu’elles soient ou non fondées sur des probabilités pré-établies. Reflétant des croyances subjectives, les distributions de probabilitésCe chapitre explore les principaux aspects d’un tel modèle à partir d’un problème simplifié de gestion du risque. Nous commençons, dans la première partie, par décrire le problème et construire un RBC selon la méthode préconisée au chapitre précédent. Nous étudions dans la deuxième partie les adaptations qu’il faut apporter au cadre de décision dans l’incertitude de Savage pour tirer parti des propriétés du RBC. La troisième et dernière section est consacrée à une discussion de l’apport de ce modèle à la compréhension de quelques problèmes classiques de la théorie de la décision dans l’incertitude.Les visées du chapitre sont donc essentiellement illustratives, ce qui nous amènera à nous au- toriser quelques approximations en matière de notation, de terminologie et même de logique. Nous laisserons le soin au chapitre suivant, consacré au développement formel du modèle, de corriger ces écarts, et de montrer qu’ils ne portaient pas à conséquence.