Inversion des concurrences négociants // coopératives.
Le mouvement coopératif300 est né en France au début du XXe siècle dans le Midi méditerranéen301 lors des grandes crises post phylloxériques marquées par l’effondrement des prix du vin et la naissance d’un syndicalisme viticole puissant (les caves passent de 9 à 20). Pour les vignobles d’AOC, les coopératives firent leur apparition au début des années 30. 300 Un acteur émergent : le cas de la coopération en Champagne – « Enjeux et scénarios alternatifs pour contrer la montée en puissance de cet acteur » – étude confidentielle présentée à la DG de M, MHVS et de L.V.M.H ainsi qu’au cabinet Mc Kinsey – Paul-William puissants à travers le regroupement d’unions de coopératives représente une menace sérieuse pour le négoce d’appellation. Quatre niveaux d’analyses sont abordés dans ce chapitre : – la coopérative comme outil de régulation sociale et économique de la filière ; – la place de la coopération dans la chaîne viti-vinicole champenoise (de base, groupement de producteurs, union de coopératives) ; – l’inventaire des forces et faiblesses de la coopération champenoise ; – les perspectives de croissance. 2.1 La coopérative viti-vinicole en France, un concurrent émergent Les fonctions transférées aux coopératives permettent au vigneron de se consacrer plus souvent à son exploitation et favorisent sa pluridisciplinarité. Entre le milieu des années 50 et le début des années 90, le nombre de ces dernières augmente de près de 15%. Leur part dans la commercialisation s’accroît fortement dans les trois décennies suivant la Seconde Guerre mondiale : elles représentent 13% du nombre d’entreprises comptant plus de 9 salariés, 9.5% de l’effectif salarié, 9.1% du chiffre d’affaires et 1.3% des exportations. D’autre part, les producteurs, devant une concentration croissante du commerce acheteur (avec risque de domination), procèdent à un rassemblement de l’offre dans des zones où le négoce est absent. Si la fonction principale des coopératives est de vinifier, nombre d’entre elles se consacrent à des tâches d’élevage, de conditionnement et de commercialisation. En regroupant les producteurs avec l’objectif originel de défendre l’exploitation familiale, la cave coopérative présente des avantages sérieux face au négoce. Dotée d’un statut spécifique et autonome, ce n’est ni une société civile ni une société commerciale. Les coopératives sont des structures à porte ouverte permanente. Le fonctionnement de cette société atypique s’articule autour de quatre principes : 1- la libre adhésion En échange de sa libre adhésion, le vigneron a une responsabilité financière qui est de deux fois le montant de ses parts sociales détenues ; 2- la notion d’a – capitalisme L’absence de distribution de dividendes, de réserves impartageables et d’intérêts limités aux parts sociales caractérisent cette notion.
la gestion démocratique.
Siégeant en assemblée démocratique304, disposant chacun d’une voix et contrôlant la gestion de la cave, les vignerons se recentrent sur la culture de la vigne. C’est un pacte social. L’instance souveraine est l’assemblée générale qui mandate un conseil d’administration, lequel nomme un président, un bureau et, éventuellement, un directeur ; 4- la notion d’«exclusivisme » C’est un engagement réciproque et exclusif ; une particularité contraignante du statut coopératif. La coopérative réserve ses services à ses sociétaires et inversement. La quasi-totalité des coopératives reçoivent l’intégralité de la récolte de leurs adhérents305. Cette règle restrictive pour le développement économique des entreprises justifie le statut fiscal des coopératives306. La loi interdit à ces dernières de rechercher des compensations économiques en dehors de l’objet social. La circonscription territoriale, zone géographique d’activité de la coopérative est également limitée. Le coopérateur impose aussi ses contraintes : engagement de longue durée307 (5 à 15 ans), rémunération limitée du capital social et remboursement des parts à leur valeur nominale. Ces statuts correspondent à la situation des viticulteurs indépendants. L’objectif premier de la coopération est de fournir le plus de valeur ajoutée aux vignerons.305 Autrefois, devant chaque offre d’achat des négociants, les adhérents de la cave décidaient individuellement s’ils vendaient tel ou tel lot de leur vin détenu par la coopérative. Ce système, en limitant la rapidité des transactions, entretenait un émiettement de l’offre 307Le prix de base du kilo de raisins est le même, que l’on soit vendeur de raisins au négoce ou apporteur à une coopérative. Dans la pratique, certaines unions de coopératives jouent la surenchère. inadaptée aux conditions du marché. Dorénavant, les dirigeants sont en mesure de présenter à tous moments des lots conséquents. Cette meilleure maîtrise du volume de la production autorise de plus une planification à moyen terme réductrice de risques et d’à coups.
Depuis les années 70, avec à leur tête, techniciens et œnologues, les coopératives se sont améliorées. Il ne s’agit plus seulement d’éliminer les vins défectueux ou de veiller à la bonne conservation des vins normaux308. Des systèmes de primes ou de contrats de qualité ont permis une sélection de raisins nobles. Cette politique suppose des innovations techniques permettant de produire à moindre coût. Outre les progrès considérables réalisés en matière de vinification, les caves coopératives s’efforcent d’orienter la production des adhérents vers des vins de gamme moyenne, mais de haut niveau qualitatif. La commercialisation du produit fini achève de valoriser la coopérative qui prend en charge la mise en bouteille et l’étiquetage du vin sur les lieux de production. En fonction de la mission originelle sur le plan social, elle doit faire l’apprentissage des contraintes économiques nouvelles, nées de l’évolution des structures de commercialisation et des modifications de la consommation. Le développement du rôle économique des coopératives procède de plusieurs facteurs : 1) la taille croissante des équipements conduit à vinifier des volumes plus importants pour les rentabiliser ; 2) la situation du marché incite les coopératives à concentrer l’offre et à assurer la vente des vins en commun ; 3) des groupements de producteurs réunissent plusieurs coopératives et parfois des caves privées. Avec la création de groupements de producteurs309 à partir des années 70-80, pouvant réunir coopératives et producteurs individuels, une nouvelle étape dans la concurrence négoce-production est née. Il s’agit d’un deuxième niveau de regroupement de l’offre qui couvre trois prestations : production, transformation et commercialisation. Ces groupements ont pour mission d’assurer une restructuration du vignoble, de promouvoir la qualité, de conforter le pouvoir économique des producteurs par la maîtrise de la mise en marché. Sur un plan institutionnel, l’originalité réside dans la souplesse du statut juridique : coopérative, union de coopératives, SICA, GIE. La genèse de ces groupements explique leur fonctionnement : ainsi ils ne sont pas l’émanation d’une dynamique de concentration, mais point de passage obligé pour recevoir les aides des pouvoirs publics. Leur création émane d’un processus administratif extérieur à la volonté des responsables de coopératives. Le problème majeur de ces groupements de producteurs310 tient à leur double nature.