Caractérisation de l’AICT dans le champ de la coopération internationale des spécificités territoriales
Si les collectivités territoriales ont acquis une reconnaissance dans le paysage français de la coopération internationale, leur action comporte de fortes spécificités, sur le fond comme sur la forme, qui les différencient des autres acteurs. Nous aborderons principalement parmi celles-ci la notion d’intérêt local qui, du point de vue de la légitimité comme de la légalité, est supposée guider leurs actions internationales. Nous tenterons de comprendre l’enjeu stratégique que constitue sa difficile démonstration. Il s’agira ensuite d’identifier ces spécificités au regard des modalités et des principes d’intervention des deux principaux acteurs historiques de la coopération internationale que sont l’État et les Organisations Non Gouvernementales. L’Action Internationale des Collectivités Territoriales doit, à l’instar des autres domaines d’action publique locale, répondre d’un intérêt local. Cette contrainte légale explique que contrairement aux idées reçues129, l’AICT ne puisse reposer exclusivement sur les dimensions de solidarité ou d’aide. L’intérêt local de l’AICT est entendu comme les retombées sur le plan local des actions menées à l’étranger. Nous verrons dans cette partie que la place qu’occupe cette notion dans les pratiques des collectivités territoriales. Pour ne pas avoir pris suffisamment en considération l’enjeu d’intérêt local ou ne pas avoir su le formuler de manière claire dans le cadre de cette politique publique « hors norme », certaines collectivités territoriales s’exposent aux critiques voire aux attaques en justice. En période d’arbitrage budgétaire, ces dernières sont de plus en plus souvent rattrapées par l’enjeu de légitimation de leur action internationale. Nous tenterons de clarifier cet aspect au regard notamment du cadre juridique actuel de l’AICT.
En 2013, on peut faire un bilan de 6 ans d’encadrement par la loi Thiollière de l’Action Internationale des collectivités territoriales. Bien qu’ayant été accueillie comme un soulagement par les élus locaux qui y ont vu un renforcement de leur compétence internationale, on peut considérer que ce cadre légal reste insuffisant et qu’il a même entraîné un certain effet pervers. Le principal reproche qui lui est adressé repose sur une prise en compte jugée insuffisante des évolutions de l’Action Internationale des Collectivités Territoriales qui demande donc, selon certains experts, à être mieux encadrée. L’idée pour les élus locaux serait d’y intégrer les nouvelles formes de coopération que souhaitent développer les collectivités territoriales : l’aide à la reconstruction post-conflit, la coopération économique ou encore l’articulation des politiques des établissements supérieurs avec celles des collectivités territoriales131. D’autre part, la loi Thiollière en présumant de fait son existence dans le cadre de la coopération décentralisée a relativisé l’importance de l’intérêt local au niveau des collectivités, dont les actions à l’international peuvent être menées sans lien précis avec les problématiques de leurs territoires. Ce constat peut entraîner différentes interprétations du rôle des collectivités dans leurs interventions à l’international. « Dés lors, le Sésame offert [par la loi Thiollière], la boite de Pandore est ouverte, dorénavant, l’intérêt local doit être présumé132 » dénonçait le représentant d’une association de contribuables. L’intérêt local est considéré par l’État comme une contrainte, dont il convient de libérer les collectivités territoriales.
Pourtant, cette contrainte n’est-elle pas nécessaire à la construction de la légitimité de l’action internationale? Cette notion est garante à la fois d’une cohérence entre les actions menées et les réalités des territoires engagées et d’une légitimité vis-à-vis de leurs acteurs. Ainsi Antoine Joly, Délégué à l’Action Extérieure des Collectivités Territoriales (DAECT) entre 2003 et 2011 soulève « le paradoxe né de l’orientation prise par la loi de supprimer l’intérêt local juste au moment où cet intérêt devrait être renforcé133 ». La loi Thiollière participe à la légalisation de l’AICT, plus qu’à sa légitimation. En effet, comme le rappelle Robert Fraisse (Commissariat Général du Plan), l’efficacité de l’action publique ne peut venir uniquement de la clarification juridique des compétences des collectivités territoriales134. Ni la loi ni les justifications humanistes de l’action internationale ne suffiront à légitimer l’action internationale et ses impacts sur les territoires français. Malgré ce renforcement progressif du cadre juridique de leur action internationale, les collectivités territoriales sont tout de même de plus en plus amenées à s’interroger sur les réalités de l’intérêt local dans le cas de l’AICT, même lorsque celle-ci est formalisée par des accords-cadres ou des conventions de partenariat. Elles le sont d’autant plus que cette loi, sous sa forme actuelle, laisse aux détracteurs de l’action internationale une fenêtre de tir ouverte pour s’y opposer sur le plan légal.