Cadrage théorique et méthodologie générale

Cadrage théorique et méthodologie générale

Parce que tenter de résumer en quelques lignes l’approche initialement pensée par Rabardel est une entreprise impossible, notre ambition est, ici, d’en révéler les points essentiels et nécessaires à la réflexion menée dans la suite de ce chapitre. Dès 1995, Pierre Rabardel développe, dans le cadre de l’ergonomie cognitive, à la suite des théories de l’activité, l’approche instrumentale. Les transformations des objets matériels et immatériels sont généralement médiées par des dispositifs techno- logiques. La théorie élaborée par Rabardel s’attache aux relations entre l’homme et les technologies d’un point de vue anthropocentré afin d’appréhender le processus de cette médiation. La conception de l’homme dans cette approche est celle d’un sujet socialement situé, porteur de significations et héritier d’une culture qu’il contribue à renouveler.Rabardel suggère d’utiliser le modèle SAI pour caractériser ce qu’il dénomme les classes de situations instrumentées. Ce modèle s’appuie sur les trois pôles : Sujet- Instrument-Objet. Il suggère l’analyse des liens entre ces pôles pour considérer l’en- semble des interactions en jeu dont le sujet doit tenir compte dans son activité instru- mentée. Le sujet est ici l’utilisateur, une personne qui dispose de ressources internes et externes qu’il mobilise au sein de ses activités. Notons que dans ce descriptif, n’ap- parait pas les objectifs de l’utilisateur qui sous tendent son activité. Le pôle Objet est pris ici dans le sens plus restrictif d’éléments sur lesquels porte l’action. Les intentions du sujet ne sont ainsi pas exprimées dans ce modèle.

Cette vision adoptée permet de rentrer plus en détail dans les processus en jeu concer- nant les relations d’un sujet à l’outil utilisé dans son activité. Les phénomènes d’ap- propriation progressive des outils par l’utilisateur peuvent être décrits de manière précise comme celui des « catachrèses » qui sont, par extension de l’acception linguis- tique du mot, l’utilisation d’un outil pour un usage pour lequel il n’a pas été conçu. Ces phénomènes catachrèsiques, conceptualisés au sein de l’ergonomie en termes d’écart prescrit-réel, sont vus dans l’approche instrumentale en tant qu’indices du fait que les utilisateurs contribuent à la conception des usages des artefacts et de leur constitu- tion en instruments, concept central de cette approche. Si son terrain de prédilection demeure l’activité professionnelle, l’ambition est d’englober l’activité humaine. Le rôle de médiateur, attribué aux outils technologiques, conduit à les envisager, non pas seulement depuis leurs propriétés, mais également depuis le statut que le sujet leur donne, en les instituant en tant que moyens au service de son activité.Un premier point de vue essentiel de cette théorie réside ainsi dans la distinction entre l’artefact, c’est à dire l’outil nu, proposé à l’utilisateur, et l’instrument qui est le résul- tat d’un processus d’appropriation, par une personne donnée, dans la confrontation à des situations données. En ce sens, les artefacts sont considérés comme capables de transformer les activités d’un sujet.Mais ils ne sont que des propositions instrumentales, lesquelles seront saisies en par- tie ou totalement par les utilisateurs et instituées en instruments au service de leurs activités.L’instrument se différencie donc de l’artefact et constitue une entité composite, puis- qu’il tient à la fois du sujet et de l’artefact.

Intermédiaire entre le sujet et l’objet de l’activité, l’instrument est constitué de deux composantes en relation étroite : Le sujet agit donc sur l’objet avec l’instrument. Dans cette activité médiatisée, l’ins- trument est adapté simultanément à l’objet et au sujet. Les instruments sont donc des invariants de l’activité, ils l’organisent.La notion de schème d’utilisation est définie par Rabardel selon la tradition pia- gétienne 1 et spécifiée à un travail dans un environnement informatisé. Les schèmes d’utilisation (Sh.U.) désignent les structures qui permettent à un individu d’organiser son action et de l’adapter aux situations qu’il rencontre dans un environnement in- formatisé. Ils se répartissent en trois catégories qui concernent différentes dimensions de l’activité du sujet :Cette différenciation est par exemple utile pour comprendre certaines difficultés d’uti- lisation d’outils. Pour une même action instrumentée, des difficultés peuvent provenir de l’une ou l’autre de ces catégories de schèmes.Les schèmes d’utilisation résultent d’une double construction de l’expérience per- sonnelle et d’une transmission plus ou moins formalisée : depuis les renseignements transmis d’un utilisateur à l’autre, jusqu’aux formations structurées autour de l’outil, en passant par les concepteurs des artefacts qui impriment à chaque outil sa fonction, à chaque service sa finalité. Cette dimension sociale des schèmes conduit Rabardel à les qualifier de schèmes sociaux d’utilisation (Sh.S.U.). Ces schèmes sont ainsi liés, d’une part aux artefacts susceptibles d’avoir un statut de moyen, d’autre part, aux objets sur lesquels ces artefacts permettent d’agir.

 

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