Autres dérives
Nous terminerons ce panorama du rapport qu’eurent les étudiants avec la délinquance, en observant des cas particuliers ou ponctuels, liés à des circonstances (politique, guerre), à des pratiques interdites (exercice illicite de la médecine), à des délits exceptionnels (incendiaires), et enfin des actes criminels dont ces étudiants ne furent pas les auteurs mais les victimes. Les sources nous ont laissé peu de traces d’étudiants qui participèrent d’une façon ou d’une autre à la guerre, et nous pouvons raisonnablement penser qu’effectivement, ils furent peu nombreux à s’adonner à une activité peu compatible avec leurs études. Il arriva cependant que certains d’entre eux prennent le parti des Anglais et les aident de près ou de loin. Rappelons que parmi les universitaires, se retrouvaient des jeunes gens de toutes origines, et que, même si à certaines périodes où le conflit fut le plus ouvert, les écoliers anglais quittèrent la France, il n’en demeure pas moins que, parmi tous les étrangers, tous n’appartenaient pas au même camp. Et puis, au moment de la véritable guerre civile qui opposa Armagnacs et Bourguignons, personne ne pouvait rester indifférent au conflit, et en particulier à Orléans et à Paris où l’Université toute entière fut impliquée. Chaque étudiant concerné eut probablement à choisir son parti. Peut-on alors parler de délinquance même s’il risquait de se retrouver en prison ? Ce fut le cas, par exemple, d’un certain Bertrandus de Moto, étudiant à Orléans, en faveur duquel le pape Innocent VI lui-même intervînt en août 1356 pour obtenir sa libération, alors qu’il avait été arrêté « dans le silence de la nuit » et enfermé au Châtelet de la étudiait encore à Paris la théologie en 1414, lorsqu’il fit la connaissance de Richard Courtenay, un évêque anglais qui, semble-t-il, le gagna à la cause de son pays.
En juin 1415, il obtenait son baccalauréat et profitait des vacances pour se rendre outre-Manche. Soupçonné de trahison, il fut arrêté dès son retour en France, le 6 septembre. D’abord incarcéré au Châtelet, il fut transféré dans la prison épiscopale au mois de janvier. Le procès qui lui fut intenté n’apporta pas les preuves évidentes de sa culpabilité et en juillet 1416, il était remis en liberté mais banni de la capitale française. Il alla dès lors s’installer dans les Ardennes, sa région natale. Les périodes de guerre furent aussi l’occasion d’exactions diverses auxquelles se livrèrent des hommes de guerre, qui virent parfois s’adjoindre à eux des étudiants. Ainsi, au mois d’août 1411, les hommes de Charles, duc d’Orléans, traversèrent la cité des bords de Loire où Regnault Sequart le jeune, âgé de vingt ans, y faisait ses études. Robin Renoul, oncle de la fiancée de Regnault, vint trouver ce dernier en l’hôtel où il demeurait avec d’autres écoliers et le convainquit de suivre le duc. Regnault partit avec des partisans de ce dernier, pour Jargeau, Paris, Saint-Denis, Saint-Cloud, et se livra avec eux à plusieurs « homicides, larcins, ravissements de femmes, feux boutés et autres maux ». Sur les conseils de sa mère, il revint à Orléans pour y poursuivre ses études, mais sur le chemin du retour, il rencontra un certain Compaignon des Essars qui avait été écolier avec lui, qui le dénonça et le fit jeter dans la prison du Châtelet de Paris588. La guerre fut aussi pour certains, un temps d’exil forcé qui put les priver de toutes ressources, les contraignant à exercer certaines activités en marge de la loi.
Nous avons ainsi déjà évoqué le cas de Robert Masselin, cet étudiant normand qui, de retour de l’île de Chypre où il s’était réfugié au moment de l’entrée de Bourguignons à Paris, se mit à faire des faux en échange d’une rémunération. Si les confrontations entre écoliers et représentants de l’autorité furent, nous l’avons vu, des événements récurrents tout au long de notre période, des causes liées à la politique extérieure de la France ou plus généralement du lieu où se trouvait l’Université, semblent avoir été rares. Nous en avons cependant relevé un qui reflète assez bien l’état d’esprit et ce dernier venait tout juste d’accepter une proposition du pape Martin IV, qui avait excommunié le roi d’Aragon Pierre III et avait offert la couronne de ce dernier au roi de France. Mais pour la conquérir, il fallait que celui-ci aille au-delà des Pyrénées, se battre contre cet ennemi espagnol peu décidé à se laisser ainsi déposséder. L’affaire qui nous intéresse débuta le soir du dimanche des Brandons. En ce jour d’une fête populaire destinée à « chasser le vieil hiver » et à célébrer le début du carême, des feux avaient été allumés dans toute la ville, comme c’était la coutume. Le soir, après le couvre-feu, quatre sergents qui effectuaient leur ronde, tombèrent sur un homme qui portait un long couteau pointu à la ceinture. Conformément aux ordonnances, ils le lui prirent, provoquant les bruyantes protestations du jeune homme qui était le valet d’étudiants demeurant à proximité. Attirés par les cris, ceux-ci se précipitèrent au secours de leur serviteur, et exigèrent sa libération immédiate ainsi que la restitution de l’arme.
Mais les forces de l’ordre refusèrent d’obtempérer et une première bagarre s’ensuivit, provoquant la blessure de deux des sergents qui, en infériorité numérique, préférèrent se retirer. Le lendemain lundi soir, le prévôt décida de se rendre lui-même, avec plusieurs de ses hommes, à l’endroit où avait eu lieu l’incident, afin d’identifier les coupables. Arrivé devant la maison où logeaient les étudiants, il frappa à l’huis et de l’étage il entendit demander « Qui est là ? ». Le représentant de l’ordre se présenta « c’est le prévôt du roi ». Ce à quoi, il reçut comme réponse quelque chose comme « Merde au prévôt, merde au roi, courez au mauvais destin avec votre roi en Espagne ! ». Des pierres commencèrent à s’abattre sur la compagnie puis des flêches et des carreaux d’arbalètes. Malgré son casque de protection, le prévôt fut légèrement blessé à la joue. Un des sergents eut un œil crevé, un autre fut touché au bras. Face à cette attaque, il fallait donner l’assaut, ce qui fut fait avec l’appui des habitants du voisinage qui, à l’exception d’un couple dont la femme était enceinte, acceptèrent tous de prêter main forte à l’autorité. Des tables furent réquisitionnées pour enfoncer la porte. Après une nouvelle sommation qui déclencha, pour toute réponse, une nouvelle volée de fléchettes et de pierres ainsi que des « Hou ! Hou ! chiens d’Orléans ! » à l’encontre des bourgeois, le prévôt et ses hommes pénétrèrent à l’intérieur. Il ne trouva alors qu’une maison quasiment vide, la plupart des étudiants ayant réussi à fuir à temps par les toits. Ceux qui n’avaient pu s’échapper furent arrêtés et remis au doyen d’Orléans.