Biodiversité et maladies infectieuses
APPROFONDISSEMENT THÉORIQUE
L’intérêt récent pour les questions reliant biodiversité et maladies infectieuses s’accompagne encore de faiblesses théoriques et d’un manque de données de terrain sur lesquelles s’appuyer. Parmi les 202 études répertoriées par Civitello et al. (2015), seules 34 sont basées sur des observations de terrain (et non pas sur des manipulations expérimentales). La difficulté à caractériser directement et simultanément la diversité de la faune sauvage et la prévalence d’agents infectieux explique probablement le nombre limité d’études réalisées en conditions naturelles, bien que celles-ci soient essentielles à la validation d’hypothèses écologiques. Par ailleurs, du fait de son développement récent et de sa nature transdisciplinaire, ce champ de recherche souffre encore d’un manque d’homogénéité lexical et conceptuel. La biodiversité, un terme désignant la diversité de la vie sous toutes ses formes, revêt plusieurs facettes et peut être quantifiée par différents indices. Des indices prenant en compte l’abondance relative des espèces (e.g. l’indice de Shannon) paraissent plus adaptés que la richesse en espèce brute pour étudier l’effet des modifications dans la structure des communautés sur la circulation des pathogènes. Par ailleurs, l’emploi de la diversité phylogénétique ou fonctionnelle plutôt que de la diversité taxonomique peut constituer une approche judicieuse, notamment pour l’étude des pathogènes multi-hôtes. Par exemple, Parker et al. (2015) montrent expérimentalement que la sévérité et la prévalence des infections chez une espèce végétale sont mieux prédites lorsque que l’abondance des espèces phylogénétiquement proches est considérée. De façon similaire, les mesures de risque infectieux employées ne sont pas toujours les mêmes selon les études, variant entre prévalence absolue chez les hôtes ou les vecteurs, taux de prévalence, diversité parasitaire ou nombre de cas humains. Ces confusions portent sur des aspects pratiques de la recherche, mais révèlent des problèmes de cohérence plus fondamentaux dans la définition des problématiques. Les raccourcis sémantiques employés dans la littérature peuvent laisser croire à l’existence d’une théorie générale de « l’impact de la biodiversité sur l’émergence et la transmission des maladies infectieuses » (Keesing et al. 2010). Il faut pourtant distinguer les questions d’ordre biogéographique, visant à expliquer les patrons de diversité parasitaire à l’échelle planétaire, de celles portant sur les conséquences de perturbations locales des écosystèmes sur le cycle de transmission des pathogènes (Figure 8a).
EFFET DE DILUTION ET MALADIES VECTORIELLES
Bien que le concept d’effet de dilution se rapporte initialement au cas particulier des maladies vectorielles, et que ces dernières constituent une part importante des maladies infectieuses émergentes et réémergentes (Taylor et al. 2001), le rôle de la communauté d’arthropodes vecteurs n’a reçu que peu d’attention dans les recherches sur les liens existant entre biodiversité et maladies infectieuses. Si un certain nombre de travaux ont permis d’explorer les effets de la diversité et de la composition des communautés d’hôtes sur le cycle de transmission des pathogènes, le compartiment vectoriel n’est généralement pas considéré en détail. Les arthropodes vecteurs représentent une composante à part entière des écosystèmes, et leur sensibilité aux perturbations d’origine humaine a vraisemblablement des conséquences épidémiologiques. L’une des premières questions soulevées est celle des effets de la diversité d’hôtes vertébrés sur l’abondance des vecteurs. Si une plus grande diversité d’hôtes Introduction générale 34 représente une plus grande quantité de ressources disponibles pour les arthropodes hématophages, il est envisageable qu’elle conduise à une augmentation de leur densité. Or, un effet de dilution induit par la présence d’un hôte non compétent peut être contrebalancé si elle entraine également une augmentation du nombre de vecteurs, via deux mécanismes interconnectés: (i) le ratio du nombre de vecteurs sur le nombre d’hôtes réservoirs est un facteur de transmission important et son augmentation conduit à une plus grande fréquence d’infection (Keeling & Rohani 2008), (ii) à fréquence d’infection donnée, une augmentation de la densité de vecteurs se traduit directement par une augmentation de la densité de vecteur infectés, et donc, du risque de transmission. La relation entre abondance des vecteurs et diversité d’hôte est conditionnée par la capacité du vecteur à se nourrir sur différentes espèces d’hôtes et le caractère limitant de la prise de repas sanguin dans son cycle de vie. Ces conditions sont typiquement considérées comme réunies pour les tiques qui sont relativement généralistes et peu mobiles, dont la survie est dépendante du passage d’hôtes vertébrés à proximité. Sous réserve que l’augmentation de la diversité d’hôte s’accompagne d’une augmentation de leur densité totale, elle est susceptible de contribuer à la prolifération de la population de tiques. La non-prise en compte de ce phénomène dans la modélisation du risque de transmission peut conduire à un résultat biaisé, un problème qui fut au cœur des critiques de l’effet de dilution (Randolph & Dobson 2012). Il a été démontré empiriquement que l’extirpation de certaines espèces (i.e. un réduction de la biodiversité) peut conduire à une réduction drastique de la densité de tiques infectées et donc du risque de transmission (Laurenson et al. 2003; Rand et al. 2004; Swei et al. 2011). Par opposition au cas des tiques, la densité de moustiques est classiquement considérée comme limitée par la disponibilité de sites de reproduction, et relativement indépendante de la densité d’hôtes dans le milieu (Dobson 2004). Ceci s’explique par leur grande mobilité qui permet une recherche active de repas sanguins. Toutefois, ici encore, des contre-exemples existent. Dans une étude menée au Pakistan, la présence de bétail à proximité du foyer a été associée à une prévalence accrue du paludisme, possiblement via un effet positif sur la population de moustiques, contredisant ainsi les prédictions du principe de zooprophylaxie analogue à l’effet de dilution. Ces travaux focalisés sur un hôte vertébré supportant localement une proportion importante de repas-sanguins pour les vecteurs ne permettent pas de conclure à la généralité d’une relation positive entre diversité d’hôtes et prévalence des pathogènes. En revanche, ils constituent des contre-exemples à l’effet de dilution ayant un fort impact en termes de santé Biodiversité et maladies infectieuses : hypothèse de l’effet de dilution 35 publique. Il est donc essentiel de prendre en compte la démographie des vecteurs dans ce type d’étude. La préférence trophique des vecteurs est un autre facteur conditionnant la réalisation d’un effet de dilution. Les arthropodes hématophages varient grandement dans leur degré de spécialisation sur certains hôtes. Les tiques du genre Ixodes sont par exemple typiquement considérées comme très généralistes, pouvant se nourrir sur une grande diversité de vertébrés incluant des oiseaux, des mammifères et des reptiles (James & Oliver 1990). A l’extrême inverse, les mouches hématophages de la famille des Nycteribiidae sont pour la plupart associées à une seule espèce de chauves-souris (Dick & Patterson 2007). Un pathogène transmis par un vecteur très spécialisé devrait n’être que peu impacté par des changements de biodiversité, car la plupart des espèces présentes dans les communautés n’interviennent pas dans son cycle de transmission (Ostfeld & Keesing 2000b). Comme les cas de spécialisations extrêmes sont rares chez les vecteurs de maladies, une considération classique est que leurs préférences trophiques peuvent atténuer un effet de dilution mais ne devraient pas l’annuler totalement.
LES LEISHMANIOSES : ASPECTS CLINIQUES ET BIOLOGIQUES
GÉNÉRALITÉS
Les leishmanioses sont un ensemble de maladies causées par des parasites du genre Leishmania Ross, 1903. Les Leishmania sont des protozoaires flagellés de la famille des Trypanosomatidae (Kinetoplastida), transmis par la piqûre de petits diptères hématophages, les phlébotomes (Psychodidae, Phlebotominae). La plupart des leishmanioses affectant l’homme sont zoonotiques, leur cycle de transmission impliquant des hôtes réservoirs mammifères domestiques et sauvages. Ces maladies se manifestent par différentes formes cliniques chez l’homme, dépendant en grande partie de l’espèce de Leishmania en cause: leishmaniose viscérale (LV), la leishmaniose cutanée localisée (LCL) ou cutanée diffuse (LCD) et la leishmaniose cutanéomuqueuse (LCM). L’homme est confronté aux leishmanioses depuis des temps anciens, comme l’indique l’existence de descriptions de lésions évoquant fortement la leishmaniose cutanée datant d’environ 2500 ans av. J.-C., et la découverte d’ADN leishmanien chez des momies de l’Egypte antique (Zink et al. 2006; Akhoundi et al. 2016). Les premières descriptions cliniques détaillées de la leishmaniose viscérale datent quand à elles du 18ème siècle en Inde, mais le parasite ne fut formellement identifié qu’au début du 20ème siècle. Aujourd’hui, les leishmanioses sont largement réparties dans le monde, principalement en zone intertropicale, mais débordant en zone tempérée (Figure 14). Elles sont endémiques dans 98 pays appartenant à quatre continents. On estime qu’elles sont responsables de plus d’un million de cas chaque année, et de 20,000 à 40,000 décès (Alvar et al. 2012). Touchant essentiellement les populations les plus pauvres, elles sont classées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme maladies tropicales négligées.
CYCLE PARASITAIRE, PHYSIOPATHOLOGIE ET FORMES CLINIQUES
D’après Dedet (2009). Les Leishmania, présentes sous forme amastigote dans la peau ou le sang d’un mammifère infecté, sont ingérées par un phlébotome à l’occasion d’un repas sanguin (Figure 15). Dans le tube digestif du vecteur, ces parasites se transforment rapidement en promastigotes puis traversent la membrane péritrophique. Après une phase de multiplication Introduction générale 40 dans la lumière de l’intestin, ils migrent vers la partie antérieure du tube digestif où ils deviennent infestant (les promastigotes métacycliques), qui seront injectés chez un nouvel hôte mammifère lors d’une piqûre ultérieure.
REMERCIEMENTS |