PERTURBATION DE LA DYNAMIQUE DE
L’HETEROCHROMATINE
La chromatine
Organisation de la particule nucléosomale
Le premier niveau d’organisation de la fibre d’ADN dans le noyau des cellules eucaryotes repose sur son empaquetage sous forme de nucléosomes. C’est en 1974 que Kornberg et Thomas proposent que le nucléosome constitue l’unité de base de la chromatine (Kornberg 1974; Kornberg and Thomas 1974). Ils décrivent cette particule dont le coeur est constitué par un octamère d’histones autour duquel s’enroule un segment d’ADN de 147 paires de bases (pb) (Voir figure 1). Cet octamère d’histones est lui-même assemblé à partir de deux copies de chacune des histones nucléosomales H2A, H2B, H3 et H4 (Luger, Mader et al. 1997). Selon le modèle communément admis, les histones produites en phase S sous le contrôle du système E2F/Rb sont assemblées en nucléosomes au cours de la réplication selon un mode séquentiel. L’hétérotétramère (H3-H4)2 s’associe tout d’abord à l’ADN et cette association est suivie par la déposition des deux hétérodimères H2A-H2B (Wilhelm, Wilhelm et al. 1978; Smith and Stillman 1991). Nous verrons plus tard comment l’expression et l’incorporation dans la chromatine, en dehors de la phase S, de variants d’histones jouent un rôle essentiel dans de nombreux processus cellulaires. Les interactions hétérodimèriques entre histones nucléosomales reposent sur le motif protéique Histone Fold Domain (HFD) (Arents and Moudrianakis 1995) qui permet des interactions dites « en poignée de main » (Voir figure 2). Le contact entre les histones du cœur nucléosomal et l’ADN repose essentiellement sur des interactions électrostatiques et des liaisons hydrogènes entre les histones localement chargées positivement et le squelette phosphodiester de l’ADN. Ce mode d’interaction explique l’absence de spécificité de séquence des nucléosomes. Néanmoins, si les nucléosomes peuvent s’assembler sur virtuellement n’importe quelle séquence d’ADN, la composition nucléotidique influence directement le positionnement du nucléosome (Travers and Klug 1987; Sivolob and Khrapunov 1995; Fitzgerald and Anderson 1999). Outre le domaine HFD d’hétérodimérisation formant leur cœur globulaire hautement structuré, les histones nucléosomales arborent à leurs extrémités amino-terminales (et également carboxyterminales pour les histones H2A et H2B) des domaines libres non structurés. Comme nous le verrons plus loin, ces extrémités flexibles hautement basiques (particulièrement les extrémités amino-terminales) sont le substrat de nombreuses enzymes générant des modifications post-traductionnelles qui jouent une fonction clé dans le contrôle de la structure de l’hétérochromatine ( pour revue (Peterson and Laniel 2004)).
De la fibre de 11 nm à la fibre de 30 nm
Les nucléosomes sont connectés entre eux par L’ADN linker, de taille variable, pour former la fibre de chromatine de 11 nm dont la structure fût comparée à un collier de perles (Olins and Olins 1974). Cet ADN linker est le plus souvent associé à une cinquième protéine histone, l’histone H1 également appelée histone linker. Ces histones stabilisent le niveau supérieur de compaction de la chromatine qu’est la fibre de 30 nm (Thomas 1999) et modulent la distance entre les nucléosomes (Koop, Di Croce et al. 2003; Fan, Zhang et al. 2005). Bien que les régions de chromatine actives en transcription soient relativement plus pauvres en histone H1 que les régions transcriptionnellement inactives (Zlatanova, Caiafa et al. 2000), les études récentes menées sur divers organismes eucaryotes mutés pour les gènes codant H1 ne confirment pas le rôle de répresseur global de la transcription longtemps prêté à ces protéines (Shen and Gorovsky 1996; Hellauer, Sirard et al. 2001; Fan, Zhang et al. 2005). Ces études suggèrent plutôt un rôle d’H1 dans le contrôle fin de gènes ou de classes de gènes spécifiques, comme les gènes H19 et Igf2 soumis à l’empreinte parentale chez la souris (Fan, Zhang et al. 2005). H1 pourrait même dans certains cas jouer un rôle positif sur l’activation de la transcription comme cela a été montré pour la transcription hormono-dépendante du virus MMTV (Vicent, Koop et al. 2002; Koop, Di Croce et al. 2003). La structure de la fibre de 30 nm a longtemps été sujette à polémique, plusieurs modèles ayant été proposés (voir figure 3). La récente élucidation de la structure cristallographique d’un tétranucléosome à une résolution de 9 Å par l’équipe de Richmond – à qui l’on devait déjà les résolutions de la structure du nucléosome à 7 Å (Richmond, Finch et al. 1984), 2,8 Å (Luger, Mader et al. 1997) et 1,9 Å (Davey, Sargent et al. 2002), a apporté un argument capital en faveur du modèle en zig-zag (double hélice entrelacée) de la fibre de chromatine de 30 nm (Dorigo, Schalch et al. 2004; Schalch, Duda et al. 2005). Ces travaux risquent ainsi de mettre fin à la polémique entre partisans du modèle de solénoïde initialement proposé par Finch (Finch and Klug 1976) et ceux des différents modèles de la double-hélice surenroulée ou entrelacée (zig-zag). Les études les plus récentes, qu’elles soient basées sur des approches expérimentales (Rydberg, Holley et al. 1998; Cui and Bustamante 2000), qu’il s’agisse d’observations en microscopie électronique (Bednar, Horowitz et al. 1998) ou de modélisation informatique (Woodcock, Grigoryev et al. 1993; Katritch, Bustamante et al. 2000) semblaient d’ailleurs favoriser ce dernier (Voir figure 3). Le travail de Dorigo et al. a par ailleurs permis de démontrer que les extrémités amino-terminales des histones (à l’exception de la base de celle de H4) jouaient un rôle mineur dans ce niveau d’organisation (Dorigo, Schalch et al. 2003). En effet, des histones recombinantes dépourvues de leur extrémité flexible (sauf pour les résidus 14 à 19 de l’histone H4), maintiennent leur potentiel à générer, en présence de sels et en l’absence de H1, une structure compacte de type fibre de 30 nm. En revanche, la délétion des acides aminés 14 à 19 de H4 abolit totalement la compaction du faisceau de nucléosomes confirmant le rôle essentiel de ces résidus dans ce processus, rôle déjà mis en avant par une précédente étude (Luger, Mader et al. 1997). Les auteurs montrent également dans cette étude que l’introduction d’un pont disulfure entre la base de l’extrémité aminoterminale de H4 et les domaines globulaires de H2A provoque une stabilisation du réseau compact de nucléosomes (Dorigo, Schalch et al. 2004).
Les modifications des histones et le code des histones
Les extrémités amino-terminales libres et non-structurées des histones arborent des modifications de différentes natures qui influencent les propriétés structurales de la chromatine et ont un impact direct sur son niveau de condensation. La nature réversible de ces modifications (Waterborg 2002; Lam, Pazin et al. 2005) permet un contrôle de l’expression génique ainsi qu’un découpage du génome en domaines fonctionnels. Parce que ces différentes modifications corrèlent avec différents états transcriptionnels, l’hypothèse d’un « code des histones » a ainsi été proposée (Strahl and Allis 2000; Turner 2000; Jenuwein and Allis 2001; Fischle, Wang et al. 2003). Selon cette hypothèse, les différentes combinaisons de modifications des histones attribuent une identité à chaque nucléosome et sont lues dans la cellule comme des « codes barres » moléculaires par des machineries capables de générer des états spécifiques de la chromatine. Une telle théorie d’un code des histones suppose l’existence, à la fois de protéines ou complexes protéiques capables d’opérer ces modifications post-traductionnelles des histones mais aussi de machineries capables de déchiffrer ce langage (de la Cruz, Lois et al. 2005; Yang 2005). Nous détaillerons dans le chapitre suivant les différentes découvertes qui ont conduit à ce nouveau paradigme du code des histones, de l’identification des différentes modifications et de leur rôle dans le contrôle de l’expression génique à la caractérisation des facteurs protéiques intervenant dans la lecture et/ou l’écriture de ce code. Les principales modifications post-traductionnelles des histones sont l’acétylation des résidus lysines (K) (Allfrey, Faulkner et al. 1964; Brownell and Allis 1996), la mono-, diou tri-méthylation des lysines (Rea, Eisenhaber et al. 2000; Lachner and Jenuwein 2002; Lachner, O’Sullivan et al. 2003), la mono-méthylation et la di-méthylation symétrique ou asymétrique des arginines (R) (Lee, Cook et al. 2005; Wysocka, Allis et al. 2006), la phosphorylation des sérines (S) et des thréonines (T) (Paulson and Taylor 1982; Nowak and Corces 2004), la biotinylation (Camporeale, Shubert et al. 2004; Chew, Camporeale et al. 2005; Kothapalli, Camporeale et al. 2005), l’ubiquitination et la sumoylation des lysines (Levinger and Varshavsky 1982; Gill 2004; Osley 2004), la citrullination (déimination) des arginines (Wang, Wysocka et al. 2004; Yang 2005) et enfin la mono (ADP-rybosyl)ation des résidus arginines ou glutamates (E) (Burzio, Riquelme et al. 1979; Jump, Butt et al. 1979; Kreimeyer, Wielckens et al. 1984).
I. Introduction
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