Annoter les émotions
L’annotation des émotions telle qu’elle est envisagée dans notre schéma d’annotation repose tout d’abord sur le repérage de situations émotionnelles (Unités SitEmo) et des segments renvoyant aux individus affectés par ces émotions, les expérienceurs (Unités Experienceur). Ces deux types d’Unités sont reliés par la Relation Affecte. Le schéma prévoit également l’annotation des segments qui expriment les causes d’une situation émotionnelle (Unités SitCause) et de ceux qui en désignent les conséquences (Unités SitConsequence). Enfin notre schéma permet de rendre compte de l’organisation d’un passage émotionnel (Schéma PassageEmo) en mettant en relation toutes les Unités SitEmo participant de l’expression d’une même émotion, ainsi que les Unités SitCause et SitConsequence qui y sont sémantiquement liées. Les critères intégrés dans notre schéma pour l’annotation des émotions sont issus de travaux psycholinguistiques portant sur l’étude de la compréhension de textes par les enfants et de travaux de linguistiques s’intéressant à l’expression des émotions (cf. partie B sections 1, 3 et 5). Pour l’annotation des situations émotionnelles, nous nous intéressons au mode d’expression de l’émotion, en distinguant les émotions directement désignées par un terme du lexique émotionnel (Paul est heureux.), de celles véhiculées par la description d’un comportement de personnage (Paul sourit.), par la description d’une situation conventionnellement associée à cette émotion (C’est l’anniversaire de Paul. Il a reçu plein de cadeaux.) ou encore par les caractéristiques linguistiques de l’énoncé lui-même (« Chouette »), comme illustré dans le tableau 1. Le trait « Mode » correspond à un critère central de notre schéma d’annotation puisque le mode d’expression d’une émotion influence la compréhension que les enfants ont non seulement de l’émotion mais également de la situation décrite dans son ensemble (Blanc 2010 ; Creissen et Blanc, 2017). De plus, ce critère est primordial pour effectuer une analyse linguistique rigoureuse de la verbalisation des émotions ne prenant pas uniquement en compte le lexique émotionnel (Micheli, 2014).
Les caractéristiques des modes d’expression des émotions sont détaillées dans les sections suivantes. Un arbre de décision conçu pour aider l’annotateur à distinguer ces différents modes de verbalisation des émotions est joint à ce guide en Annexe 4.L’annotateur considérera comme émotion Comportementale (i.e. une Unité SitEmo ayant « Comportementale » pour valeur du trait « Mode ») tout segment textuel renvoyant à une manifestation physiologique (pleurer, sangloter, frissonner, sursauter, rougir, etc.), à un comportement (taper du poing, bloquer des routes, manifester, se mettre en grève, danser, sautiller etc.) ou à une attitude discursive (accuser, critiquer, reprocher, protester etc.) lié à un ressenti émotionnel. Les exemples (2), (3) et (4) illustrent cela. ATTENTION. Si un même segment textuel combine une manifestation comportementale de l’émotion et un terme du lexique émotionnel (cf. exemples (5) et (6)), deux Unités SitEmo doivent être créées : une première Unité pour annoter le label émotionnel (émotion Désignée) et une seconde Unité pour englober l’ensemble du segment textuel (émotion Comportementale).Une émotion est dite Désignée lorsqu’elle est exprimée au moyen d’un terme du lexique émotionnel, aussi appelé label émotionnel. Tous les termes (ou groupes de termes) qui désignent directement l’émotion en jeu, qui la nomment explicitement sont annotés avec une Unité SitEmo, ayant « Designee » comme valeur pour le trait « Mode » (cf. exemples (7) et (8)).
De manière générale, l’annotateur est tenu de repérer tous les segments émotionnels de type émotion Désignée. Si le sens d’un terme du lexique émotionnel est affecté par des marques de modalité (négation, marques hypothétiques, etc.), le label émotionnel doit malgré tout être annoté par une Unité SitEmo et ce même si le ressenti émotionnel est explicitement nié ou mis en doute par exemple (cf. exemples (9) à (14)). La partie de notre schéma d’annotation dédiée à l’analyse temporelle des textes (entendue, pour rappel, au sens large, c’est à dire en faisant référence aux catégories de temps, d’aspect, de modalité et d’énonciation)permettra, lors d’une autre étape d’annotation, d’identifier les marqueurs de modalité et de rendre compte de l’interaction entre la modalité et l’expression de l’émotion (ex. émotion hypothétique ou avérée). Si l’exclusion des marques de modalité occasionne la séparation de l’Unité SitEmo en plusieurs Unités, la Relation Discontinue servira à les relier (cf. partie A section 3).(personnage de l’histoire, Narrateur ou Scripteur) éprouve une émotion, alors l’énoncé produit peut comporter des marques linguistiques de l’état émotionnel de l’énonciateur. Ce sont ainsi les caractéristiques lexicales, syntaxiques, etc., de l’énoncé qui montrent que le locuteur ressentait une émotion et sur lesquelles l’interlocuteur (ou lecteur) s’appuie pour inférer l’état émotionnel de l’énonciateur. Les segments textuels qui montrent l’émotion sont très hétérogènes. Ils peuvent prendre la forme de structures syntaxiques (énoncés exclamatifs, averbaux, clivés, pseudo-clivés, dislocation gauche ou droite, accumulation etc.), de marques lexicales (interjections, termes ayant une connotation particulière, termes exprimant un jugement etc.) ou de signes typographiques (points de suspension, points d’exclamation, etc.). (Micheli, 2014)