Modélisation numérique de la marée interne
Impact sur l’environnement océanique
Par le biais de tous ces processus, les ondes internes jouent un rôle primordial pour le transport de chaleur, de sel, d’éléments nutritifs, de polluants et de sédiments. Les forts courants induits par les marées internes de grande amplitude constituent également une menace pour les plateformes de forage offshore (P. Hyder, 2005). Leurs mouvements verticaux peuvent aussi affecter les véhicules sous-marins en mouvement.
Des impacts dynamiques
Elles sont susceptibles de modifier les propriétés de la couche de mélange (profondeur, masse volumique), en provoquant un mélange à la base de celle-ci, notamment lorsqu’elles déferlent dans la pycnocline. Une représentation correcte de cet effet est importante pour les modèles de prévision du temps et du climat, conditionnant les échanges océans-atmosphère (Friedrich et al., 2011). Elles jouent également un rôle primordial dans la distribution des masses d’eaux océaniques (KochLarrouy et al., 2007).
Des impacts biologiques : des premiers maillons de la chaine trophique aux prédateurs marins
Les ondes internes peuvent aussi avoir des impacts biologiques significatifs. Elles peuvent entrainer la remise en suspension des sédiments marins dans les basses couches. Le mélange qu’elles induisent à travers la pycnocline peut également entrainer une remontée des sels nutritifs vers les eaux de surface oligotrophes et entretenir ainsi la croissance biologique dans l’océan superficiel. Les importantes vitesses verticales associées à ces ondes peuvent aussi provoquer une redistribution du plancton dans la couche de mélange, impactant les concentrations de chlorophylle près de la surface et possiblement la production primaire (Muacho et al., 2013). La formation de bandes de fortes concentrations de phytoplancton dues à la propagation d’ondes internes vers la côte (vers la droite) est particulièrement bien visible sur la Figure 1.23. Figure 1.23 : Bandes de forte concentration de Lingulodinium polyedrum, associées à la propagation d’ondes internes, à environ 1 km de la côte de La Jolla (USA). Les ondes se propagent vers la côte (vers la droite). Au niveau du front des ondes internes, la plongée des eaux résulte en une faible concentration du phytoplancton en surface (couleur de l’eau bleu foncé) et par le déferlement des vagues de surface avec formation d’écume. A l’arrière des ondes, la remontée des eaux résulte en une forte concentration de phytoplancton (couleur de l’eau vert-marron). (Tiré de Franks, 1997) Chapitre 1 : Introduction 32 De récentes études (Moore and Lien, 2007) ont montré que les baleines pourraient exploiter l’agrégation de proies associée à la propagation d’ondes internes de grande amplitude. Des ondes se propageant sur le plateau de Dongsha (mer de Chine) entrainent une remontée des nutriments et du plancton vers l’océan superficiel, propice aux développements de poissons et de calmars (Figure 1.24). Durant deux jours, un groupe de six baleines pilotes (Globicephala macrorhynchus) a été observé suivant ces ondes internes. La présence d’ondes internes de grandes amplitudes pourrait donc également impacter le comportement des animaux marins. Figure 1.24 : Aperçu des conditions de surface de la mer associées à la propagation d’ondes internes, associé à un schéma représentant la dynamique de l’onde. Les ondes internes observées près de l’île de Dongsha, dans le sud de la mer de Chine, ont une longueur d’onde d’environ 1 km, des amplitudes supérieures à 150 m, avec des courants horizontaux atteignant 2 m/s. Au niveau du front de l’onde, la plongée des eaux entraine le déferlement des vagues de surface avec formation d’écume. A l’arrière, là où les baleines pilotes se situent, la remontée des eaux crée des petites bulles à la surface et pourrait amener des nutriments, du plancton et une forte concentration de poissons et calmars. (Adapté de Moore and Lien, 2007)
Approche méthodologique
Une étude multi-outils et multi-échelles des ondes de marée interne
La marée interne générée sur une topographie est donc un élément clé des transferts énergétiques des échelles de forçage de l’océan vers les échelles de mélange turbulent. Elle contribuerait à près de la moitié du mélange turbulent nécessaire au maintien de la stratification océanique. Une compréhension plus approfondie des processus mis en jeu est alors nécessaire pour décrire plus précisément son rôle dans le maintien de la circulation océanique. Les mesures in situ de marée interne constituent une référence mais sont difficiles du fait de la complexité et de la diversité des phénomènes océaniques observés. La représentation explicite et simultanée de la génération, de la propagation et du déferlement de la marée interne dans les modèles numériques est assujettie à des choix de paramétrisations dont le réalisme dépend de notre niveau de compréhension des phénomènes.
Etude de processus à l’aide de configurations idéalisées à l’échelle du laboratoire
Dans ce contexte, la simulation physique et la simulation numérique directe (DNS), constituent des outils intéressants pour l’étude des processus physiques de la marée interne. Elles permettent d’accéder à un jeu de donnée complet et précis sur des configurations académiques et ainsi de pouvoir décortiquer les différents processus en jeu. Cette thèse s’inscrit dans le contexte de la collaboration établie entre le CNRM-GAME et le Laboratoire d’Aérologie. Cette collaboration a déjà conduit à la réalisation de deux thèses effectuées par Floor (2009) et Dossmann (2012) portant sur la génération d’ondes internes topographiques et se basant sur l’utilisation complémentaire d’expériences physiques et numériques à l’échelle du laboratoire. L’utilisation simultanée de ces deux outils a notamment permis d’évaluer la validité des hypothèses sous-jacentes au modèle numérique et le développement de nouveaux schémas numériques. Dans le cadre de cette thèse, des simulations numériques quasi-directes (quasi-DNS), utilisant la version non-hydrostatique et non-Boussinesq du modèle d’océanographie côtière SNH (Auclair et al., 2011, 2014) sont utilisées pour décrire les différents régimes d’ondes internes dans des régions « supercritiques ». Le terme supercritique désigne à la fois des courants intenses de marée dont la vitesse U est supérieure à la vitesse de propagation des ondes internes cn, et des topographies très abruptes dont l’angle de la pente est supérieur à l’angle du rayon d’onde interne dans la pycnocline . De telles conditions environnementales correspondent à des régions de mélange intense, dynamiquement complexes, dont les processus ne sont pas encore totalement compris et particulièrement mal représentés par les paramétrisations d’ondes internes existantes. L’objectif n’est pas de quantifier explicitement le mélange induit par la marée interne dans de telles régions mais se place en amont. Les études présentées ont pour but de décrire les mécanismes de génération des modes verticaux d’ondes internes par la marée sur une topographie et les processus d’interactions de ces ondes avec leur environnement. L’objectif est donc de mieux Chapitre 1 : Introduction 34 comprendre les processus pilotant les transferts d’énergie et de faciliter la localisation de régions de l’océan où le mélange induit par la marée interne est potentiellement important. Des configurations académiques ont été mises en place pour étudier les différents processus à l’œuvre dans différents régimes « supercritiques » de génération d’onde internes. Cela a permis d’identifier un nombre limité de paramètres physiques adimensionnés contrôlant la dynamique des modes verticaux d’ondes internes dans ces régions et permettant de faire le lien avec l’échelle océanique.
QUELQUES DEFINITIONS |