Instructions verbales pour l’apprentissage dans une
tâche d’anticipation-coïncidence
Description verbale des actions
Action et/ ou situation
D’un point de vue linguistique, les instructions ont été assimilées à un type de description d’actions (Adams, 1992, cité par Heurley, Garcia-Debanc, & Veyrac, 1998). La description des actions revêt quelques particularités. Elle peut tout d’abord s’opérer à partir de deux types de références, une référence à l’action, par exemple par la dénotation au moyen d’un verbe d’action comme « tirez », ou bien une référence indirecte aux conséquences de l’action, ou encore à des propriétés du monde ou des connaissances qui facilitent l’action. Cette référence indirecte peut s’opérer par dénotation d’un objet (« entrée » ou « pelouse interdite »), ou d’une propriété d’un objet (« haut/ bas » ou « fragile ») (Virbel, 1999). Cette précision permet de concevoir que les instructions puissent d’une part décrire le mouvement et d’autre part décrire des caractéristiques de la situation qui concernent l’action. La description des régularités des stimuli présents dans l’environnement communiquée à un apprenti est un exemple d’instruction sur la situation qui sera largement discutée dans cette thèse.
Décomposition et spécification des phrases d’action
Le deuxième aspect important des descriptions verbales d’actions relève de la décomposition et de la spécification de ces actions. La décomposition constitue le découpage d’une action en actions élémentaires et détermine la granularité de la description, alors que la spécification réside dans la possibilité d’ajouter des objets ou des acteurs ou encore des attributs de lieu et de temps à la phrase. Le fait remarquable est qu’une analyse syntaxique des phrases d’action composées autour d’un verbe d’action, le prédicat, montre par l’ajout d’arguments comme des déterminants et adverbes qu’une infinité de variations est possible. À travers l’exemple exposé par Virbel (1999, pp. 29-33), on constate que le verbe d’action prédicat « manger » se complète par deux arguments « Luc » et « gâteau » dans la phrase d’action « Luc mange le gâteau » ; Mais peuvent être ajoutés les arguments « cuillère », « salon » etc.…Il résulte de cette analyse que la spécification de l’action et sa décomposition ne sont pas limitées par des règles de la langue (Davidson, 1980, cité par Virbel, 1999). Précisons qu’au-delà d’une analyse syntaxique, la détermination des arguments possibles dans une langue pour un prédicat donné peut être utilisée pour l’analyse sémantique des énoncés (pour une présentation, voir LeNy, 1979). 6 Notons qu’une composante importante de la production des instructions réside dans le choix du niveau de granularité de la description de l’action. Ce choix relève de l’expertise référentielle du producteur des instructions.
Problèmes spécifiques posés par la nécessité d’une acquisition pour optimiser l’exécution de la tâche
La caractéristique essentielle qui distingue de nombreux travaux et l’objet de cette thèse provient de la nature des actions étudiées relativement à l’expérience de l’individu. Dans les travaux réalisés en psycholinguistique les tâches expérimentales utilisées sont composées d’une séquence d’actions élémentaires dont l’exécution par le sujet ne requiert pas d’habileté spécifique. La tâche du sujet est de mémoriser et d’exécuter la séquence des actions qui composent la procédure globale. Les variables mesurées lors des expériences portent sur le temps de lecture des instructions, la mémorisation, le nombre d’éléments rappelés qui étaient présents dans les instructions et les temps d’exécution des tâches décrites. Les résultats recueillis ont permis de préciser les conditions d’efficacité des textes procéduraux pour l’exécution de ces tâches et de modéliser les traitements cognitifs engagés. Les recherches ont consisté à comprendre comment la compréhension d’une représentation externe verbale pouvait guider l’exécution d’une procédure. Une procédure peut être définie dans ce cadre comme « la suite organisée des actions permettant d’atteindre le but poursuivi » (Georges, 1988, p.110). Le point de départ de ces travaux était constitué par les études psycholinguistiques de la compréhension de récits (Kintsch & van Dijk, 1978). Pour prendre en compte la pertinence des instructions, à l’étape initiale de compréhension du texte a été ajoutée une étape de planification (Dixon, 1982, 1987a, 1987b). C’est ce processus de planification qui, dans cette approche, réalise le passage d’une représentation déclarative issue du contenu propositionnel du texte à la représentation procédurale que constitue le plan (Ganier, 1999 ; Heurley, 1994). Etant donnée la nature des tâches étudiées, l’exécution motrice du plan est réalisée par la particularisation de la procédure en actions composantes, jusqu’à l’atteinte du niveau minimal de décomposition désigné par le terme de primitives. Ces primitives sont directement exécutables et ne requièrent pas d’acquisition préalable pour réaliser la tâche considérée, et de plus, la tâche prescrite ne comprend pas la recherche d’une optimisation des performances par une pratique répétée. Des exemples d’instructions illustrent la nature des tâches utilisées, tant l’instruction étudiée par Dixon (1987a) « appuyez sur le bouton B lorsque le voyant X s’allume », que l’instruction « dessinez un long rectangle avec deux cercles au-dessous » (Dixon, 1987b). Il faut souligner que le but prescrit concernait la seule exécution de l’ensemble de la procédure et non pas une réalisation la plus rapide possible ou encore la plus précise possible. Dans ces études, les tâches et la théorie des procédures utilisées concordent. Le modèle des procédures utilisé propose deux types de relations entre composants : des relations hiérarchiques et des relations séquentielles. Une procédure comme « préparer un jus d’orange » se compose d’actions principales et secondaires (Nespoulous et al., 1999). Dans l’exemple choisi l’action « couper l’orange » est principale. Les actions secondaires sont considérées du point de vue d’un modèle de la planification, elles constituent d’une part les pré-conditions aux actions principales (nécessaires à l’exécution des actions principales) et les post-conditions qui permettent de passer à l’action principale suivante (Evrard & Virbel, 1989 ; 1990). A titre d’exemple des résultats de ces recherches ont montré à partir l’analyse des temps de lecture que l’ordre des actions dans le discours procédural devait être identique à l’ordre du déroulement des actions dans l’exécution pour faciliter les activités de compréhension et de planification, (Dixon, 1982). Les travaux réalisés en psycholinguistique peuvent apparaître dans un premier temps au moins peu utiles pour aborder notre étude. L’objet de cette thèse est d’étudier l’influence des instructions sur l’apprentissage d’un nouveau mouvement ou de régularités environnementales pour anticiper la réalisation du mouvement. Dans ce cadre, une acquisition est nécessaire pour permettre le succès de l’exécution de tâches dont la difficulté ne provient pas de la mémorisation d’actions élémentaires et de leur ordre, mais du fait que le sujet ne dispose pas des « primitives » d’action nécessaires et doit donc avoir recours à la répétition des exécutions de la tâche pour améliorer ses performances. L’influence des instructions verbales sur l’acquisition d’habiletés motrices ne peut donc pas être étudiée seulement à l’aide d’une théorie de la planification. Il découle de la nature des tâches étudiées, relativement à l’expérience de l’individu, que l’exécution pas à pas 8 des instructions ne permet pas l’atteinte du but recherché. Cette atteinte du but n’étant possible qu’à travers une pratique répétée de la tâche. Ce point a parfois été évoqué dans les approches psycholinguistiques où il est avancé que les instructions décrivent les actions de façon générale, et qu’une particularisation est nécessaire pour compléter la procédure (Richard, 1994). Mais le « complément » des instructions dans le but d’optimiser la performance semble provenir nécessairement d’une confrontation avec l’environnement physique afin d’établir une solution qui permet de satisfaire aux contraintes de la tâche. Mais l’acquisition d’habiletés perceptivo-motrices demande une modification plus importante du statut des instructions verbales. Dans le cadre psycholinguistique, l’acquisition est souvent considérée comme le passage d’une représentation initiale déclarative de la procédure à la représentation procédurale de cette procédure (Anderson, 1982 ; 1987). En accord avec cette théorie, le traitement des instructions constitue le point de départ de l’acquisition (Ganier, 2000 ; Heurley, 1994). L’apprentissage consisterait en la réduction par un processus de compilation du nombre d’étapes de traitement réalisées par la mémoire de travail lors de l’exécution de la tâche (Anderson, 1982 ; 1987). Dans le contexte de l’apprentissage moteur, cette représentation déclarative initiale est décrite comme « une idée générale » du mouvement (Gentile, 1972), qui prendrait place dans un stade initial verbalmoteur de l’apprentissage (Adams, 1971).
INTRODUCTION |