Conception, réalisation et caractérisation de biocapteurs micromécaniques résonants en silicium
Les biocapteurs
Contexte : une histoire de puce
E n janvier 1998, les puces à adn ont sauvé de la faillite Patrick Baeuerle alors à la tête de l’entreprise californienne de biotechnologies Tularik spécialisée dans la découverte de nouveaux médicaments. En effet, il trouva, avec ses chercheurs, une substance qui, sur des cellules en culture, réduisait fortement le taux de lipoprotéines de faible densité qui provoquent le dépôt de cholestérol dans les artères. Une fois cette substance découverte, l’étape suivante consista à comprendre les mécanismes mis en jeu par cette molécule, une difficulté qui peut prendre des années. Afin de gagner du temps, Baeuerle décida de trouver dans les cellules traitées quels étaient les gènes exprimés dans ces cellules grâce à la technique des puces à adn. La réponse de leurs puces donna un résultat totalement différent des cellules traitées par des médicaments déjà commercialisés : « cela a changé dramatiquement le profil des gènes » déclara Baeuerle . Ce changement n’était pas de bon augure, il fut alors prouvé que ce qui avait fait penser à un médicament était effectivement une substance toxique pour les cellules. Même si ce résultat fut décevant, il épargna à Baeuerle de débourser des millions de dollars en de longues études sur des animaux. Nous avons là un exemple concret d’application d’une génération de biocapteurs apparus il y a une dizaine d’années et qui ont révolutionné la génétique.
Définition Qu’entendons-nous par biocapteur ?
Un biocapteur est un système qui utilise des réactions biologiques pour détecter un composé à analyser. Un tel système relie intimement l’élément de reconnaissance biologique (qui réagit avec l’analyte) à un transducteur qui transforme cette bio-reconnaissance en un signal physique utile. Les transducteurs courants possèdent des éléments optiques, électrochimiques ou mécaniques. Nous détaillerons ces diverses approches dans la partie 1.1.4. Une mise en parallèle de biocapteur permet de définir une biopuce, dans la mesure o`u une bio-reconnaissance spécifique peut être associée à chacun de ces biocapteurs. Le dispositif de bio-reconnaissance se base sur un greffage sélectif d’un analyte cible sur un ligand récepteur, cf fig.1.1. Ce dernier est immobilisé à la surface du capteur et forme une couche de molécules sélectionnées pour leur reconnaissance, citons par exemple les enzymes, les peptides, les protéines, les lectines, les anticorps ou une alternative aux anticorps : les aptamères, les acides nucléiques (adn, arn, adnc, oligonucléotides), les membranes, des cellules vivantes ou même des empreintes moléculaires [2]. Prenons l’exemple des biopuces à adn qui ont été sans aucun doute le moteur de la recherche actuelle sur la diversification et la miniaturisation des biocapteurs. Les puces à adn permettent à la fois le séquen¸cage, l’étude des mutations et de l’expression des gènes. Le principe repose sur l’hybridation de sondes nucléiques généralement courtes et fixées sur une surface, avec un acide nucléique cible. La mise en présence de séquences cibles et de sondes complémentaires conduit à l’hybridation de celles-ci selon les règles d’appariement définies par Crick et Watson. L’hybridation moléculaire désigne l’association qui peut avoir lieu entre deux acides nucléiques simples brins de séquences complémentaires et qui conduit à la formation d’un double brin ou duplex. Cette association s’effectue par l’établissement de liaisons hydrogènes spécifiques : deux liaisons entre l’adénine (A) et la thymine (T) (ou l’uracile U) et trois entre la cytosine (C) et la guanine (G) (cf fig.1.2). La formation et la stabilité des duplex dépendent de nombreux facteurs en plus de la composition en bases : longueur des duplex, complexité de la séquence, taux de guanine, milieu (pH, salinité, température), etc analyse de celle-ci. Cette analyse permet de comparer les sites o`u les sondes avaient été déposées afin de repérer les hybridations effectives grâce aux signaux émis par le marqueur étiquetant la cible. Un traitement informatique de ces données, permettra d’extraire les informations suivantes : la présence ou non de fragments particuliers dans l’échantillon, la détermination des séquences, les études des mutations. . . Ces puces à adn s’inscrivent, nous le verrons dans la partie suivante, dans le cadre des biocapteurs à affinité. Un biocapteur est souvent couplé avec des techniques analytiques telles que la chromatographie ou l’électrophorèse qui peuvent aussi réaliser la séparation des échantillons avant l’interaction spécifique du biocapteur. Une étude en parallèle par spectrométrie de masse permet d’apporter des informations complémentaires sur la composition de l’analyte. Cette technique est couramment employée par la protéomique1 pour réaliser une identification absolue de la protéine. Mais on ne peut considérer ces techniques analytiques comme des biocapteurs. Cependant, aujourd’hui, de nombreux développements de « laboratoires sur puce » intègrent à la fois une partie analytique, des microréacteurs et enfin une partie biocapteur. Lors de la description d’un biocapteur, l’on prendra en compte le type de reconnaissance (affinité ou catalytique), le type de transduction (optique, électrochimique, mécanique ou thermique) et enfin le type d’application (clinique, environnement, diagnostic etc.). Les applications des biocapteurs étant extrêmement nombreuses, nous ne nous attarderons pas à les développer, nous en décrirons certaines dans les développements des chapitres suivants. Voyons maintenant dans le détail les différents procédés de reconnaissance puis les modes de transduction.
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