Approche psychophysique de la perception auditive para et extra linguistique
LES INDICES ACOUSTIQUES FONDAMENTAUX
On distingue trois principales grandeurs physiques (intensité, durée et fréquence) responsables de la sensation auditive par trois attributs perceptifs leur correspondant. Le timbre est un attribut spécifique des sons complexes harmoniques que nous évoquerons également. 1.1 L’intensité L’intensité, ou amplitude, est liée à la puissance acoustique émise par une source sonore et se traduit sur le plan perceptif par une sensation appelée sonie. L’augmentation de la sensation de sonie ne croît pas de manière linéaire avec l’augmentation d’intensité, mais selon une échelle logarithmique graduée en décibels (dB). Le niveau acoustique d’intensité en dB est défini comme : NI = 10 log (I/I0), où I est l’intensité acoustique de l’onde considérée et I0 une intensité acoustique de référence correspondant au seuil d’audition, fixée à 10-12W/m². Le seuil auditif correspond à la plus petite valeur d’intensité nécessaire pour évoquer une sensation de sonie (voir figure I.1). Le seuil différentiel ou de discrimination d’intensité caractérise la plus petite différence d’intensité susceptible d’être détectée entre deux stimuli d’intensité différente. 13 Figure I.1 Courbes des seuils d’audition chez le sujet normo entendant. D’après Galifret (1991) La sonie est donc essentiellement liée à l’intensité du stimulus sonore mais également à sa fréquence. Les seuils auditifs ne sont en effet pas identiques d’une fréquence à l’autre et c’est pourquoi la notion d’isosonie a été introduite. Les courbes isosoniques permettent ainsi de représenter pour chaque fréquence le niveau d’intensité évoquant la même sonie (voir figure I.2). Deux stimuli positionnés sur une ligne isosonique donnée évoquent la même sensation d’intensité, mesurée en phones. Figure I.2. Courbes isophoniques normalisées de l’audition humaine. D’après Avan (1998) La sensation d’intensité évoquée par les sons complexes harmoniques, tels que la voix, est donc intimement liée au traitement de ses composantes spectrales. Les figures I.1 et I.2 illustrent comment le traitement de l’intensité acoustique varie en fonction de la région fréquentielle considérée. Pour une intensité donnée, le seuil d’audition est beaucoup plus faible pour les basses fréquences que pour les fréquences moyennes. Cette différence de sonie en fonction de la fréquence tend à diminuer avec l’augmentation de l’intensité acoustique (voir figure I.2). Le traitement d’un son complexe fait ainsi intervenir un ensemble de filtres auditifs, chacun étant dédié à une bande fréquentielle donnée. La largeur de ces bandes, appelées bandes critiques a été évaluée en psycho acoustique fondamentale, au moyen de travaux utilisant le masquage de sons purs. La première description de ces bandes critiques remonte aux travaux de Fletcher (1940), qui a défini un filtre comme l’ensemble des fréquences adjacentes, centrées sur la fréquence d’un son pur, susceptible de le masquer. Au niveau cochléaire, le traitement des sons serait ainsi assuré par la juxtaposition de filtres, 36 filtres couvrant la gamme fréquentielle comprise entre 25 Hz et 11000 Hz [Moore, 1989]. Un filtre auditif est défini par sa fréquence centrale et par sa largeur de bande critique, évaluée par la largeur de bande rectangulaire équivalente (ERB : Equivalent Rectangular Bandwidth). Cette largeur de la bande critique augmente avec la fréquence centrale (fc) du filtre, selon une relation décrite par Moore [Moore et al., 1998] : ERB = 24.7 x (4.37fc+1). Les nombreux travaux réalisés par la suite ont permis de préciser la forme de ces filtres, plus triangulaires que rectangulaires, avec un sommet correspondant à leur fréquence centrale. La largeur de bande critique est plus réduite pour les basses fréquences inférieures à 500 Hz [Moore et al., 1990]. Il a également été mis en évidence une asymétrie de leur sélectivité en fréquence en faveur des fréquences basses lorsque l’intensité acoustique augmente [Moore, 1989]. La sonie est également influencée par le troisième indice acoustique fondamental, la durée du son, par les phénomènes d’intégration et d’adaptation. L’intégration dispose que pour des durées de présentation du stimulus sonore inférieures à 500 ms, la sonie diminue. L’adaptation traduit la diminution de sonie pour des stimuli dont l’intensité est inférieure à 30 dB au-dessus du seuil s’ils sont présentés sur une longue durée.
La durée
La définition de la durée d’un stimulus sonore est simple et traduit le temps écoulé entre son début et sa fin. Pour évaluer la sensation de durée, il est classiquement réalisé des tâches de détection de silence au sein d’un stimulus acoustique continu (gap detection), le seuil de détection correspondant à la durée minimale de silence perçue au sein d’un stimulus sonore entrecoupé d’un temps de silence donné. Ce seuil de détection est de l’ordre de 2 à 3 ms pour un bruit à large bande présenté à une intensité confortable (30 dB SPL), et augmente pour la présentation de sons purs. Entre 400 et 2000 Hz, il est ainsi d’environ 5 ms et augmente jusqu’à 18 ms pour les sons purs de fréquence inférieures à 400 Hz [Eddins et al., 1992]. Lorsque les fréquences des sons encadrant le silence sont différentes, ce seuil se dégrade, de la même manière que lorsque l’intensité du stimulus acoustique se rapproche du seuil auditif. Le seuil de détection entre deux silences peut également être déterminé (gap duration detection) [Grose et al., 2001b]. D’autres tests psycho acoustiques tels que la détection de la durée du son même ou l’évaluation des fonctions de détection de modulation [Grose et al., 2001a] permettent également d’évaluer la sensation de durée. S’il est simple de définir la durée d’un son, on comprend donc que l’évaluation des capacités perceptives qui lui sont liées est complexe et pourtant fondamentale. Cet indice revêt en effet une importance toute particulière par sa contribution essentielle dans la transmission de l’information phonétique et prosodique dans le langage. C’est donc dans le contexte du langage que nous aborderons les processus impliqués dans son traitement.
La fréquence
La fréquence est la grandeur physique caractérisant un phénomène périodique et pour ce qui concerne les sons, trouve son corrélat perceptif dans la sensation de hauteur tonale. La hauteur tonale correspond à « l’attribut de la sensation auditive selon lequel les sons peuvent être rangés sur une échelle, telle qu’une échelle musicale, des graves vers les aigus » (American National Standards Institute, 1960), « selon que leur fréquence est basse ou haute », (précision de l’association française de normalisation, 1977). Pour les sons purs, la sensation de hauteur tonale est en rapport direct avec la fréquence concernée. Pour les sons complexes harmoniques, la sensation de hauteur se rapporte à la fréquence fondamentale, dite F0, fréquence de laquelle toutes les fréquences contenues dans le spectre du son sont multiples. 16 Si la fréquence fondamentale est absente du signal acoustique, comme c’est le cas au cours d’une conversation au téléphone, qui filtre les voix au sein d’une bande passante comprise entre 300 et 3500 Hz, elle peut être reconstruite à partir de ses fréquences multiples, les harmoniques, présentes dans le signal. La sensation de hauteur tonale rend compte des variations de hauteur dans une phrase (intonation) ou dans un extrait musical (mélodie) et les mécanismes de codage de la fréquence fondamentale sont donc de première importance
Chapitre I Perception auditive des sons linguistiques, para linguistiques et extra linguistiques |