Analyser la durabilité du développement passé
Le développement passé du service public d’eau parisien est indéniable (cf. supra : C3) : depuis le début du XIXe siècle, la quantité disponible et la qualité d’eau à Paris n’ont cessé de s’améliorer, ce qui permet aujourd’hui à Paris de bénéficier d’une eau disponible en continu, de qualité, et accessible à tous ou presque… Mais ce développement passé est-il dur Répondre à cette question par un simple décompte des impacts sociaux ou environnementaux du développement passé est tentant, mais resterait un exercice stérile : en effet, en plus de problèmes méthodologiques inhérents à ce décompte, on pourrait nous rétorquer que ces impacts étaient un « mal nécessaire » pour pouvoir bénéficier du niveau de développement actuel. Nous abandonnerons donc l’idée d’établir un bilan ex post des impacts de ce développement sur les tiers ou sur l’environnement, pour nous intéresser plutôt aux conséquences de ce développement passé sur… la durabilité du service public d’eau parisien lui-même. Nous allons analyser en quoi le régime de développement passé a causé la dégradation croissante de la capacité à durer du service public d’eau développé à Paris jusqu’à présent, par une argumentation en trois étapes qui formeront les sections de ce chapitre. Tout d’abord, le simple fait que le service public d’eau parisien se soit développé et prolongé jusqu’à ce jour permet de démontrer que de facto diverses stratégies ont bien permis d’assurer sa capacité à durer, malgré la rareté des moyens qui lui étaient disponibles (Section 1).
Ensuite, prolonger le développement historique de ce service public d’eau parisien a eu pour contrepartie l’épuisement progressif de la capacité à durer de ce régime de développement. Car malgré toutes les stratégies mises en œuvre, les ressources en eau sont de plus en plus polluées et surexploitées, les capacités technologiques doivent être continuellement renforcées, les coûts totaux du service continuent d’augmenter (Section 2). Enfin, depuis 1990 une baisse de la consommation d’eau remet profondément en cause la dynamique de croissance autoentretenue qui avait jusqu’alors assuré la capacité à durer du développement du service public d’eau à Paris : désormais il n’est plus soutenable (S3). Aussi loin que porte le regard dans le temps, le développement du service d’eau à Paris s’est toujours réalisé sous la contrainte de moyens disponibles finis. Du service d’eau le plus primitif au plus évolué, tous ont eu à gérer l’alternance entre abondance et pénurie des moyens disponibles ; tous se sont plaints du « manque de moyens » à leur disposition pour se développer : ressources hydriques, capacités techniques, moyens financiers, volonté politique, solvabilité des abonnés, volonté à payer, contrôle des élus sur l’opérateur, liberté de l’opérateur… La rareté des moyens disponibles pour assurer et prolonger le développement du service public d’eau parisien n’est donc pas un problème récent : au contraire, c’est un problème chronique, aussi ancien que les services d’eau eux-mêmes.
Lorsque cette rareté a été trop forte, elle a entraîné la dégradation plus ou moins brutale et/ou temporaire de l’offre de service d’eau à Paris, et des transitions vers un nouveau de régime de développement qui pouvait être soutenu par les seuls moyens disponibles. De tels rééquilibrages ont par exemple eu lieu lors de l’effondrement du service d’eau public romain antique (cf. supra : C3), ou lors de dégradations moins sévères du service d’eau à Paris par les fortes sécheresses de 1667 et 1669 (consommation d’eau multipliée par 3 durant l’été 1881), ou lorsque l’armée prussienne coupa les aqueducs de la Dhuys, d’Arcueil, puis le canal de l’Ourcq en 1870-1871 et que les parisiens ne survécurent que grâce aux puits et à l’eau de la Seine (DU CAMP, 1873 : 298-299 ; BEAUMONT MAILLET, 1991 : 197), ou encore suite à la destruction de la dérivation de la Dhuis et du siphon d’Yonne (aqueducs) par l’armée allemande en 1940, ou suite au bombardements de l’usine d’Ivry par les Alliés en 1943 et 1944. De même, la rareté de la demande d’eau à Paris a elle aussi parfois contraint le développement de ce service d’eau. Par exemple, à la fin du XVIIIe siècle le service d’eau payant des Frères PERIER fit faillite à cause d’un nombre insuffisant d’abonnés ; au XIXe siècle le service d’eau privé proposé par BELGRAND faillit connaître le même sort pour les mêmes raisons (cf. C3). ue des moyens existants (ex : lorsqu’il n’existe pas de ressource en eau suffisante, ou de technologie capable de rendre plus d’eaux utilisables.