L’acteur non professionnel
La difficulté qui peut donc se poser pour un metteur en scène avec un enfant pour rôle principal est donc l’absence de formation. Effectivement, il s’agit bien souvent d’une première expérience. Pourtant, certains réalisateurs ne s’arrêtent pas devant le défi que représente le fait de tourner avec des acteurs non-professionnels. Au contraire certains le revendiquent et avouent avoir une préférence pour cette pratique. En quoi la collaboration avec un enfant peut-elle être intéressante, d’un point de vue artistique, pour un metteur en scène ?
Quelles dispositions celui-ci doit-il prendre pour travailler avec un acteur non-professionnel ? «C’est à ce moment-là que je me dis ; c’est drôle tous ces metteurs en scène qui ne veulent travailler qu’avec des adultes comédiens professionnels. C’est-à-dire, avec des gens qui ont fait des études, des conservatoires etc. Ce sont des gens qui ont une technique, un savoir-faire. Le savoir-faire a ses limites. Il y a parfois de grands virtuoses.
Mais ils ne sont pas tous de grands virtuoses. Ce sont des gens qui peuvent avoir un petit savoir-faire bien pratique qui est très ennuyeux film après film. On n’a pas envie de travailler avec ces gens-là parce qu’on ne sait pas si l’on va réussir à faire un petit peu mieux que les autres ». Ce qu’exprime Jacques DOILLON, comme bien d’autres cinéastes qui décident de travailler avec des acteurs non-professionnels, c’est un désir de «virginité» et de «véracité» de la part de ses comédiens.
Le fait de travailler avec un acteur professionnel peut être, au premier abord, rassurant et confortable pour un réalisateur, car un comédien expérimenté aura une bonne connaissance des plateaux de tournage, une certaine aisance devant la caméra, et des capacités à extérioriser telle ou telle émotion « sur commande », ce que DOILLON appelle « le savoir-faire ». Cependant, dans certains cas, lorsque l’écart entre le comédien et le personnage est trop grand, (ce que l’on appelle avec admiration « un rôle de composition ») par exemple, lorsque le comédien interprète un personnage d’un milieu social, un contexte de vie et un vécu très éloigné du sien, l’interprétation du comédien ne peut être comparable au modèle original. La performance réalisée par un comédien à travers un rôle de composition a ses limites et prend le risque de faire usage de stéréotypes. De même, selon STANISLAVSKI, tout acteur n’est pas capable de tout jouer. Cela dépend de son vécu, de ce qu’il est en tant qu’être unique et singulier.
Certains personnages lui iront forcément davantage que d’autres. C’est pour cette raison que les cinéastes du néoréalisme italien tel que Vittorio DE SICA, réalisateur du Voleur de bicyclette, 1948, et bien plus tard, Laurent CANTET, choisissent de travailler avec des acteurs non-professionnels. CANTET l’expérimente sur le tournage de Ressources humaines, 1999, dans lequel des ouvriers y jouent leur propre rôle.
Le rôle du jeu dans le développement de l’enfant
Le jeu et la fiction chez l’enfant font partie intégrante de son fonctionnement. En réalité ce que nous appelons «jeu» et que nous voyons comme un divertissement n’en est pas forcément pour eux. C’est avant tout une activité indispensable à leur développement . Au cours de ce développement, l’enfant acquiert des outils utiles au jeu d’acteur.
« Ne pas reconnaître aux enfants le statut d’acteur est absurde, car l’acteur joue, il joue la comédie, mais il joue et il n’y a pas plus joueur qu’un enfant. »
Avant deux ans, l’enfant n’a pas de vie intérieure, il ne fait pas encore la différence entre lui-même et le monde qui l’entoure. Il n’a pas encore la notion de jeu, ni de fiction.
C’est à partir de deux ans, lorsque l’enfant prend conscience de lui-même, qu’il développe une vie intérieure en même temps que le langage . Il devient capable de différencier la fiction et la réalité. Il se familiarise avec la notion de conditionnel. C’est-à-dire qu’il va se mettre à penser : « Et si…». L’enfant se projette dans la fiction et développe son imaginaire. Selon, STANISLAVSKI, le « si » favorise une réponse franche et naturelle de l’émotion. Pour jouer l’acteur, se dit : « Et si… ». L’enfant va substituer les gestes à la parole. Lorsqu’il cherche à comprendre ou se représenter une émotion, ou un événement, il va la revivre à l’aide de gestes auxquels il l’associe. Les gestes viennent avant les mots .
Un enfant de deux ans va pouvoir rapporter un récit avec des liens de causalité. Ce qui nourrira les jeux de fictions auxquels il s’adonnera. L’enfant de deux ans apprécie imiter l’autre et reproduire des actions. Ce qui constitue un autre point commun avec l’activité de l’acteur, c’est-à-dire, observer et reproduire, car c’est également dans l’observation que le comédien trouve de l’inspiration pour interpréter son personnage . À partir de trois ans, le jeu au sein de la cour de l’école maternelle possède une fonction sociale. En effet, à travers les jeux de fictions collectifs, l’enfant essaie plusieurs masques, celui du «gentil» du «méchant», du «bourreau», de la «victime». C’est une façon de tester les limites dans son comportement pour savoir comment agir en société pour être accepté. Les enfants nous paraissent parfois très cruels. En vérité, ils expérimentent, ils jouent un rôle. Cela ne veut pas dire bien sûr que l’adulte n’a pas à intervenir s’ils peuvent avoir un comportement traumatisant et néfaste les uns envers les autres. C’est justement l’occasion pour eux de comprendre où se trouvent les limites. Contrairement à ce que l’on pourrait être tenté de se dire parfois, une cour de récréation d’école maternelle n’est pas le chaos total. Les enfants n’aiment pas le désordre. Ils y reproduisent donc les règles instruites par les adultes. Il y a donc une notion de cause à effet concernant les actions des uns et des autres « si tu me pousses tout le temps, tu ne seras plus ma copine. Si tu pousses tout le monde, plus personne ne voudra jouer avec toi » par exemple. Ces jeux de cour de récréation leur permettent également de formuler leur compréhension du monde. En matière de jeu d’acteur, l’âge de trois ans est intéressant dans la mesure où à travers ses jeux, l’enfant représente des sentiments tels que la surprise, la peur et la colère. Il devient plus autonome et affirme son existence .
Un plaisir : et non pas un travail
Maintenir l’enfant dans le jeu
À la question de Jacques DOILLON, la réponse est probablement « oui ». Il soulève quelque chose d’essentiel : la question du plaisir. Même si l’enfant travaille sur le papier cette activité, ne doit pas être associée à du travail dans la tête de l’enfant.
« Un enfant qui s’ennuie sur un plateau ça ne peut pas marcher. Parce qu’un enfant n’a pas forcément envie d’être comédien. Donc il faut toujours garder le plaisir du jeu. C’est ce que nous adulte, on se doit de retrouver. Plus on s’amuse plus on est bon en réalité ».
Le metteur en scène et le coach doivent leur permettre à l’enfant de continuer à associer l’activité naturelle que représente pour lui le jeu au jeu d’acteur. Cela tient aussi à l’attitude de l’équipe mise en scène, à sa façon de lui présenter les choses. « Je pense que le jeu d’acteur pour un enfant, que ça soit pour la télévision, le cinéma ou le théâtre doit rester un jeu. Quand l’enfant se dit : «C’est mon travail», on l’a perdu dans le sens où il n’est plus content d’être là. C’est le problème sur les séries qui durent des années dans lesquelles l’enfant est récurrent. Dans ce cas-là, il faut lui redonner l’envie de se dire que c’est un jeu ». « Ce qui est incroyable quand les enfants jouent, c’est à quel point ils sont sérieux. Ils prennent des choses qui sont ludiques très sérieusement.
Au fond c’est vrai que jouer faire des films, c’est ça, c’est-à-dire que c’est faire un truc qui à la base n’est pas complètement sérieux très sérieusement. Et ça c’est super. Enfin moi je fais ma vie là-dessus, c’est à dire d’écrire des histoires. On nous paie pour dire « et si, il rentrait comme ça. Et si, il faisait ça ».
Lorsque l’enfant est réticent selon son humeur, le jeu, selon l’âge bien sûr est une façon de détendre l’atmosphère. Il est important de ne pas faire ressentir le stress sur le plateau à l’enfant. Le stress dû à la limitation du temps de tournage ne doit idéalement pas faire passer au second plan les états d’âme de l’enfant. Lorsque l’enfant se braque, il faut prendre le temps d’identifier le blocage, sans le faire culpabiliser ou l’oppresser.
Comme l’illustre cette anecdote que me raconte Florence DEMAY au cours de notre entretien : «Sur Plus Belle La Vie, il y a deux jumelles de cinq ans qui jouent le même rôle. C’était la première fois que l’une d’elle venait seule sur le plateau. En plus, ce jour-là ça n’était pas sensée être à elle de venir, mais à sa sœur, mais celle-ci avait attrapé la grippe. Elle est arrivée en faisant la gueule. En plus de ça elle n’avait pas dormi. Elle pleurait. Elle ne quittait pas son père. J’ai demandé gentiment aux parents s’ils voulaient bien attendre dans la salle d’attente. Lorsque les parents sont sur le plateau, cela change vraiment l’attitude de l’enfant. Je n’ai pas pu les séparer donc il a fallu que j’amène le papa dans la seconde loge. Près de cette loge il y avait des vélos. J’ai fait le pitre avec un vélo. Du coup, elle a eu envie d’en faire. On est parti faire du vélo dans tous les décors. Au bout d’un certain temps, quand elle a vu qu’elle allait bien que ça se passait bien, qu’elle n’était plus angoissée, c’était bon, c’était passé. Mais on a quand même eu chaud ».
Le plaisir de se dépasser
Lorsque le casting est réussi, un enfant qui trouvera un intérêt à aller au bout du film ne sera pas forcément déstabilisé devant la difficulté de la discipline qu’est le jeu d’acteur. Au contraire, plus le metteur en scène est exigeant plus l’enfant peut prendre du plaisir à voir le jeu se complexifier. Le jeu et le travail ne sont pas forcément contradictoires pour l’enfant, car il met un investissement considérable dans ces derniers. L’enfant n’est pas seulement joueur de par son goût pour l’immersion dans la fiction. Au cours de son développement, il apprécie de s’adonner à toutes sortes de jeux qui se complexifient de plus en plus. Ceci accroît l’intérêt qu’il leur porte80. Plus le metteur en scène lui en demande, plus il se dépassera et sera satisfait de lui. La complexité de l’objectif à atteindre donné par le metteur en scène peut-être un réel moteur pour lui. Plus le cinéaste lui en demandera plus l’enfant sera satisfait de lui-même et l’expérience sera d’autant plus gratifiante pour lui.
« Ce sont des entêtés les enfants ! Ils ne lâchent rien ! Comme un metteur en scène vous êtes dans la même position d’entêtement. Et l’entêtement l’enfant le comprend bien mieux que tout autre personne. Mon entêtement Victoire le comprenait parfaitement. Ça n’était pas ça ? On y retournait ! » Ainsi, enfant et metteur en scène se retrouvent à travers un objectif commun, la justesse du jeu.
« Je connais un tout petit peu Philipe GARREL. Un jour, il m’a dit : « Il faut avoir une patience inouïe pour faire ce que tu fais avec les enfants ». Donc lui met cela sur un autre plan. Le plan de la patience. Le mot patience ne me plaît pas plus que ça. Je dirais qu’il faut avoir la foi. La foi en cet enfant. La foi suffisante pour ce dire « cet enfant est capable de me donner quelque chose que je demande et peut-être davantage encore. Et donc je vais demander à travailler avec cet enfant ». Jacques DOILLON a foi en ses comédiens et le leur rappelle constamment, leur dit constamment qu’il croit en eux et qu’ils en sont capables. Cela me paraît être en grande partie responsable de sa réussite. L’objectif est que l’enfant ait le sentiment d’avoir réussi quelque chose, qu’il sente une progression. Être rigoureux en tant que metteur en scène peut s’avérer finalement plus valorisant pour l’enfant.
Direction d’enfants acteurs
Préparation et apprentissage
Dans un premier temps, comme tout acteur, l’enfant doit avoir une maitrise parfaite de son texte. Le réciter dans sa totalité doit être un automatisme, ne lui demander aucune concentration particulière afin qu’il puisse porter son attention sur ses déplacements ainsi que sur la cohérence de son jeu. Le coach doit s’assurer que l’enfant connaisse bien son texte85. L’objectif est qu’il ne se retrouve pas paralysé par le nombre de choses auxquelles il doit penser au cours de la scène. C’est-à-dire : dire son texte, mettre des intentions dans ses mots, effectuer des gestes et des déplacements, marquer des pauses, réfléchir à la direction et l’intention de son regard. Tout cela peut se faire de façon assez instinctive, mais lorsque le réalisateur a des idées précises en tête, l’interprétation de la scène peut s’avérer être un exercice très difficile pour l’enfant.
Le spectateur ne peut croire à la scène lorsqu’il voit le comédien dire son texte, puis, ensuite faire un geste, puis changer son regard de direction etc. Les choses ne peuvent pas être faites les unes après les autres. L’enfant doit donc répéter ses gestes, et ses regards jusqu’à ce qu’il intègre tous ces éléments pour les effectuer de façon automatique. L’automatisme lui permet d’être suffisamment à l’aise pour se laisser aller à l’émotion.
Florence DEMAY, acting coach children pour le cinéma et la télévision crée divers exercices pour permettre aux enfants de dissocier, les gestes, le texte et le regard, pour rendre leur jeu plus fluide. « Une autre fois on a jonglé avec des oranges pour pouvoir trouver comment garder un silence, ou un regard à un moment précis. Le principe c’était de caler le regard, de se concentrer. Lorsque tu jongles avec des oranges tu vas te concentrer sur l’orange qui est en l’air et non sur l’orange qui passe sinon tu fais tomber tes oranges. L’objectif était donc d’arriver à se concentrer sur l’orange, de passer à la suivante et à trouver des émotions différentes dans le texte qui était en train d’être donné ».
L’enfant doit également être capable de donner plusieurs propositions au réalisateur c’est pourquoi Cathy RUIZ, également acting coach : children (coach spécialisée pour enfant) pour la télévision et le cinéma dit leur faire travailler « leur souplesse de jeu ». Cela consiste à leur faire dire le texte avec d’autres émotions que celles supposées dans le scénario. Par exemple, si il est écrit dans le scénario que le personnage est triste dans la scène, le coach peut lui proposer de la jouer en remplaçant l’émotion de tristesse par de la colère.
La distance du comédien
L’acteur adulte professionnel, fait appel à son inconscient pour se connecter à sa mémoire affective. Une autre partie de lui est tout à fait « consciente » lorsqu’elle joue.
Sinon, les comédiens se retrouveraient sur scène complètement dépassées par leur émotions et ne seraient pas capables de mener leur représentation jusqu’au bout et seraient dans le cas de rôles difficiles, trop impactés. Ils laissent voir certaines parties d’eux-mêmes, pourtant ils sont tout de même cachés derrière leur personnage. Cela maintient une frontière entre la fiction et la réalité qui protège le comédien .
Alors dans le cas d’un enfant dont il s’agit de la première expérience de tournage l’on pourrait être tenté de penser qu’il est plus compliqué de gérer ses émotions. En effet, celui-ci est en train d’en faire l’apprentissage. L’enfant vit les émotions de façon très intense parfois. Serait-il possible qu’ils se retrouvent impactés par ce qu’ils jouent ?
Les enfants qui jouent, dans la vie et au cinéma peuvent nous déstabiliser par l’investissement qu’ils mettent dans leur rôle. Pourtant, la frontière entre le réel et la fiction est bien limpide pour eux.
Comme je l’exposais dans la partie consacrée au développement de l’enfant, le jeu permet à ce dernier d’apprendre à gérer et se familiariser avec ses émotions. Si l’enfant permet à des émotions fortes passées de refaire surface, en s’y abandonnant totalement c’est parce que dans le cadre délimité du jeu, il se sent en sécurité de le faire. L’enfant déplace des émotions et situations qu’il ne maitrise pas dans des jeux ludiques qu’il maitrise .
En résumé, c’est justement parce que l’enfant a conscience que le jeu appartient à la fiction qu’il joue. En réalité plus l’enfant joue, moins il croit. Il ne se dupe pas lui-même.
Lorsqu’il organise un goûter et sert le thé à ses amis à l’aide de sa dinette, il sait bien que la tasse est vide. Même lorsqu’il est dans le jeu, la réalité est constamment présente, un peu comme si deux univers parallèles coexistaient .
Table des matières
Introduction
I) L’Acteur
I.1) L’Acteur professionnel
I.2) L’acteur non professionnel
II) Développement et acquisition des outils de jeu
II.1) L’enfance
a) La mémoire affective
b) Le rôle du jeu dans le développement de l’enfant
c) Être dans le présent
d) La spontanéité
II.2 La préadolescence
a) L’introspection personnelle
b) La représentation
III) La question du travail d’un enfant sur un plateau de tournage
III.1) L’encadrement
III.2) Un casting réciproque
III.3) Un plaisir : et non pas un travail
a) Maintenir l’enfant dans le jeu
b) Le plaisir de se dépasser
c) La gestion du temps
IV) Direction d’enfants acteurs
IV.1) Préparation et apprentissage
IV.2) Stimuler la mémoire affective
a) le geste
b) La vérité de l’émotion
c) Les outils de mise en conditions
VI.3) Méthodes
IV.3) La distance du comédien
Conclusion
Bibliographie
Netographie
Filmographie
Professionnels rencontrés