Amélioration de l’accès aux soins urgents dans les
déserts médicaux en Corse
Exercer la médecine générale en milieu rural : entre attachement et manque d’attractivité
Le choix d’installation des médecins généralistes en milieu rural était motivé par plusieurs raisons. Celle qui a été le plus souvent évoquée est l’origine. En effet, tous les médecins originaires de la région ont donné comme motivation principale leur attachement à cette dernière : – « Et finalement j’ai fait médecine générale parce que je voulais m’installer dans mon village, voilà ! » (MG10)1 . L’aspect affectif envers la population de leur région et la sensation de devoir qui en découle étaient au cœur de leur discours : – « Ben c’est parce que j’y ai grandi tout simplement et je sais pas, c’est… la conviction, l’envie d’apporter quelque chose […] c’est de l’engagement » (MG4) ; – « […] de pouvoir un peu m’occuper des gens à côté de chez moi. » (MG1) ; – « Quand je suis pas là j’ai l’impression de manquer à…à quelque chose si tu veux…de les abandonner ! Donc l’affectif… » (MG10). Nous avons réalisé, à l’aide du logiciel NVivo®, une représentation visuelle des principaux mots clés illustrant cet aspect crucial dans le choix d’installation en milieu rural des médecins originaires de la région à l’aide d’un nuage de mots (Annexe 11). Pour d’autres, il s’agissait d’un concours de circonstances : Un exercice antérieur dans la région (notamment l’internat et les remplacements) semblait souvent déterminant : 1 Pour savoir à quels participants correspondent les verbatims, se référer à l’annexe 9 « Tableau des caractéristiques des participants. » 41 – « […] parce que j’ai fait la plus grosse partie de mon internat à l’hôpital de Bastia » (MG6) ; – « […] et puis voilà ça s’est fait tout seul. J’ai remplacé et je suis resté. » (MG3). Des circonstances personnelles ont également été évoquées : – « Circonstances personnelles. Familiales. » (MG11) ; – « […] je veux dire j’ai fait ma vie, tout le reste, maison… » (MG6). Le hasard a aussi été mentionné : – « En fait j’ai pas décidé, c’est euh… le hasard qui a fait les choses. » (MG6). La préférence environnementale a également été soulevée : – « Et j’ai dit à ma femme : « Je crois qu’on est tombé au paradis je partirai pas d’ici « , […] et j’ai un peu réalisé un rêve d’enfance en venant habiter à la campagne. » (MG7) ; – « Parce que j’aime pas la ville tout simplement ! » (MG8). Enfin, pour certains des participants, l’intérêt médical était aussi un argument pour exercer la médecine générale en milieu rural : – « Euh parce que je trouve que c’est un peu plus intéressant qu’en ville, il y a plus de choses à faire. » (MG1). Nous remarquons cependant que l’intérêt médical de l’exercice en milieu rural a été évoqué par quatre médecins sur 14, ce qui nous a semblé relativement peu. Il est également à noter que l’aspect financier n’a jamais été évoqué comme une motivation d’installation en milieu rural. Certains médecins ont même exprimé spontanément le fait que l’aspect financier n’entrait pas en jeu dans leur choix d’installation, comme par exemple le MG4 : – « Moi ce qui m’a fait rentrer dans ma région natale, où j’ai grandi, où j’ai ma famille et mes amis, c’est l’attachement que j’y avais, c’est pas euh… il n’y avait pas un attrait financier particulier…il n’y avait pas…c’était ça. » La situation d’isolement entrainée par la contrainte territoriale peut être source de difficultés dans l’exercice de la médecine générale en milieu rural : « L’accès aux soins est plus difficile qu’en ville. » (MG1) ; « Il n’y a qu’un seul axe au niveau routier. » 42 (MG3) ; « […] enfin la contrainte…on va dire…de nos régions isolées. » (MG4). Les principales difficultés qui ont été relevées sont liées : Au transport : – « C’est simplement une question de moyens effectivement… c’est les ambulances. » (MG12) ; – « […] trouver l’ambulance pour l’amener passer le doppler c’est encore plus compliqué ! » (MG1) ; Au patient : – « Ah oui c’est compliqué, mais ce n’est pas tant l’isolement qui est compliqué, c’est plus le patient, […] s’il est autonome, s’il est entouré, s’il a la volonté tout simplement de se faire soigner. » (MG5) ; – « Motiver les gens […] enfin vraiment ça c’est super compliqué ça ! Et puis les gens âgés ils ont pas envie d’y aller et puis je les comprends donc voilà… » (MG8) ; A l’aspect chronophage : – « […] ça peut engendrer des pertes de temps énormes tu vois ! » (MG10). Ces difficultés liées à l’isolement étaient plus ou moins ressenties selon les médecins, et parfois atténuées par l’attachement à la région : « Si tu es pas euh…de ta région, parce que nous avec mon frère on s’est installés dans une région…mais moi mon village je l’aime ! Tu comprends ? » (MG10) et par la connaissance préalable des conditions d’exercice en milieu rural : « Si tu t’installes comme on l’a fait nous, en te disant « Voilà, je suis médecin généraliste en région rurale, je vais travailler tout le temps, je vais travailler la nuit, et je vais faire de gardes « , tu as pas de surprises ! » (MG10).
Médecine générale et urgences : un lien étroit, complexe et controversé
De nombreuses difficultés sont rencontrées lors de la prise en charge des urgences en médecine générale en milieu rural. Ici encore, les principales difficultés qui ont été relevées sont les contraintes territoriales : – « Bah les difficultés c’est les, c’est des difficultés d’ordre géographique » (MG9). L’isolement pouvait parfois être ressenti au cours de ces prises en charge : – « Bah tu tombes sur un mec qui est en train de mourir pour un problème cardiaque ou autre…il est évident que quand tu es tout seul c’est pas facile hein ! » (MG10). Les problèmes d’évacuation et de transports, qui étaient très présents dans le discours des médecins interviewés, semblent être les principales conséquences qui en découlent : – « La difficulté réelle surtout c’est sur les évacuations, parce qu’on a parfois euh besoin d’un hélicoptère et il y en a pas ! » (MG9) ; – « C’est assez difficile de trouver des ambulances dans la demi-heure ou dans la journée » (MG4). Malgré cela, le ressenti de la situation d’isolement lors de la prise en charge de ces urgences restait relatif voire inexistant pour plusieurs médecins : – « Objectivement je m’en fous ! […] Tu sais j’ai toujours… moi ça me stresse pas… et ça va quoi ! » (MG10) ; – « Je me pose même pas la question en fait vous voyez ! » (MG7). Pour la plupart d’entre eux, cela semble être expliqué par leur expérience : – « Donc moi je la ressens pas parce que je suis dedans et qu’on a notre façon de procéder un peu rodée hein » (MG6) ; – « Bon nous objectivement, moi je touche du bois, ça fait 30 ans qu’on travaille, bon nous on a toujours fait de l’urgence de toute façon, même avant 44 d’être MCS, on a jamais perdu un patient à cause du fait qu’on soit éloigné. » (MG9). Nous pouvons constater que la majorité de ces médecins correspond aux deuxième2 et troisième 3 profils de participants que nous avions identifiés préalablement. Ainsi, une différence générationnelle semble apparaitre, comme le soulignait le MG10 : « Je sais que de nos jours euh…les jeunes ils sont plus du tout prêts à assumer tout ça quoi ! ». Dans une proportion moindre, nous avons aussi relevé des contraintes logistiques, qui sont liées : Au matériel : – « Surtout à domicile ou même, on a pas le matériel nécessaire. » (MG5) ; A l’entretien de la pharmacie : – « Si tu savais comme c’est difficile de garder surtout la pharmacie à jour, non périmée, etc…C’est impossible pratiquement. » (MG7) ; A l’organisation du cabinet : – « […] ça embolise toujours nos cabinets parce qu’il n’y a pas de salle prévue à cet effet. » (MG4). Enfin, des contraintes relatives au patient et à sa famille ont été retrouvées et sont liées : Au manque de compliance du patient : – « Ils veulent pas aller aux urgences, ils veulent pas attendre, ils veulent pas […] C’est surtout les patients pas compliants » (MG5) ; A une définition erronée de la notion d’urgence : – « Parce que bon parfois pour les patients tout ce qu’il se passe c’est urgent, un moustique qui les a piqué c’est une urgence vous voyez » (MG7) ;
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