Dynamiques saisonnière et pluriannuelle du système des carbonates dans les eaux de surface en mer Méditerranée
Observations en mer Méditerranée
Face aux pressions subies par la Méditerranée, l’analyse de l’évolution des propriétés du système des carbonates du bassin méditerranéen requiert des observations soutenues et pérennes. En raison de sa faible dimension, le bassin méditerranéen est resté négligé par les premiers grands programmes internationaux GEOSECS (années 70) et WOCE (années 90). Mais, depuis le début des années 2000, plusieurs campagnes océanographiques ont échantillonné l’entièreté du bassin méditerranéen.]. Ces campagnes, basées sur la collecte d’échantillons discrets le long de la colonne d’eau, ont permis d’avoir une estimation de la distribution globale du système des carbonates en Méditerranée. Également, le programme MED-SHIP a été mis en place afin de collecter, de manière répétée, des données dans l’entièreté du bassin méditerranéen [Schroeder et al., 2015]. En parallèle, des campagnes océanographiques sont aussi menées de manière plus localisée dans certains sous-bassin méditerranéens tel que dans le Golfe du Lion [Aït-Ameur, 2007] ou le sous-bassin Algérien [Keraghel et al., 2020] afin d’étudier les variations saisonnières et les changements pluriannuels dans ces zones spécifiques. Afin de discriminer les changements naturels des modifications induites par l’impact anthropique, les variations des paramètres du système des carbonates doivent être suivies avec une résolution temporelle élevée. À la fin des années 80, la première série temporelle 7 a été initiée en mer Méditerranée, dans le cadre du programme international JGOFS, au site DYFAMED. Par la suite, d’autres séries temporelles ont été développées en mer Méditerranée. Très souvent positionnées en milieux côtiers [e.g. De Carlo et al., 2013 ; Hassoun et al., 2019 ; Ingrosso et al., 2016 ; Kapsenberg et al., 2017 ; SismaVentura et al., 2017], certaines sont toutefois placées en milieu hauturier et ce dans les sous-bassins orientaux [Petihakis et al., 2018] comme occidentaux [Coppola et al., 2020b ; Lefevre, 2010]. Ces séries temporelles sont elles aussi souvent basées sur la collecte d’échantillons discrets dans la colonne d’eau avec une résolution temporelle de l’ordre de la semaine au mois.
Définition du système des carbonates océanique
Le dioxyde de carbone (CO2) est un gaz atmosphérique qui se dissout dans les eaux naturelles. Le CO2 dissous réagit avec l’eau pour former les ions bicarbonate et carbonate. Ces réactions sont régies par une série d’équilibres chimiques décrits ci-dessous.
Équilibres chimiques
En solution, le CO2 dissous se trouve sous deux formes : l’acide carbonique (H2CO3(aq) ) et le dioxyde de carbone aqueux (CO2(aq) ). La concentration en CO2(aq) est gouvernée par l’équilibre suivant : CO2(gaz) CO2(aq) (2.1) Une fois dans l’eau de mer, le dioxyde de carbone réagit selon l’équilibre suivant : CO2(aq) + H2O H2CO3(aq) (2.2) H2CO3(aq) et CO2(aq) étant des formes chimiquement équivalentes pour échanger des protons, c’est leur somme qui est généralement considérée et notée sous le terme CO∗ 2 . On considère donc que la dissolution à l’interface, qui obéit à la loi de Henry, est définie par l’équilibre suivant : 46 2 Le carbone inorganique dans l’océan CO2(gaz) K0 CO∗ 2 (2.3) Cet équilibre de solubilité est défini par la coefficient de solubilité du CO2 K0 qui dépend de la température et de la salinité [Weiss, 1974] : K0 = [CO∗ 2 ] pCO2 (2.4) Ce CO∗ 2 va agir comme un acide faible (donneur d’H+), ce qui va former des bases conjuguées : les ions bicarbonate (HCO− 3 ) et carbonate (CO2− 3 ), selon les équations d’équilibre suivantes : CO∗ 2 + H2O K1 HCO− 3 + H+ (2.5) HCO− 3 K2 CO2− 3 + H+ (2.6) L’abondance relative des espèces en solution dépend du déplacement des équilibres définis par les constantes de dissociation notées respectivement K1 et K2. K1 = [HCO− 3 ] × [H+] [CO∗ 2 ] (2.7) K2 = [CO2− 3 ] × [H+] [HCO− 3 ] (2.8) En chimie marine, les constantes d’équilibre chimiques sont exprimées avec des concentrations en mole par kilogramme de solution. Leurs valeurs dépendent de la température, de la pression et de la salinité afin de tenir compte de la variation des coefficients d’activité des ions en solution. La Figure 2.1 décrit les variations des concentrations des espèces du système des carbonates en fonction du pH. Dans les conditions « typiques » de l’océan où le pH moyen de l’eau de mer est de l’ordre de 8,1, le partage entre ces espèces dissoutes est tel que : [CO∗ 2 ] ‘ 0,5 %, [HCO− 3 ] ‘ 86,5 % et [CO2− 3 ] ‘ 13 % [Zeebe et Wolf-Gladrow, 2001]. Dans des conditions légèrement plus acides, les espèces CO∗ 2 et HCO− 3 se trouveraient légèrement favorisées par rapport au CO2− 3 , tandis que dans conditions plus basiques, l’espèce CO2− 3 serait favorisée par rapport au CO∗ 2 et au HCO− 3 .
Variables opérationnelles
Les espèces du système des carbonates ne sont pas toutes mesurables. En revanche, quatre variables dites « opérationnelles » peuvent être quantifiées pour définir l’état du système des carbonates océanique. Figure 2.1 – Proportions relatives des espèces carbonatées dominantes à T = 25 °C et S = 35 ; aussi appelé « diagramme de Bjerrum ». Source : Zeebe et Wolf-Gladrow [2001].
pH
Le pH, potentiel hydrogène, mesure l’activité des protons en solution. Il est conventionnellement défini comme : pH = −log(H+) (2.9) où (H+) correspond à l’activité du proton. Il reflète l’état thermodynamique des systèmes acide-base. L’activité protonique peut être estimée par mesure potentiomètrique avec une électrode de verre. Le pH mesuré dépend des solutions étalons de référence choisies pour le définir. L’échelle NBS (National Bureau of Standard ; R. Bates [1973]) est utilisée pour la chimie des solutions aqueuses diluées dans l’eau douce, mais n’est pas recommandée pour les mesures dans l’eau de mer [Millero, 1986]. Basée sur des tampons de faible force ionique (tampons NBS) et de composition éloignée du milieu marin, elle engendre des différences entre les potentiels de jonction liquide 1 pour l’eau de mer et pour les tampons [Dickson, 1984]. Dans l’eau de mer, solution de forte force ionique, les nombreuses interactions ioniques rendent difficile l’utilisation de ces principes. En effet, une partie significative des ions H+en solution peut se trouver capturée par les ions SO2− 4 ou F−. Afin de palier à cela, trois échelles de pH différentes ont été mises en place pour la mesure du pH dans 1. Le potentiel de jonction liquide correspond à la différence de potentiel électrique entre la solution dans l’électrode et la solution de mesure. Il dépend majoritairement de la composition de la solution dans l’électrode et de la solution de mesure. Le carbone inorganique dans l’océan l’eau de mer : les échelles « Free », « Total » et « Seawater ». Ces dernières ont été définies en fonction des espèces associées aux protons. (1) L’échelle des protons libres (« Free scale » ; [Millero, 1977]) définit le pH tel que : pHF = -log [H+]F (2) L’échelle des protons totaux (« Total scale » ; Dickson [1993]) considère les protons libres et les protons associés aux sulfates tel que : pHT = -log [H+]T = -log ([H+]F + [HSO− 4 ]) (3) L’échelle de l’eau de mer (« SWS, Sea Water Scale » ; Dickson et Millero [1987]) considère, en plus des protons libres, les protons associés aux sulfates et aux fluorures présents dans le milieu tel que : pHSW S = -log [H+]SW S = -log ([H+]F + [HSO− 4 ] + [HF−]) Dans ce travail de thèse, comme recommandé par Dickson et al. [2007], l’échelle « Totale » (pHT ) a été systématiquement utilisée et les constantes définies sur cette échelle ont été utilisées.
Résumé |