Marchés des matières premières agricoles et dynamique des cours
La restructuration des marchés et l’évolution des stocks La transformation des filières alimentaires, liée à la fois à la naissance de nouvelles filières spécialisées ces dernières années et à la forte dispersion géographique de la production et de la consommation, s’est accompagnée d’une restructuration des stocks de matières premières dans les pays exportateurs et importateurs. L’utilisation de stocks devrait normalement permettre d’ajuster l’offre et la demande à court terme. Cependant l’accélération de la demande mondiale de biens alimentaires durant les années 2000 n’a pas été accompagnée d’une hausse similaire de la production agricole, ce qui a conduit les opérateurs à repenser la gestion des stocks, sous containtes. Le cas spécifique de la Chine en matière de gestion de stocks est à souligner. Les stocks chinois de maïs, de blé et de riz (mesurés en pourcentage de la consommation mondiale) s’établissaient à 105%, 90% et 70% entre 1998-1999. Ces stocks étaient tombés respectivement à 26%, 38% et 30% pour ces trois produits en 2004-2005 [Abbot et al., (2008), cités par Voiturier, (2009)]. Le niveau des stocks, leur consommation et leurs renouvellement peuvent alors influencer la variation des prix sur les marchés. Par exemple, sur les marchés agricoles, l’évolution des prix mondiaux et la volatilité sont relativement corrélées aux stocks de produits alimentaires. De petits chocs de production peuvent engendrer un déséquilibre entre l’offre et la demande et influencer grandement les prix lorsque l’élasticité de la demande est faible. Historiquement, de bas niveaux de stocks semblent avoir été une condition nécessaire mais non suffisante pour provoquer les hausses des prix, ce qui porte à croire que les mouvements des stocks ne peuvent offrir au mieux qu’une explication partielle des variations de prix des matières premières (Gibert, 2010). Une condition suffisante pour éviter ce mécanisme serait d’avoir un niveau de réserve minimum pour faire face à la volatilité des prix. La méconnaissance des niveaux de stocks aggrave par ailleurs la volatilité des prix. Le mécanisme est en effet très simple (Figure 1.2 ci-dessous) : théoriquement, les courbes d’offre et de demande se rencontrent au point E, qui correspond à l’équilibre Chapitre 1 : Déterminants des cours des matières premières 12 sur le marché (prix d’équilibre P E). En outre, l’incertitude sur l’offre va pousser les agents à reconstituer des stocks. Il en résulte une hausse de la demande, d’où le déplacement vers la droite de la courbe de demande (D à D 0 ). Ce choc positif de demande fait augmenter les prix de P E à P A. Et la hausse des quantités (QE à QA) permet à la fois de répondre au choc de demande et finalement de reconstituer les stocks. Ainsi, ces stocks reconstitués permettent également de ramener les prix au niveau du prix d’équilibre lorsque le choc d’offre est absorbé par la possibilité de déstocker. Par contre, le même choc d’offre (O, O0 ) amène l’équilibre au point E 0 avec des quantités rationnées (QE – QE 0 ) en raison d’absence de stocks. Et si ces dernières permettent d’absorber la demande exprimée, les prix resteront maintenus au niveau P A (au point d’équilibre E 0 ) malgré la raréfaction de l’offre. En conséquence, la constitution des stocks permet de réguler les prix par les quantités alors qu’en absence de stocks, toute variation de la demande confrontée à une contrainte d’offre se répercute instantanément sur les prix. D’où la volatilité des prix. Et, du point de vue théorique, si on a initialement une fonction qui incorpore des stocks, on peut répondre à un choc positif de demande et/ou un choc négatif d’offre car la possibilité de déstocker permet de revenir facilement au prix d’équilibre. Ainsi, quel que soit la nature du choc, une bonne gestion des stocks (constitution de stocks et déstockage) permet de lutter contre l’instabilité des prix. En effet, si les stocks sont suffisamment constitués ex ante, il devient facile d’absorber les chocs d’offre et de demande. Et la volatilité des prix autour de celui d’équilibre reste faible. Il y a donc nécessité de constituer des stocks dans un contexte d’instabilité des cours des matières premières pour répondre aux chocs car l’inexistence ou l’insuffisance de stocks accroit à la fois la volatilité et l’amplitude de la variation des cours.
Les conditions climatiques
La volatilité des prix des matières premières sur les marchés agricoles peut être expliquée en partie par la contrainte d’offre due aux mauvaises récoltes ces dernières années. Les épisodes climatiques extrêmes comme les sécheresses en Australie en 2006 et en 2007, en Russie et en Ukraine en 2010 ainsi que les abondantes précipitations en Europe en 2007 et aux États-Unis en 2010 expliquent pour une large part les pressions sur les marchés agricoles en général et celui du blé et du maïs en particulier. Ces aléas climatiques entrainent une forte instabilité des marchés en augmentant le déséquilibre entre l’offre et la demande. Il est possible que le changement climatique rende ces épisodes météorologiques extrêmes plus fréquents, entrainant une plus forte instabilité des marchés à l’avenir [Perspective OCDE-FAO, cité par Aglietta et Emlinger (2011)]. En conséquence, le risque de prix devient un enjeu majeur du point de vue de l’efficacité économique. Le niveau moyen du prix n’est plus le seul déterminant de l’offre et de la demande. La variabilité compte tout autant, et peut-être plus (Boussard, 2007), alors même que les fluctuations des prix sont aussi le résultat de politiques agricoles menées par les autorités, sans tenir compte de ces risques climatiques. Ces chocs météorologiques, qui rendent les fluctuations des prix et des quantités plus prononcées, expliquent par la même occasion l’incapacité des acteurs à anticiper les dynamiques successives de hausse et de baisse de prix. Ainsi, le prix ne reflète plus la rareté relative du bien. Ces chocs climatiques difficiles à prévoir mais dont la fréquence augmente avec les dérèglements climatiques rendent donc les marchés plus sensibles et génèrent une plus forte volatilité des prix des matières agricoles conditionnant par la même les anticipations à moyen et long terme des agents, perturbées par ailleurs par la raréfaction des réserves et la montée des biocarburants. Alors que les chocs climatiques sont indissociables des problématiques environnementales, la demande de biocarburants s’inscrit dans une demande plus large de produits verts, qui recèle d’externalités positives et pose ainsi un problème de taxation des activités et de clarification des labels proposés au consommateur (Brécard, 2013, 2014). Tout comme les stocks, cette demande et l’offre qu’elle rencontre doivent être prises en compte dans l’analyse des déterminants fondamentaux des cours. Chapitre 1 : Déterminants des cours des matières premières
L’offre et la demande de biocarburants
L’augmentation de la population mondiale, la hausse des revenus, la croissance des pays émergents, la croissance de la demande mondiale sont autant de facteurs structurels qui expliquent l’accélération de la demande de matières premières surtout agricoles ces dernières années. Mais la production de biocarburants 4 est également à l’origine d’une hausse de la demande agricole depuis la moitié des années 2000 (Collins, 2008) en liaison notamment avec le développement du secteur des bioénergies modernes aux États Unis et dans l’Union Européenne. Le développement actuel de ces nouveaux marchés de l’énergie résulte de la volonté des pays développés de promouvoir ces filières. Le paquet climat-énergie, adopté sous la présidence française de l’Union Européenne lors du Conseil européen des 11 et 12 décembre 2008 en constitue en exemple. Il s’agit d’un ensemble de textes législatifs qui vise à lutter contre le phénomène du changement climatique. Il définit les modalités de mise en œuvre de l’objectif européen commun dit « 3×20 », qui consiste d’ici 2020 à réduire de 20% les émissions de gaz à effet de serre par rapport à leur niveau de 1990, à porter la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie à 20% et à améliorer de 20% l’efficacité énergétique (Percebois et Mandil, 2012) 5 . Ainsi l’adoption de nouvelles politiques énergétiques et environnementales par ces pays a entrainé une profonde modification du secteur agricole. Partant, la production agricole affectée aux biocarburants gagne en importance au détriment des cultures destinées à l’alimentation.
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