Les relations fiscalo-comptable : vers un passage de l’ère juridique à l’ère économique ?
La réception du principe de l’image fidèle dans la relation entre comptabilité et fiscalité
Le principe de l’image fidèle est un échec sémantique et par échec sémantique, il faut comprendre qu’il n’a pas de définition218. Le lecteur qui s’intéresse à la question se confronte à une succession de textes au travers desquels ce principe est exprimé219. La doctrine est unanime pour reconnaître l’introduction de ce dernier par les quatrième et septième directives. Elle s’accorde tout autant à dégager ses origines anglo-saxonnes0 mais pour une définition claire et exhaustive de la notion, il est difficile de parvenir à un résultat satisfaisant 59. La difficulté sémantique n’a donc pas permis à ce principe de recouvrir pleinement son efficacité2. D’ailleurs sa traduction dans les différents Etats membres s’est faite de façon « désordonnée »3, chaque Etat y allant de sa propre conception de l’image fidèle4. Ce principe serait apparu pour la première fois dans un texte anglais de 18445. La difficulté d’application de cette notion tient au fait qu’elle place le jugement au cœur des comptes6. 60. A vrai dire, l’image fidèle est plus une attitude, qu’une définition. Elle exprime d’avantage « une idée de vie »7, un idéal de justice, une attitude, un comportement et même parfois un jugement.8 Elle a des allures de subjectivité et ne peut que décevoir car ce qui est subjectif ne peut faire l’unanimité9. Les premières questions qui viennent à l’esprit du lecteur, consistent d’abord à se demander à quoi tient cette fidélité à qui, et comment ?0Il s’agit de la fidélité aux règles comptables et l’exercice de cette fidélité s’opère dans le bilan, le compte de résultat et l’annexe. 61. Pour vérifier s’il y’a ou non, respect du principe de l’image fidèle, l’expert-comptable, doit pouvoir déceler, à travers les documents comptables, ce que l’utilisateur des états financiers, qu’il s’agisse d’un investisseur ou un tiers, voit. Si cette lecture est conforme, alors, il y’a respect du principe de l’image fidèle. Si cette lecture est non conforme, alors il n’y a pas respect du principe de l’image fidèle. Le test de fidélité ainsi défini est capital dans l’analyse de l’ « infidélité » que la fiscalité produit dans les comptes de l’entreprise. Certains avantages fiscaux, offerts par l’administration fiscale conduisent à minorer le résultat comptable pour payer moins d’impôt. L’investisseur croit avoir en face de lui une entreprise moins performante alors qu’avant tout, les responsables de l’établissement des comptes voulaient éviter un impôt sur les sociétés, source de charge supplémentaire pour la société1. 62. La quatrième directive européenne a été saluée comme étant l’occasion de redonner à la comptabilité une application du principe de « l’image fidèle » plus respectueuse des principes comptables2. Elle comporte néanmoins des lacunes. Parmi celles-ci, l’absence de définitions de la notion d’actifs. Comme le fait remarquer à juste titre MOUSEL, « la quatrième directive ne comporte pas de définitions explicites des éléments qui bâtissent les états financiers. Notamment, il n’ya pas de définition de la notion « d’actif ». Nous renvoyons par exemple à l’article 9 qui définit une structure minimale de bilan. La comptabilisation à l’actif de certains éléments (notamment les frais d’établissement (B) et les frais de recherche et de développement (C.I.1) est ainsi laissée à l’appréciation des législations nationales »3. 63. Outre ces déficiences, les lacunes de la transposition de la quatrième directive européenne sont liées au fait qu’elle a été élaborée en tenant compte des fiscalités des pays auxquelles elle s’adresse, mais surtout du lien entre comptabilité et fiscalité existant dans ces pays. Venue chasser la présence trop forte de la fiscalité dans les comptes pour leur donner une seine représentation de l’image fidèle, elle contient elle-même des dispositions fiscales contribuant à la pollution des comptes. C’est l’image du serpent se mordant la queue, le mythe de Sisyphe condamné à rouler une pierre qui retombe toujours sur elle-même. Pour que la directive soit efficace, celle-ci doit prendre en considération les différents liens, plus ou moins forts existants entre comptabilité et fiscalité. Pour qu’elle puisse atteindre ses objectifs, il faudrait qu’elle arrive à chasser tout lien entre comptabilité et fiscalité, surtout si ce lien vise à la pollution des comptes par la fiscalité4. 64. D’autres lacunes de la quatrième directive européenne n’ont pas permis de solutionner le problème du conflit entre comptabilité et fiscalité. TUROT évoque ainsi « la notion d’immobilisation »5. Selon ce dernier, « la notion d’immobilisation, comme beaucoup d’autres postes du bilan, est susceptible de deux approches : une approche patrimoniale, selon laquelle il n’y a pas d’actif immobilisé qui n’ait une valeur patrimoniale ; une approche par le principe de spécialité des exercices, selon laquelle doivent être immobilisées les charges qui contribueront durablement à générer des profits au cours des exercices ultérieurs. L’immobilisation est à ce point de vue une technique d’étalement des charges au rythme des amortissements (dans le cas d’actifs qui se déprécient), voire de neutralisation de charges (dans le cas d’actifs qui sont réputés ne pas se déprécier). Entre ces deux approches, la directive européenne d’harmonisation comptable n’a pas tranché nettement.
Les raisons des difficultés de conciliation de la comptabilité et de la fiscalité à travers l’image fidèle
Si la réglementation européenne en matière comptable n’a pas marché dans le passé c’est qu’elle n’est peut-être pas la meilleure façon d’opérer en la matière, en tout cas, de solutionner le problème de la corruption des comptes par la fiscalité9. Car la directive 1606/2002 n’est pas la première tentative d’harmonisation des comptabilités nationales, par l’Union Européenne . Le droit Européen n’a pas appris aux législations nationales à tirer les leçons de l’application de la quatrième directive. Pourtant l’article 121 du Code Pénal prévoit la possibilité d’engager la responsabilité pénale de la société en cas de fausse application du principe de l’image fidèle. Encore faudrait-il que l’ensemble des utilisateurs et des destinataires acceptent de « jouer le jeu ». Car comme le fait remarquer le professeur PASQUALINI, « le fisc a altéré parfois gravement des éléments juridiques définis par la législation comptable. Il n’hésite pas à qualifier les réserves de provisions, les provisions de charges ou à donner le nom d’amortissements à des facteurs qui, par leur caractère exceptionnel, sont des provisions » 241. Le fisc n’est pourtant sanctionné par aucune disposition d’ordre pénale. En revanche les dirigeants le sont. C’est certainement sur la partie la plus faible qu’il faudra faire pression pour tenter d’obtenir le respect du principe de l’image fidèle par les législations. Ce d’autant que depuis 1983, l’on a assisté à la consécration d’un véritable droit comptable dont les atteintes peuvent être pénalement réprimées242. 67. Comment dans de telles conditions, assurer l’application du principe de l’image fidèle, en sachant que ces prescriptions sont d’ordre communautaire. Le fisc jouit-il d’une telle impunité pour favoriser et encourager, à coup de paquets fiscaux, un tel comportement ? Le dispositif répressif de la jurisprudence est insatisfaisant pendant que les sanctions résultant de l’atteinte des règles fiscales au principe de l’image fidèle n’est pas expressément prévu par le droit positif (I). Outre ce volet, le droit comptable communautaire permet aussi de garantir le respect, par le droit fiscal national, des principes comptables fiscaux (II).Il s’agit de l’absence de mise en œuvre du dispositif répressif en cas de non-conformité à l’image fidèle résultant de l’application des règles de droit fiscal, notamment celui prévu par le droit pénal. Enfin, la dernière raison concerne l’absence de prise en compte des situations fiscales dans la mise en œuvre de l’image fidèle. 69. S’agissant de l’absence de prise en compte des situations fiscales dans l’application de l’image fidèle, elle procède d’un raisonnement déductif. La loi énumère les cas de mise en œuvre du principe de l’image fidèle mais curieusement, l’application des dispositions fiscales est absente. En effet, « la notion d’image fidèle ne jouerait que : lorsqu’il n’existe pas de règles fixées par la communauté financière pour résoudre tel problème, la loi ou les organismes compétents n’ayant pas défini le bon usage en la matière (on pourrait même dire le « fair play ») (…) ; lorsqu’il existe plusieurs règles applicables, par exemple plusieurs méthodes d’évaluation, un choix est donc nécessaire ; la règle existe mais son application stricte serait trompeuse (…). La notion d’image fidèle sert de référence à ceux qui établissent et qui contrôlent les comptes », pour reprendre les propos des rédacteurs du Mémento Comptable243. En aucun cas les dispositions fiscales ne sont mentionnées et de toute évidence les dirigeants y trouvaient leur compte. Car, comme l’explique le professeur PASQUALINI, jusqu’en 1983, comptabilité et fiscalité étaient deux disciplines identiques dans l’esprit du dirigeant de la PME. Il fallait établir ses comptes annuels, payer ses impôts et tant que le fisc permettait de les réduire, il n’y avait pas de fraude. C’est ainsi que s’est construite l’impunité du droit fiscal face aux comptes et au respect du principe de l’image fidèle
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