Les vacances entre temps et espaces
Autrefois considéré comme un temps de « suspension légale annuelle des audiences des cours et des tribunaux » (Richez, Strauss, 1990, p. 6), le temps des vacances désignait une période de cessation des activités ordinaires dont le travail (Pruvost, 2013). Il était également associé à un temps de pause accordé aux facultés et aux élèves, notamment en été, durant la période des moissons et des vendanges (Dictionnaire Petit Robert, 2006). C’est cette notion de coupure scolaire qui est à l’origine du terme de « grandes vacances » car elle renvoyait à une fin de cycle, la fin d’une année (Blaise & Picot, 2013). Ainsi, en plus de l’interruption des activités des tribunaux, les vacances correspondraient aussi à la cessation des activités scolaires, voire commerciales. Morin (1965), à travers sa célèbre formule : « c’est la vacance des valeurs qui fait la valeur des vacances » (Morin, 1965) entend que le temps des vacances est un moment au cours duquel l’individu peut adopter de nouveaux rythmes sociaux, distincts de la quotidienneté. C’est une période temporaire de suspension des liens routiniers de la vie ordinaire. Durant ce temps « vide », ou « temps libre », l’individu a le choix de vaquer à différentes occupations. Il accède ainsi à une nouvelle identité temporaire ou éphémère (Zurcher, 1970), celle de « vacancier » et peut jouer ainsi différents rôles, dans un autre contexte que celui du quotidien. Il s’affranchit de certaines obligations sociales, telles que le travail, qui régulent et limitent ses comportements quotidiens. C’est donc un temps de libération pendant lequel l’individu est libre d’adopter ou d’associer de nouveaux comportements sociaux (Adler et Adler 1999, p. 35 ; Cohen 1973, p. 89 ; Graburn, 1983, p.13).
Si certains décrivent le temps des vacances comme une « voie d’évasion » de la réalité quotidienne (Réau, 2005, Berger et Luckmann, 1966, Cohen et Taylor 1976, p. 119), ou encore une rupture avec la routine (Rojek 1993), pour d’autres, le temps des vacances est le temps d’une pause, un temps de renouvellement et de rajeunissement de la force du travail au cours de laquelle le salarié en vacances se sent libre de choisir, parmi les comportements qui s’offrent à lui, la manière de vivre ses vacances. C’est l’intrusion d’un temps autre qui vient perturber le temps de la quotidienneté, notamment le temps social, le temps religieux, le temps de travail, le temps de la famille etc. Lorsque l’individu échappe ainsi à l’ordre social par l’opportunité de disposer d’un temps à part de vacances, il devient maître de ce dernier, c’est à dire il a le choix, pour le remplissage de ce temps acquis, de mettre en évidence son propre « style personnel » plutôt que de se soumettre aux « proscriptions sociales de la routine quotidienne » (Snow & Brissett, 1986, p.11). Il s’agit donc bien d’une coupure temporaire, d’une pause éphémère comme nous l’avons évoqué ci-dessus, puisque le salarié est appelé à reprendre plus tard sa place dans la structure sociale quotidienne, et ses responsabilités habituelles, notamment le travail. Dans cette perspective, le temps des vacances apparaît ainsi comme une suspension momentanée de l’activité qui s’impose dans le rythme quotidien de la vie. Autrement dit, c’est un retrait d’une courte durée, un temps d’arrêt dans le déroulement d’un processus, puisque le salarié reprend du service à la fin de son temps de vacances.
La période des vacances et le quotidien apparaissent comme deux temps distincts, même s’ils sont liés car le moment de vacances est un temps d’équilibre entre le travail, la routine et le quotidien, et ces deux temps ne se concurrencent pas et ne peuvent se comprendre l’un sans l’autre » (Weber (F), 1991, p. 187) écrit Weber (1991, p.187). Le temps des vacances est légitimé par celui du travail qui le justifie. La période de repos est courte, contrairement au temps du quotidien. L’image projetée durant les vacances n’est pas forcément celle du quotidien. En délimitant le moment approprié au cours duquel il doit être vécu, le moment des vacances est comme une « parenthèse dans le temps » (Goffman 1974, p. 45) qui délimite l’espace temporel pendant lequel l’identité de vacances sera exécutée. L’individu intègre temporairement cette identité de vacancier et se familiarise avec un nouvel environnement. Cependant, les manières de s’approprier et de remplir le temps des vacances diffèrent d’une société à une autre, d’un individu à un autre. En effet, la signification des vacances et les expériences qui en découlent varient selon les individus. Par exemple, dans certaines sociétés comme la société occidentale, les vacances s’apparentent à un « rituel social », qui s’ancre dans une histoire qui a commencé à devenir massive à partir des années 1950 (Granger, 2003). C’est devenu un « temps sacré » (Giovani Busino, 2004 ; Perier, 2000), rêvé et idéalisé par certains, une « norme sociale » qui contraint les individus à chercher un ailleurs (Blaise, Picot, 2013). Ce phénomène de « mimétisme social » (Périer, 1997) est conforté par la valorisation d’un certain état du corps tel que le bronzage, qui permet, dans une certaine mesure, de différencier ceux qui ont « réussi » leurs vacances (Brücker, 1975, p.68) de ceux qui ne sont pas partis.