Le contrôle de gestion dans les collectivités territoriales en contexte austéritaire

Le contrôle de gestion dans les collectivités territoriales en contexte austéritaire

De la notion de processus aux théories processuelles : éléments de clarification

La clarification de la notion de processus

Pour Van de Ven (1992), il existe une vraie confusion autour du terme de « processus » tant ce terme peut recouvrir des significations différentes. Pour lui, on donne habituellement trois sens différents au mot processus : « (1) une logique qui explique une relation entre des variables dépendantes et indépendantes, (2) une catégorie de concepts ou de variables qui font références aux actions d’individus ou d’organisations, et (3) une séquence d’évènements qui décrivent la manière dont des choses changent au cours du temps. »42 (p.169). Ces trois définitions sont porteuses d’acceptions très différentes de la notion de processus (Figure 4). La première perspective apparaît comme la plus restrictive des trois. Ici, la notion de processus fait référence à un modèle intrant-processus-sortant. La logique de processus est mobilisée pour expliquer une relation causale entre des variables. Ici, « un récit ou une logique processuel(le) est utilisé pour expliquer pourquoi une variable indépendante (input) exerce une influence causale sur une variable dépendante (outcome), mais il n’y a pas d’observation directe du processus »43 (Poole et al., 2000, p. 17). En effet, des argumentaires peuvent parfois être mobilisés pour expliquer des liens de cause à effet entre deux variables. De telles approches adoptent une vision assez restrictive de la notion de processus et s’inscrivent en réalité dans les théories de la variance (Van de Ven et Huber, 1990 ; Poole et al., 2000). La deuxième perspective décrit des concepts qui, par nature, impliquent des séquences d’événements comme par exemple la prise de décision (decision making) ou la formulation de la stratégie (strategy making). Il s’agit alors surtout de les différencier d’autres concepts plus « statiques » tels que l’environnement organisationnel, la structure ou encore la performance (Poole et al., 2000).

Cette acception de la notion de processus est celle que l’on retrouve le plus fréquemment dans les recherches en sciences de gestion. En réalité, les études adoptant ce type d’approche cherchent à étudier les antécédents et les impacts du changement. Les concepts de processus sont alors « opérationnalisés sous forme de construits et mesurés comme des entités fixes » (Poole et al., 2000, p. 17). De telles approches s’inscrivent, là encore, dans la catégorie des théories de la variance. La troisième perspective se différencie de la deuxième car elle prend une « perspective développementale et historique et se focalise sur des séquences d’incidents, d’activités et d’étapes qui se déroulent sur la durée de l’existence d’un sujet central »44 (Pettigrew, 1997, p. 338). Ici, le processus est considéré comme « une séquence cohérente d’événements ou d’activités qui décrivent la manière dont les choses changent au fil du temps »45 (Poole et al., 2000, p. 19). Pettigrew abonde en ce sens en considérant un processus comme une « séquence d’évènements individuels et collectifs, d’actions, et d’activités se déployant au court du temps dans son contexte »46 (p. 338). Dans cette perspective, les variables ne sont plus au centre de la modélisation. L’analyse se focalise avant tout sur l’enchaînement temporel des évènements. Pour Pettigrew (1997), seule cette troisième approche « observe directement et explicitement » un processus et est capable de « décrire et de rendre compte de la manière dont des entités […] changent et se développent au fil du temps » (p. 338).

Ainsi, seule cette troisième conception de la notion de processus permet d’inscrire la réflexion dans une théorie de processus. Toutefois, pour Poole et al. (2000) les trois perspectives de la notion de processus présentées ci avant ne sont pas si étanches les unes des autres. Les auteurs expliquent que « la troisième définition du processus peut être cartographiée à travers la seconde (qui regarde le processus comme une catégorie de concepts et de variables faisant référence à des actions individuelles ou organisationnelles) en définissant des variables qui décrivent les attributs de l’évènement de la séquence »47 (p.22). En d’autres termes, les études menées en considérant le processus comme un concept constituent une première base d’une réelle modélisation processuelle en ce qu’elles identifient les variables clefs permettant de décrire les évènements constitutifs des séquences.

En outre, pour Poole et al. (2000), « la troisième définition peut aussi être cartographiée à l’intérieur de la première (qui voit le processus comme une logique expliquant les relations causales entre des variables indépendantes et dépendantes) en distillant le récit général de la séquence d’événements pour créer une « histoire » qui rend compte de l’impact d’une variable plus tôt dans la séquence sur les variables dépendantes suivantes »48(p. 23). Ainsi, les deux premières définitions peuvent alimenter la troisième en lui apportant des informations qui pourront être utilisées pour cadrer l’analyse du processus et des évènements qui le constituent. Le chercheur pourra effectuer un travail de simplification en montant de la troisième à la deuxième puis à la deuxième à la première définition. Le mouvement inverse n’est pas possible car, si elle s’inscrit dans la troisième perspective, la modélisation processuelle contient bien plus d’information que dans les deux premières (Poole et al., 2000).

Les fondements d’une théorie processuelle 

La question du changement et du développement se pose à travers de nombreuses disciplines. Elle sous-tend de nombreux phénomènes organisationnels tels que la prise de décision, l’innovation, la formulation de la stratégie ou encore la mise en œuvre de réseaux inter-organisationnels (Poole et al., 2000). Aussi de nombreux concepts et théories ont été mobilisés pour étudier le changement organisationnel – la plupart du temps issus d’autres disciplines scientifiques – ayant nécessité un travail important d’analyse, d’organisation et de mise en cohérence théorique de ces travaux (Poole et al., 2000). Selon l’ancrage théorique choisi par le chercheur, ces phénomènes seront étudiés dans des perspectives très différentes Pour de nombreux auteurs, les sciences sociales s’articulent autour d’une distinction fondamentale entre les théories de la variance et les théories des processus (Langley, 1997 ; Poole et al., 2000) (Figure 5). Les théories de la variance reposent sur l’utilisation de variables. Elles cherchent à déterminer la nature de l’influence entre ces différentes variables en identifiant des liens de causalité (Langley, 1997 ; Poole et al., 2000). Le chercheur étudiera alors les relations causales qui lient des variables indépendantes et des variables dépendantes. La dimension temporelle n’entre pas dans l’analyse en ce que l’influence des variables est Reproduced with permission of the copyright owner. Further reproduction prohibited without permission. 74 considérée comme constante au cours du temps (Poole et al., 2000). De plus, l’ordonnancement temporel n’influe pas sur la détermination des variables dépendantes (Langley, 1997). Selon Poole et al. (2000 ; p.32 – 35), l’étude des phénomènes de changement et de développement organisationnels au travers d’une théorie de la variance repose sur sept postulats. (1) On considère que le monde est fait d’entités fixes présentant des attributs variés. (2) La causalité est nécessaire et suffisante pour étudier les phénomènes de changement observés. (3) Ces explications passent par l’analyse de l’action directe de variables indépendantes sur des variables dépendantes en utilisant des causalités efficientes. (4) La généralisation de ces explications dépend de leur capacité à être appliquées à d’autres contextes. (5) La séquence temporelle au sein de laquelle les variables indépendantes se déclenchent est immatérielle (elle n’est pas prise en compte dans l’analyse). (6) Les explications mettent l’accent sur la causalité immédiate en ce que le changement analysé (variable dépendante) est le produit d’un assemblage de variables indépendantes. (7) Enfin, les attributs ont un seul et unique sens causal à travers le temps puisque les modèles de variance opèrent de manière continue et uniforme. En résumé, dans une théorie de la variance, l’étude du changement organisationnel (la variable dépendante) repose sur l’identification de facteurs (variables indépendantes) ayant une influence directe sur le changement et permettant de l’expliquer. La dimension temporelle n’est pas prise en compte. Les théories des processus reposent sur des évènements (Langley, 1997). Le phénomène de changement organisationnel est alors caractérisé par une séquence d’évènements organisés au cours du temps (Poole et al., 2000). Ici, l’explication ne repose plus sur des liens de causalités mais sur un réarrangement probabiliste et la dimension temporelle devient critique pour l’analyse des résultats (Langley, 1997). Pour Poole et al. (2000), les théories des processus reposent sur sept assomptions opposées à celle des théories de la variance. (1) On considère en effet que le monde est constitué d’entités qui participent à des évènements et qui peuvent changer au cours du temps. (2) Ici, la causalité est nécessaire mais pas suffisantes pour expliquer le phénomène. (3) Ces explications reposent sur une causalité efficiente mais également sur des causalités finales et formelles. La causalité finale sous-entend que le changement est influencé par une finalité, un objectif tandis que la causalité formelle indique que le changement est influencé par des modèles formels, des cadres qui guident le mouvement. (4) La généralisation des explications dépend alors de leur versatilité. Il ne s’agit pas de construire un récit qui pourrait être appliqué à d’autres organisations mais plutôt d’identifier des mécanismes générateurs du processus applicables à des contextes distincts. (5) Ainsi, la séquence temporelle 75 des variables indépendantes (l’ordre dans lequel elles agissent) est critique. (6) Les explications du changement ne reposeront pas sur la seule causalité immédiate mais intégreront plusieurs phases en fonction des moments du processus. Enfin, on considère dans les théories des processus qu’une entité, un attribut, ou un événement peut changer au cours du temps. En résumé, au travers des théories des processus, l’étude des phénomènes de changement et de développement organisationnels passe par l’identification d’une séquence d’évènements inscrite dans un contexte donné. Les explications narratives du chercheur doivent alors permettre d’identifier les mécanismes générateurs du processus et d’expliquer l’enchaînement des évènements

Table des matières

LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
LISTE DES ANNEXES
LISTE DES ACRONYMES
INTRODUCTION GENERALE
CADRE THEORIQUE DE LA RECHERCHE
CHAPITRE 1 : POUR UN DEVELOPPEMENT DE LA THEORIE DU CHANGEMENT PROCESSUEL EN CONTROLE DE GESTION
SECTION 1 : LE POSITIONNEMENT DE L’ETUDE DANS LE CHAMP DU CHANGEMENT EN CONTROLE DE GESTION
SECTION 2 : POUR UN DEVELOPPEMENT DE LA THEORIE DU CHANGEMENT PROCESSUEL DE POOLE ET VAN DE VEN EN CONTROLE DE GESTION
CHAPITRE 2 : DU MANAGEMENT DE L’AUSTERITE AUX TRANSFORMATIONS DU PACKAGE DE CONTROLE DES COLLECTIVITES TERRITORIALES
SECTION 1 : DU MANAGEMENT DE L’AUSTERITE AU CHANGEMENT DU CONTROLE DE GESTION DES COLLECTIVITES TERRITORIALES
SECTION 2 : APPROCHE PAR LES PACKAGES DANS LE SECTEUR PUBLIC ET MOBILISATION DANS UN MODELE PROCESSUEL DE CHANGEMENT
RESULTATS ET INTERPRETATIONS
CHAPITRE 3 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
CHAPITRE 4 : RESULTATS DES ETUDES DE CAS
SECTION 1 : LE CAS DE SUD-VILLE
SECTION 2 : LE CAS D’OUEST-VILLE
SECTION 3 : LE CAS DE CENTRE-VILLE
SECTION 4 : LE CAS D’EST-VILLE
CHAPITRE 5 : COMPARAISON INTER-CAS ET DISCUSSION GENERALE
CHAPITRE 6 : CHAPITRE CONCLUSIF
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE

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