Télécharger le fichier original (Mémoire de fin d’études)
Nanothermométrie : enjeux et applications
La détermination précise de la température à une échelle inférieure à celle du micromètre trouve de nombreuses applications dans de multiples domaines. Dans le domaine de l’électronique et de l’optoélectronique, la miniaturisation des circuits et des différents dispositifs, ainsi que l’augmentation de la vitesse de traitement sont ralentis par des problèmes d’augmentation locale de la température. Les points chauds, ayant pour origine l’effet Joule, peuvent détériorer les performances et même causer des dégâts irréversibles. Ainsi, un contrôle de la température en temps réel et avec une bonne résolution spatiale est essentiel afin d’assurer la fiabilité et les performances de tels systèmes. De plus, l’utilisation de thermomètres de taille nanométrique permettrait un contrôle de la température de pièces difficiles d’accès mais aussi un contrôle non destructif durant les conditions réelles d’utilisation, ce qui s’avère être un avantage considérable dans de nombreux systèmes. Dans le cas de capteurs thermiques facilement dispersables et stables dans l’eau, le suivi et le contrôle de la température au sein de systèmes microfluidiques peuvent également être envisagés.
Une mesure locale de la température permettrait également de mieux comprendre les transferts ou la dissipation de chaleur lors de réactions chimiques par exemple. La cartographie en température pourrait améliorer la compréhension de mécanismes, notamment en catalyse. Ainsi, il serait possible de mieux comprendre les mécanismes d’action des catalyseurs et surtout de minimiser le coût énergétique de réactions chimiques.
D’autres utilisations sont également envisageables dans le domaine médical. En effet, une des premières signatures d’une maladie est la présence d’anomalies thermiques (caractéristiques des inflammations, ou de cellules cancéreuses) qui n’excèdent pas quelques degrés (moins de 10 °C). Aussi, une modélisation précise de la température à l’échelle cellulaire faciliterait la détection précoce des maladies. Plus précisément, en oncologie, il est admis que les cellules cancéreuses possèdent une activité métabolique plus importante que les cellules saines. De cette augmentation résulte une élévation de température qui, si elle est décelée, permettrait d’une part de mieux comprendre l’évolution des cellules cancéreuses mais surtout de diagnostiquer très tôt leur présence et donc d’anticiper le processus thérapeutique.
Une autre application médicale est envisagée, notamment suite au développement de traitements basés sur l’hyperthermie. En effet, cette thérapie de plus en plus utilisée dans le traitement de certains cancers, consiste à augmenter fortement la température de manière très locale grâce à des nanoparticules plasmoniques ou magnétiques. Ces nanoparticules ont la particularité d’induire un échauffement local après avoir été excitées respectivement par une source lumineuse ou un champ magnétique alternatif. L’augmentation de la température des nanoparticules et donc des cellules dans leur environnement proche au-delà du seuil cytotoxique conduit à la destruction de ces cellules. Cependant, ce traitement n’est pas sélectif, et c’est pourquoi il est nécessaire de cibler le traitement notamment en fonctionnalisant les nanoparticules. D’autre part, la mesure et le contrôle de l’augmentation de température permettrait d’éviter un chauffage excessif et donc de minimiser les dommages sur les tissus sains.
La thermométrie basée sur l’étude de la luminescence sera détaillée dans la suite de ce chapitre.
Etude de la luminescence en fonction de la température
Différentes propriétés de luminescence observées pour la détermination de température
Tous les composés luminescents ont en principe une émission dépendante de la température. D’après la loi de Boltzmann, la population des niveaux électroniques d’une molécule ou d’un matériau est fonction de la température.
Avec N le nombre d’électron, E l’énergie du niveau associé, kB la constante de Boltzmann et T la température. Autrement dit, plus la température augmente plus la probabilité qu’un électron se situe dans des niveaux énergétiquement élevés va augmenter (distribution de Boltzmann). Ainsi la population du niveau émetteur va être impactée, ce qui aura des conséquences sur les propriétés de luminescence du fluorophore. On rappellera, qu’un fluorophore est un élément qui est à l’origine de la luminescence, et qu’il peut être un ion, une molécule ou encore une partie d’une molécule. Toutefois, la sensibilité vis-à-vis de la température varie d’un composé à un autre, c’est-à-dire que les variations de propriétés peuvent être plus ou moins importantes, et de ce fait seuls certains sont intéressants et étudiés en tant que capteur thermique. Différents paramètres de luminescence sont susceptibles de varier avec la température comme la largeur de la bande d’émission, la position du pic, l’intensité d’émission, la durée de vie ou encore la polarisation (figure 1.1).
La largeur d’une bande d’émission dépend des propriétés intrinsèques du fluorophore (origine de l’émission, degré de désordre). Lorsque la température augmente, la densité de phonons augmente également, ainsi la bande d’émission s’élargie.
La position spectrale du pic d’émission est déterminée par la différence énergétique des niveaux impliqués dans la transition électronique à l’origine de la luminescence. Par conséquent, une variation de la position spectrale peut avoir de multiples origines en fonction du système étudié comme la variation de l’énergie des niveaux électroniques, la dilatation du réseau cristallin ou encore la variation de l’indice de réfraction.
Il est possible de déterminer la température à partir des propriétés de polarisation des fluorophores. Lorsque des molécules sont excitées par une lumière polarisée, seules les molécules dont le moment dipolaire de transition est proche de la direction de polarisation de cette lumière sont excitées. La durée de vie de l’état excité, et la polarisation de la molécule peuvent varier à cause du mouvement brownien, mais aussi des vibrations de torsion, ou suite à des transferts d’énergie. Ainsi, la direction de polarisation de l’émission de luminescence dépend de la liberté de rotation. Les phénomènes à l’origine de la dépolarisation sont amplifiés quand la température augmente. Il est donc possible de remonter à la température en étudiant la polarisation de l’émission. La dépolarisation dépend de la taille du fluorophore mais aussi de sa polarisation intrinsèque et de son anisotropie, expliquant que ce phénomène n’est étudié que pour certains types de fluorophores comme par exemple la fluoresceine6.
Lorsqu’un matériau est excité, celui-ci peut se désexciter par voie radiative ou par voie non radiative. Quand la température augmente, la probabilité de transition non radiative augmente au détriment de la probabilité de transition radiative. Ainsi, généralement le rendement quantique et donc l’intensité de luminescence diminue quand la température augmente. La dépendance en température peut être cependant bien plus complexe en fonction du type de matériau ou de molécule étudiés. En effet, l’augmentation de température peut également induire d’autres transitions engendrant la désexcitation, mais aussi permettre l’interaction entre molécules du fait de l’agitation thermique. Les deux cas de figure induisent le quenching (l’inhibition) de la luminescence.
D’autres phénomènes peuvent avoir pour conséquence l’inhibition de la fluorescence tels que l’absorption de la fluorescence émise par le fluorophore (réabsorption interne), ou encore un phénomène de dégradation photo-induite, notamment suite à des réactions photochimiques (pour des composés organiques,le plus souvent venant de l’oxygène). De plus, lorsque l’on étudie l’évolution d’une seule bande d’émission, les conditions de mesures peuvent impacter directement l’intensité de luminescence. Afin de pallier aux variations dues au dispositif expérimental, une méthode dite FIR (Fluorescence Intensity Ratio) est très couramment utilisée. Elle consiste à comparer l’intensité de luminescence de différents niveaux proches en énergie. L’intensité d’émission due aux transitions de ces deux niveaux va être influencée de la même manière quel que soit le dispositif expérimental. Dans la littérature, la plupart des systèmes utilisant cette méthode ont pour fluorophore des ions lanthanides trivalents (Pr3+, Nd3+, Sm3+, Eu3+, Dy3+, Ho3+, Er3+, Tm3+, Yb3+). En effet, ces ions ont la propriété de posséder certains niveaux énergétiques ayant une différence en énergie suffisamment faible. Si cette énergie est proche ou inférieure à kBTA (avec kB la constante de Boltzmann et TA la température ambiante), on dit que ces niveaux électroniques sont couplés thermiquement. Dans ce cas, une faible variation de la température peut induire un changement drastique dans la répartition électronique, modifiant le ratio des intensités de ces deux états. Ce phénomène est illustré figure 1.2.
L’étude de la variation du temps de vie de luminescence est également très courante. Le temps de vie de luminescence est défini comme le temps que met l’intensité d’émission à décroitre de 1/e (dans le cas d’un déclin mono-exponentiel) par rapport à sa valeur initiale après une excitation optique, très souvent une impulsion laser. Il est possible de relier l’intensité de luminescence It au temps de vie τ selon : It = I0 e(-t/ τ)
Avec I0 l’intensité de luminescence au temps t = 0.
Contrairement au cas de la mesure de l’intensité d’émission, l’étude de la variation du temps de vie ne dépend pas des conditions expérimentales (variation du signal ou fluctuations de l’intensité de la source excitatrice). De plus, une variation de la concentration en espèces luminescentes ne va pas directement impacter le temps de vie, à condition que les espèces luminescentes soient stables lorsque la concentration varie (pas de création d’agrégats ou de déplacement d’équilibre induisant une réaction). Ainsi, dans le cas de cette méthode, l’étude d’une seule bande d’émission est suffisante. Cependant, le dispositif expérimental est plus sophistiqué dans le cas de l’étude des temps de vie que dans celui des intensités. En effet, une source pulsée est nécessaire. Afin de limiter le coût du dispositif et de faciliter la détection, les composés étudiés doivent avoir un temps de déclin de luminescence relativement long (> 1 μs). Enfin, le déclin de luminescence ayant une allure mono-exponentielle est un cas idéal. Dans la littérature, on retrouve de nombreux exemples montrant des déclins d’allure multi-exponentielle, rendant plus complexes les exploitations et attestant d’un mécanisme de désexcitation à plusieurs voies.
Estimation des performances et comparaisons des systèmes
Il existe des critères utilisés systématiquement dans la littérature1,8 afin d’estimer les performances des différents capteurs thermiques, les plus courants étant la sensibilité, la résolution, la répétabilité, et la réversibilité. Dans le cas de la thermométrie basée sur la luminescence des matériaux, la température n’est pas directement mesurée, mais des paramètres caractéristiques de la luminescence sont étudiés (intensité, temps de vie, position spectrale…). L’exploitation des mesures permet, après calibration en amont du système, de déduire la valeur de la température.
La sensibilité, notée S, est définie comme la valeur absolue de la dérivée partielle du paramètre étudié (noté ∆) en fonction de la température soit : ∂∆ S = |∂T|
La sensibilité est exprimée en unité du paramètre étudié par °C. Aussi, afin de pouvoir comparer les performances de systèmes utilisant des paramètres d’étude différents, on définit également la sensibilité relative (Sr) telle que : 1 ∂∆ Sr = ∆ |∂T|
La sensibilité relative est exprimée en °C-1, elle est souvent présentée sous la forme d’un pourcentage % °C-1. Typiquement, on peut parler de sonde thermique performante lorsque sa sensibilité est supérieure à 1 % °C-1. Par la suite, lorsqu’on parlera de sensibilité, il s’agira de la sensibilité relative.
La résolution en température, notée ∆T, correspond à la plus petite variation de température provoquant une variation perceptible de la valeur de l’indicateur étudié.
Avec Sr la sensibilité, σ l’écart type sur la mesure et Δ le paramètre mesuré. Elle est exprimée en °C, et dépend des conditions de mesure et notamment du rapport signal sur bruit du système de mesure. Expérimentalement, l’écart type est calculé à partir d’une série de mesures répétées dans les mêmes conditions et avec la même instrumentation. Plus la valeur de l’écart type est faible, meilleure sera la répétabilité de la mesure.
De même il est possible d’évaluer la réversibilité d’un système en effectuant des mesures cycliques à deux températures différentes et en comparant les valeurs mesurées à chaque cycle. Plus les valeurs à une température donnée sont proches, plus le caractère réversible du système sera important.
Nanothermomètres luminescents dans la littérature
Un matériau luminescent pour des applications en tant que capteur thermique doit posséder différentes caractéristiques essentielles. Il doit tout d’abord avoir une intensité d’émission élevée afin d’être facilement détectable, ce qui limitera le coût du système de détection. Une haute sensibilité à la température dans les gammes souhaitées est une caractéristique essentielle de ce genre de matériau. Le matériau doit également être photostable, c’est-à-dire qu’il ne doit pas se dégrader ni voir ses propriétés de luminescence être altérées suite à une irradiation prolongée. Il doit également être disponible commercialement ou simple à synthétiser. Enfin, dans le cas d’applications in vivo, le matériau doit pouvoir être excité et émettre dans une gamme spectrale restreinte. En effet, les tissus biologiques ont la capacité de réémettre naturellement de la lumière après excitation dans le domaine UV ou visible, ce phénomène est appelé autofluorescence des tissus. Si le matériau est excité après injection, une excitation dans ces gammes spectrales engendrera ce phénomène. Le signal collecté proviendra donc de la sonde mais aussi de l’autofluorescence des tissus ce qui altèrera donc la réponse du capteur thermique. Une excitation dans une des fenêtres de transparence des tissus biologiques c’est-à-dire dans l’infrarouge ou proche infrarouge, permettra de minimiser ce type de phénomènes, mais également de pénétrer plus profondément dans les tissus et par conséquent de sonder des zones en dessous de la surface de l’épiderme10.
Beaucoup de composés répondent à ces critères. Dans cette partie, nous détaillerons les composés les plus étudiés dans la littérature : les semiconducteurs (Quantum Dots), les composés organiques, les polymères, les composés à base de terre rares et les composés à base de métaux de transition.
Les quantum dots
Rappels sur les quantum dots
Les propriétés d’absorption et d’émission de nanocristaux semiconducteurs (aussi appelés quantum dots) sont drastiquement modifiées lorsqu’ils sont confinés à l’échelle nanométrique. Ainsi, ils ont la particularité d’avoir une couleur dépendante de leur taille ou de leur forme11 (voir figure 1.3).
Ce phénomène s’explique par le confinement quantique des électrons. Ce dernier entraîne une modification très profonde de la structure électronique, les niveaux d’énergie sont discrétisés contrairement au matériau massif présentant un continuum d’énergie. La différence énergétique entre la bande de conduction et la bande de valence est d’autant plus importante que la taille des nanocristaux diminue. L’excitation par des photons d’énergie égale ou supérieure au gap énergétique de ces quantum dots entraîne la création d’une paire électron-trou appelée exciton. Les électrons et les trous sont ainsi libres de se mouvoir au sein du nanocristal mais ils sont cependant confinés spatialement. Ils peuvent se recombiner en émettant un photon de longueur d’onde inversement proportionnelle à la valeur du gap énergétique. Le rendement quantique de fluorescence des quantum dots est très élevé (en moyenne 90 %)12, et ces derniers présentent également l’avantage d’avoir une gamme spectrale d’excitation très large.
Table des matières
Introduction Générale
Liste des abréviations
Chapitre 1 : Thermométrie à l’échelle nanométrique
I. Introduction à la thermométrie
II. Nanothermométrie : enjeux et applications
III. Etude de la luminescence en fonction de la température
III.1) Différentes propriétés de luminescence observées pour la détermination de température
III.2) Estimation des performances et comparaisons des systèmes
IV. Nanothermomètres luminescents dans la littérature
IV.1) Les quantum dots
IV.2) Les composés organiques et polymères
IV.3) Les composés à base de terre rare
IV.4) Les composés à base de métaux de transition
IV.5) Les composés à luminescence persistante
V. Cahier des charges et objectifs
Bilan
Bibliographie
Chapitre 2 : Nanoparticules de ZnGa2O4:Cr3+ sondes luminescentes de la température
I. Etat de l’art des matériaux ZnGa2O4:Cr3+
I.1) Structure
I.2) Origine de la luminescence
II. Synthèse et caractérisations
II.1) Synthèse hydrothermale assistée par chauffage micro-onde suivie d’un traitement thermique
II.2) Caractérisations structurales
II.3) Caractérisations optiques
III. Variation des propriétés de luminescence en fonction de la température
III.1) Luminescence persistante
III.2) Photoluminescence
III.2) Comparaisons et estimation des performances
IV. Ajout d’un co-dopant : le bismuth (III)
IV.1 Influence des co-dopants dans la littérature
IV.2) Synthèse et caractérisations des ZGO:Cr3+,Bi3+
IV.3) Variation des propriétés optiques en fonction de la température
IV.4) Origine de l’influence du bismuth
Conclusion
Bibliographie
Chapitre 3 : Modulation des propriétés des nanothermomètres
I. Introduction
II. Modification de la matrice
II.1) Effets de taille
II.2) Modification du champ cristallin
III. Co-dopage à l’Ytterbium : variation de la longueur d’onde d’excitation dans la fenêtre de transparence des tissus biologiques
III.1) Systèmes à up-conversion
III.2) Nanoparticules de composition ZGO:Cr3+,Yb3+
III.3) Nanoparticules de composition ZGO:Cr3+,Yb3+,Er3+
III.4) Vers une meilleure compréhension du mécanisme
III.5) Conclusion
Conclusion
Bibliographie
Chapitre 4 : Mesure locale de la température : couplage entre nanosources de chaleur et nanothermomètres
I. Introduction
II. Nanoparticules d’or
II.1) Nanosources de chaleur plasmoniques dans la littérature
II.2) Cahier des charges et synthèse des nanosources de chaleur
II.3) Couplage entre nanosources de chaleur et nanothermomètres
II.4) Variation de l’épaisseur de la coquille de silice dans les composites ZGO@SiO2
II.5) Influence du milieu : mesures dans le glycérol
II.6) Conclusion
III. Nanoparticules magnétiques
III.1) Hyperthermie magnétique dans la littérature
III.2) Mise en place d’un système portatif
Conclusion
Bibliographie
Conclusion Générale et Perspectives
Valorisation scientifique
Annexes
Annexe 1 : Matériels et méthodes
I. Synthèse des nanothermomètres
II. Caractérisations structurales des nanothermomètres
III. Caractérisations optiques des nanothermomètres
IV. Caractérisations des bâtonnets d’or
V. Dispositif portatif
Annexe 2 : Rendements quantiques de luminescence
Annexe 3 : Diagrammes des niveaux d’énergie : méthode de P. Dorenbos
Annexe 4 : Relation entre spectre d’excitation et diagramme de Tanabe-Sugano
Annexe 5 : Autre domaine spectral – nanoparticules de composition Zn2GeO4:Mn0,5%
Annexe 6 : Particules coeur-coquille
Annexe 7 : Mélange nanosources de chaleur et nanothermomètres – influence de la concentration
Résumé