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Panorama de la défense animale en France
En France, les associations de défense de la cause des animaux d’élevage se distinguent par plusieurs courants bien définis. Dès lors, nous pouvons aujourd’hui reconnaitre deux courants associatifs (non exhaustifs) pour les animaux d’élevage : le réformisme et l’abolitionnisme.
Les associations s’inspirent de courants de pensées philosophiques que nous étudierons un peu plus bas dans ce mémoire. Les associations, aux actions et courants de pensées différents, mettent en place des stratégies communicationnelles bien distinctes. Ces courants, en lien avec les associations, développent leur stratégie de communication et construisent leurs discours. Nous allons, dans cette première partie, faire une analyse de la situation française et montrer quelles sont les associations de défense des animaux, comment se démarque L214 et sur quels sujets.
Y a-t-il concurrence ou au contraire complémentarité entre les différentes associations concernées ? Qu’en est-il sur les réseaux sociaux ?
Un état des lieux
Un courant modéré : le réformisme
Nous avons décidé de parler ici principalement du réformisme, courant modéré auquel se rattachent la plupart des associations françaises de défense de la cause des animaux d’élevage. Ce courant compte bon nombre de ramifications et de nuances que nous ne détaillerons pas dans ce mémoire. Quel que soit le courant éthique auquel nous nous intéressons, il est important de souligner qu’il est « borné par deux pôles importants : le spécisme et l’antispécisme » que nous évoquerons par la suite.
Les réformistes12 ne remettent pas en cause l’élevage des animaux destinés à notre consommation (viande et fourrure). lls s’attaquent plutôt aux conditions dans lesquelles l’élevage est réalisé et géré. Ce courant de pensées est issu d’un courant britannique : « animal welfare ». Les réformistes reconnaissent aux animaux d’élevage le statut d’êtres sensibles comme le précise la loi française : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce3 ». Les associations liées à ce courant se mobilisent et luttent pour que les animaux d’élevage puissent exprimer un comportement proche de leur état naturel. Les associations initient des actions pour améliorer les conditions d’élevage, d’abattage ou encore de transport des animaux. L’objectif est de réformer les méthodes d’élevage.
En France, les principales associations issues du courant réformiste sont Welfarm – Protection mondiale des animaux de ferme -, Compassion In World Farming France (CIWF France) et l’Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs (OABA). Leur objectif est d’informer les consommateurs et le grand public afin d’améliorer les conditions d’élevage. Elles ne prônent pas le végétarisme ou le véganisme. Leur stratégie de communication est centrée sur des campagnes d’information afin que le consommateur soit conscient de la règlementation liée aux pratiques d’élevage. Leur but n’est pas de dénoncer des pratiques violentes qui peuvent être utilisées dans les abattoirs. Ces associations ne veulent pas forcément confronter le consommateur aux mauvaises pratiques plutôt brutales. Elles placent le « bien-être » de l’animal au centre de leur communication. Les publics sont aussi bien des enfants, des adolescents ou des adultes car chaque personne est un consommateur potentiel.
Le ton de leur communication est « léger » et parfois « ludique ». Les différentes associations utilisent occasionnellement des mascottes afin de mieux faire passer certains messages. Une partie de leur message est destinée à modifier les habitudes alimentaires des Français, non pas en leur disant de ne pas manger de viande ou des produits d’origine animale, mais en préconisant la qualité à la quantité. Il pourrait être traduit de cette manière : « Mangez des produits d’origine animale de qualité, dans lesquels le bien-être des la ferme et les pratiques responsables à tenir. Ils deviennent prescripteurs auprès de leurs parents.
Les refuges pour animaux d’élevage adoptent une philosophie se rapprochant du courant de pensées réformiste. Leur cœur de métier est de recueillir des animaux et de les faire adopter quand ils le peuvent. La plupart des associations se positionnant comme refuge se concentrent globalement sur les animaux domestiques (chiens, chats, NAC…). Cependant, quelques associations créent aussi des refuges pour les animaux d’élevage qui ont pu être sauvés de l’abattoir par des militants. Ces associations placent aussi des chevaux de course réformés destinés à l’abattoir.
Les refuges pour animaux dits « de ferme » ont besoin de fonds, il faut des infrastructures pour les accueillir, les soigner (faire appel à des vétérinaires). Il existe de nombreux endroits en France dans lesquels les animaux d’élevage sont protégés. Les associations qui s’en occupent sont nombreuses : nous avons pour les plus connues : 30 millions d’amis et la SPA. Généralement, ils privilégient les actions de terrain. Leur communication se concentre sur la prévention contre la maltraitance, le discours concerne l’adoption et la mobilisation contre l’abandon des animaux.
Un courant plus extrême : l’abolitionnisme
Tout comme le réformisme, l’abolitionnisme connaît plusieurs variantes, plusieurs déclinaisons. Nous allons essayer de cerner les contours et les principes de ce courant sans pour autant détailler toutes ses ramifications et subdivisions. Notre état des lieux concernant les courants de pensées des associations de protection animale d’élevage nous amène donc à étudier un courant de pensées qui paraît plus extrême et plus radical dans sa façon d’exister. L’abolitionnisme prône, comme son nom l’indique, l’abrogation totale de tuer ou d’exploiter des animaux d’élevage pour nos propres besoins. Les abolitionnistes souhaitent la libération animale pure et parfaite. Certains affirment que les animaux ont des droits qui devraient être reconnus par notre société. Pour ce faire, les associations qui militent pour ces valeurs prêchent aussi en faveur d’un régime alimentaire différent du modèle d’aujourd’hui : le végétarisme, le végétalisme, le flexitarisme ou, à l’extrême, le véganisme. Ce courant de pensées en anglais se nomme « animal right ». Les principales associations abolitionnistes françaises sont L214 Éthique et Animaux, la Fondation Brigitte Bardot, PETA ou encore 269 Life.
Au sein du courant de pensées lié à l’abolitionnisme, il existe deux branches. D’un côté, nous avons les abolitionnistes qui rassemblent les associations qui souhaitent porter la question de l’éthique dans le débat public et dans l’espace public français. Leur objectif est de modifier les comportements des consommateurs et de les encourager à devenir végétariens (régime non carné) ou vegan (régime sans produits issus des animaux). Ces associations vont parfois plus loin en avançant des problématiques de santé ou encore d’environnement.
Du point de vue de leur stratégie de communication, elles vont privilégier une communication plus violente en diffusant des vidéos tournées dans les abattoirs ou les élevages. Elles organisent aussi très souvent des « happenings » où l’objectif est de montrer aux passants la face cachée de l’exploitation des animaux d’élevage en montrant la mort et la souffrance de façon très directe. Cette stratégie passe par des actions agressives. Nous pouvons citer par exemple, la mise en scène de « barquettes humaines » recouvertes de plastic et de sang dans lesquelles des militants nus se placent afin de sensibiliser les consciences sur le nombre d’animaux tués.
La deuxième catégorie des associations abolitionnistes se compose majoritairement d’associations vegan ou végétariennes. Elles vont gommer l’animal de leur communication tout en suggérant des pratiques ou habitudes où l’animal n’a plus sa place. Ainsi l’une des dernières campagnes de communication de l’Association Végétarienne de France mettait en avant des recettes de cuisine totalement végétariennes. Les associations de ce type vont utiliser un ton beaucoup plus positif. Elles ne vont pas promouvoir des campagnes chocs ou violentes ; leurs campagnes sont plus neutres, plus lisses. Nous pouvons citer le programme 1, 2, 3 Veggie qui a été créé par l’Association Végétarienne de France. L’animal a complètement disparu des images qui sont beaucoup plus éducatives et se concentrent sur l’alimentation elle-même.
Figure 4 : dépliant pour la campagne 1, 2, 3 Veggie ©Association Végétarienne de France, 2016 3) La place de L214 dans ce paysage de courants de pensées éthiques
Après avoir analysé les différents courants de pensées des associations françaises de défense animale, nous cherchons ici à savoir où se positionne L214 Éthique et Animaux dans ce paysage et de quel courant elle se rapproche le plus. Dans le but de comprendre le positionnement de l’association L214, nous avons élaboré un graphique afin de représenter la place des associations, en fonction de deux axes ; l’ordonnée représentant le courant abolitionniste et l’abscisse, le courant des réformistes. La liste n’est pas exhaustive et comprend les associations que nous avons jugées les plus pertinentes pour notre étude4. Notre choix s’est porté sur certains critères, notamment leur notoriété sur les réseaux sociaux et leur influence dans l’espace public.
Comme nous pouvons le voir dans la figure n°5, L214 se positionne comme une association tournée vers l’abolitionnisme. Pour déterminer le positionnement des associations mentionnées, nous avons pris en compte plusieurs critères. Nous avons, dans un premier temps, étudié leur discours et leurs actions dans les médias, sur leur site Internet et sur les réseaux sociaux. La majorité des associations que nous avons citées se déterminent clairement comme étant abolitionniste ou réformiste. D’autres sont plus partagées dans leur discours, mais il y a souvent un courant majoritaire.
L214 est une des associations les plus extrémistes et radicales du paysage associatif français concernant la défense des animaux d’élevage. Selon un article d’Audrey Garric dans Le Monde5 : « Leur credo est radical : ils souhaitent l’abolition de toute exploitation animale, donc des élevages et des abattoirs, industriels comme familiaux ». Cependant, nous pouvons considérer que L214 se rapproche aussi du courant réformiste. Nous pouvons la juger comme une association hybride, non seulement abolitionniste mais également réformiste, agissant ou communiquant en s’appuyant sur l’un ou l’autre de ces courants en fonction de ses objectifs et de ses cibles. A terme, L214 prône la fin de l’exploitation animale. Les cofondateurs savent que cela va prendre du temps car il faut éveiller les consciences et changer les habitudes alimentaires des Français. Donc, en attendant, L214 mène aussi de front des campagnes dites « réformistes ». Par exemple, elle milite pour la suppression de l’exploitation des poulets. En attendant que cela soit possible, l’association met tout en œuvre pour que les poulets possèdent des cages plus grandes et mieux adaptées à leur condition animale et leur bien-être, notamment avec leur campagne #STOPCAGE6.
L’association L214 Éthique et Animaux a été créée en 2008 par Brigitte Gothière et Sébastien Arsac, militants proches des Cahiers antispécistes. L214 fête ses dix ans cette année avec des réussites inespérées : des dons et des effectifs qui ont doublé en deux ans7. L’association peut aussi compter sur de nombreux militants actifs dans toute la France et pas seulement en région parisienne. L214 a connu une forte notoriété médiatique acquise en peu de temps grâce à ses actions et campagnes chocs liées aux vidéos filmées en caméras cachées. De plus, elle recourt à de nombreux moyens de communication : sites Internet, newsletters, affiches, brochures, matériel militant… L214 est suivie par plus de 719 000 personnes sur Facebook, chiffre plus élevé que Greenpeace France ou PETA France qui existent depuis beaucoup plus longtemps dans le paysage associatif. L’association est aussi présente sur Twitter (60 268 followers), Instagram (42 000 abonnés) et YouTube.
De plus, l’association a multiplié ses moyens de communication pour être multi-cibles. L’association communique via ses vidéos, newsletters, tracts, pétitions, panneaux 4×3 dans le métro parisien et les communiqués de presse. Elle possède de nombreux sites Internet d’information dans lesquels elle compartimente ses messages principaux. Nous pouvons compter actuellement dix sites internet :
– http://www.L214.com : site institutionnel de L214 Éthique & Animaux ;
– animaux.L214.com : les images des enquêtes de l’association ;
– Stopgavage.com : site Internet dédié au sort des canards et des oies utilisés dans la production de foie gras, de magrets et de confits ;
– VegOresto : site Internet qui référence les restaurants proposant une alternative vegan à leur carte ;
– Vegan Pratique : site Internet qui regroupe des informations nutritionnelles, des conseils pratiques et des recettes vegan ;
– le blog de L214 Éthique & Animaux : blog qui publie les événements auxquels L214 Éthique & Animaux participe ;
– la boutique de L214 Éthique & Animaux : site Internet sur lequel les internautes peuvent commander du matériel, des documents et des livres autour de la question animale ;
– Lait-vache.info : site Internet qui informe sur la production de lait, fromage… ;
– Abolir-la-viande.org : site Internet qui regroupe des documents pour comprendre la position sur l’abolition de la viande ;
– Viande.info : site Internet qui informe sur l’impact de la consommation de produits d’origine animale sur les humains, les animaux et l’environnement ;
– Politique & Animaux : site Internet au service des citoyens ayant pour objectif de rendre visibles les positions des politiques sur la condition animale.
L214 bénéficie de la transformation des habitudes alimentaires des Français qui souhaitent consommer des produits écologiquement « vertueux » et qui se substituent à la viande. Selon Lux Research8, « la demande de produits alternatifs à la viande devrait plus que doubler ces sept prochaines années, avec une augmentation de 14% par an ». Les rapports scientifiques ne cessent de dénoncer l’élevage intensif comme une des causes principales d’émission de CO2 et de consommation d’eau. Les Français sont de plus en plus sensibles à la souffrance animale, ce qui amène l’agroalimentaire traditionnel à parier sur le secteur vegan en finançant des entreprises qui proposent des produits de substitution. Enfin, la consommation de viande en France a baissé de 1,7% en 2017. Selon la synthèse annuelle du ministère de l’Agriculture9, en 2017, pour la troisième année consécutive, la consommation de viande à domicile des ménages se réduit. Cependant, l’association semble souffrir d’une image quelque peu extrémiste à cause de ses actions chocs et violentes. Ses opposants dénoncent des images orientées et contre-productives et L214 n’arrive pas encore à mobiliser l’ensemble de son écosystème à la cause vegan. Ses principaux détracteurs, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (CNIEL), et l’Interprofession des œufs (CNPO) ont encore énormément de pouvoir car la place de l’agriculture en France représente un poids économique non négligeable. Ses opposants contredisent L214 sur la place publique, écrivent des tribunes dans les journaux et sont aussi très actifs sur les réseaux sociaux.
La France est un pays gastronomique pour lequel la viande, le lait, les œufs font partie de l’alimentation journalière10. La prise de conscience sera longue et difficile avant que des changements de régime alimentaire ne s’effectuent. La règlementation en faveur des animaux d’élevage est souvent insuffisante ou non respectée, ce qui porte préjudice aux actions de l’association11.
Table des matières
INTRODUCTION
I) Panorama de la défense animale en France
A) Un état des lieux
1) Un courant modéré : le réformisme
2) Un courant plus extrême : l’abolitionnisme
3) La place de L214 dans ce paysage de courants de pensées éthiques
B) Les courants de pensées éthiques inspirant L214 et favorisant la légitimation de ses actions
1) L’antispécisme : concept fondamental de l’éthique animale (1970)
2) Les courants vegan
C) L’association L214 : de l’activisme à la promotion du véganisme : vers une civilisation sensibiliste
1) L214 : une identité forte
2) Un militantisme et un activisme à toute épreuve
3) Une professionnalisation sur les réseaux sociaux
II) La communication sur les réseaux sociaux de L214 : un activisme en ligne ?
A) Les usages stratégiques de L214
1) Le succès des campagnes percutantes virales et médiatiques : une double stratégie pour exister dans l’espace public médiatique
2) La réaction de l’opinion publique : le changement des consciences
3) Une stratégie de communication durable dans le temps ?
B) Une narration organisée en discours militant
1) La communication via le discours de l’association L214
2) L’émotion : un registre bien utilisé sur les réseaux sociaux
3) Le discours employé pour changer les représentations de l’imaginaire collectif sur les animaux
C) Une stratégie évoluant vers une communication institutionnelle
1) La transmission de ses messages via des personnalités engagées
2) L’art de la pédagogie sur les réseaux sociaux
3) Une stratégie en trois temps sur les réseaux sociaux
III) La communication institutionnelle de L214 : un chemin vers la sphère politique française ?
A) Le choc devient la voie d’un message pacifiste
1) Objectif de L214 : porter le message dans le débat public
2) L’association L214 : un interlocuteur privilégié des institutionnels
3) L’évolution des choix communicationnels de l’association L214
B) L’association L214 et la sphère politique : entre lobbying et e-influence ?
1) Son discours politique
2) L214 : un lobby ou un e-influenceur ?
C) Nos recommandations auprès de l’association L214 pour une amélioration de leur stratégie digitale sur les réseaux sociaux
1) Développer ses partenariats avec des influenceurs sur les réseaux sociaux
2) Développer Instagram pour atteindre les plus jeunes
3) Mener des campagnes institutionnelles pour asseoir son influence
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
RÉSUMÉ
MOTS CLEFS