Le rôle des matériaux dans le développement
Tout développement technologique ou presque est associé à l’avènement de nouveaux matériaux: l’âge de la pierre, du bronze, du fer etc. On trouve souvent ces derniers sur le marché alors que d’autres sont encore au stade de recherche en laboratoire [7]. Récemment, les découvertes et avancées technologiques dans l’appréhension des matériaux ainsi que l’essor des outils informatiques d’aide au calcul ont contribué à la prolifération de matériaux qualifiés d’intelligents, d’actifs, d’adaptatifs, de fonctionnels, etc [16]. Ils peuvent se définir comme des matériaux capables de modifier leurs propriétés intrinsèques ou extrinsèques (mécaniques, thermiques, optiques ou électromagnétiques) d’une manière plus ou moins contrôlable en réponse aux variations de leurs environnements [8]. Le champ d’application de ces matériaux est assez large voire total [17]. Cela implique scientifiques et ingénieurs de divers domaines: mécanique, électrique, automatique, informatique etc. Toutefois, dans le cadre de notre thèse nous nous limiterons aux matériaux électrostrictifs (piézoélectriques et magnétostrictifs). L’avènement des matériaux électrostrictifs a permis de repenser les fonctions d’actuation et mesure grâce à leur intéressant principe de conversion électromécanique de l’énergie. Les composants faits à base de ces matières sont prisés dans la conception des structures complexes et avancées ainsi que dans les processus de fabrication. Cela nécessite le concours des scientifiques et ingénieurs de divers horizons.
Contexte
L’assemblage est un processus qui peut nécessiter le perçage de milliers de trous. C’est le cas dans l’aéronautique lors de la jonction du fuselage aux autres parties de l’avion. Ces trous sont de diamètres φ beaucoup plus faibles que la profondeur h: φ h ≪ 1. La principale difficulté d’un tel processus est la fragmentation et l’évacuation des copeaux. Les risques liés à cela sont illustrés en Figure 1.1. L’outil peut se retrouver coincé ou cassé dans le trou. Les premières solutions consistaient en des cycles de débourrages avec comme principal inconvénient un manque à gagner en temps et en état de surface. D’autres solutions ont été alors proposées . En l’occurence, la technique de perçage au foret 3/4 (Figure 1.2). L’outil est conçu de telle façon à ce que les copeaux soient évacuées à l’aide d’un système de pression. Ceci élimine les cycles de débourrage et améliore l’état de surface [1, 2]. L’inconvénient majeur de cette approche est la nécessité d’un système de pression. Une autre alternative a été d’injecter des micro-vibrations soit à l’outil, soit à la pièce. Celles-ci aident alors à l’obtention de copeaux fins. Les premiers systèmes du genre étaient purement mécaniques. Leur inconvénient est que lorsqu’on change sensiblement les conditions de coupes, il faut changer le système de vibration. Dans cette situation, les matériaux électro-actifs sont les meilleurs candidats en ce sens qu’ils sont plus flexibles et contrôlables. Par ailleurs, de façon générale, le processus d’usinage est très sensible aux changements des paramètres de coupe et aux déséquilibres à l’origine de broutements. Ces derniers sont les plus problématiques dans le processus de coupe. Leurs effets indésirables incluent notamment le bruit, le mauvais état de surface, la médiocre précision et ils réduisent aussi la durée de vie des outils [18]. Plusieurs techniques dont quatre citées dans [19] (Minimizing 10 1. General Introduction vibration tendencies in machining), sont utilisées pour améliorer la rigidité dynamique et la stabilité du processus: utilisation de barres anisotropes à axes spécifiques de rigidité, agissement sur du module d’Young ou utilisation des matériaux à fort amortissement, utilisation d’amortisseurs dynamiques mais passifs de vibrations et utilisation des moyens de contrôle actif des vibrations. Cette dernière requiert des capteurs et des générateurs de vibrations en contre sens du bruit. Certains utilisent alors des matériaux piézoélectriques, magnétostrictifs ou des fluides rhéologiques. Ils ont fait leur preuve.
Un enthousiasme, mais plein d’obstacles
L’intérêt des matériaux intelligents est reconnu par tous. On passe progressivement des études de concept en laboratoires aux implémentations industrielles. L’on est enthousiaste mais confronté à certains obstacles ne facilitant pas l’utilisation de ces matériaux. En effet, les phénomènes complexes dont ces matériaux sont généralement le siège, font l’objet de plusieurs études ces trois dernières décennies. Cependant, l’état de l’art nous montre que le plus important effort est plutôt fourni dans la description minutieuse de ces phénomènes à l’échelle atomique ou nanométrique. La question de transfert des connaissances scientifiques pour des réalisations technologiques n’est pas suffisamment posée. Ce qui explique le fossé entre les spécialistes des matériaux et les ingénieurs utilisateurs de composants faits de ces matériaux (figure 1.4). Il est pourtant d’une grande importance que l’utilisateur dispose de moyens simples pour manipuler ces actionneurs et les intégrer dans des systèmes. Dans ce contexte la disposition de modèles peut constituer un véritable outil d’aide à la conception en permettant par exemple de simuler son fonctionnement en interaction avec les autres éléments du système, d’optimiser le système [23]. Mieux, ces modèles participent aussi à la capitalisation des connaissances. Mais faudra-t-il que ces modèles collent au contexte et sous les formes les plus accessibles à l’utilisateur.
Modélisation orienté utilisateur
Dans ce contexte, certains logiciels proposent des modèles d’actionneurs piézoélectriques. Parmi eux les logiciels d’Analyse par Eléments Finis. Même si ces outils sont très utiles dans le dimensionnement de système, ils interviennent plutôt à un niveau plus avancé de la conception. La Figure 1.5 illustre très bien nos propos. En plus ces outils ne peuvent pas être utilisés pour l’élaboration des boucles de contrôle ou de commande temps réel. Dans notre cas, nous nous situons sur la partie haute du cycle. Dans ce sens, d’autres éditeurs de logiciels de simulation tels que 20-Sim [6] et LabAmesim [5] par exemple intégrent des modules d’actionneurs piézoélectriques aux bibliothèques de modèles. Pour 20-Sim nous trouvons les composants CMABender et CMAStretcher répertoriés dans les dossiers Library/ Iconic Diagrams/ Electric/ Actuators, Library/ Iconic Diagrams/ Mechanical/ Translation/ Actuators. Dans le cas de LabAmesim nous trouvons des composants dans le module Mechatronic. Cependant ces modèles sont basiques et limités aux lois de comportements linéaires voire statiques (LabAmesim) admises par le standard IEEE sur la piézoélectricité [43]. Or, les matériaux électro-actifs sont le siège de phénomènes non-linéaires complexes.
Generalities on smart materials/devices and applications
Le qualificatif intelligent est couramment associé à tous matériaux ayant une capacité nonnégligeable à convertir de l’énergie d’une forme à une autre, sans pour autant se distinguer des matériaux traditionnels. Cependant les scientifiques s’accordent sur le fait qu’il n’existe pas de définition claire [45, 46]. Nous donnons dans cette section un aperçu d’une terminologie assez large. Pour Z.L. Wang and al [47], les matériaux qui physiquement ou chimiquement sont sensibles à la température, la pression, le champ électromagnétique, les ondes optiques, la valeur du pH de leur environnement, sont qualifiés de matériaux fonctionnels puis qu’ils peuvent être utilisés pour assurer des fonctions biologiques, chimiques ou mécaniques. Ils sont plus intéressants s’ils sont maîtrisables. Ailleurs, ces mêmes matériaux sont appelés matériaux actifs en raison de leur capacité à récupérer des informations de leur environnement et à y apporter des changements. Par antagonisme aux passifs, les matériaux actifs stockent, convertissent ou manipulent de l’énergie comme par exemple les matériaux piézoélectriques. On les qualifie d’adaptatifs du fait qu’ils activent leurs fonctions selon l’état de l’environnement. Lorsqu’ils peuvent être associés à la construction d’une structure on parle de matériaux structurels. La consolidation de ces capacités dans un même matériau fait de lui un matériau intelligent, parce que l’on y retrouve certaines caractéristiques de l’intelligence des systèmes naturels. Selon George Akhras [8] les matériaux intelligents ont des capacités intrinsèques et extrinsèques, à d’une part répondre aux stimuli et modifications de l’environnement et, d’autre part, à activer leurs fonctions conformément à ces changements. Dans Smart Materials Bulletin of September 2002 on rapporte que l’on peut subdiviser les matériaux intelligents en deux catégories. Le premier groupe concerne les matériaux qui, en réponse aux stimuli, changent de forme à une entrée, correspond une déformation. Ils sont utilisés dans la conception des structures complexes. La deuxième catégorie concerne les matériaux qui répondent en modifiant leurs propriétés telles que la conductivité, la viscosité etc. Parmi les matériaux intelligents, nous pouvons citer les matériaux piézoélectriques, les matériaux magnétostrictifs, les alliages à mémoire de forme, les fluides rhéologiques, les matériaux chromogéniques, les matériaux halo-chromiques, les polymères sensibles au pH . Les matériaux intelligents sont pour la plupart polyvalents. L’intégration de ces dispositifs dans les aéronefs permettrait l’autocontrôle de leurs performances et la réduction des maintenances préventives. Ce qui diminuerait alors le temps d’indisponibilité des appareils. Les matériaux intelligents sont aussi utilisés dans le suivi des infrastructures. Ils permettent d’augmenter la sécurité pendant leur durée de vie en fournissant des alertes concernant d’éventuels problèmes structurels. En outre, ils permettent de réduire les coefficients de sécurité généralement utilisés en conception, ce qui réduit le coût de vie de ces structures. Par ailleurs il existe d’autres matériaux utilisés dans l’industrie textile. Alors que les fonctions d’isolation thermique des vêtements peuvent être traditionnellement assurées par du textile épais à faible densité, ils affectent la liberté de mouvement et génèrent un inconfort physiologique. L’avènement des textiles capables de gérer intelligemment l’énergie thermique offre alors de nouvelles perspectives. Ils s’utilisent dans la fabrication des combinaisons spatiales, des gants, des gants de planche à neige, des sous-vêtements, pour divers sports améliorant ainsi le confort [9]. En qui concerne le processus d’usinage qui nous intéresse le plus, il est généralement l’objet de vibrations pouvant affecter la qualité requise du produit final. On peut alors utiliser des matériaux actifs pour amortir ces vibrations. Toutefois, plutôt que de chercher à amortir ces vibrations, on peut les mettre à profit si elles sont contrôlées. Elles peuvent intervenir positivement dans la formation et l’évacuation des copeaux [3]. L’utilisation des actionneurs intelligents offre alors des moyens flexibles de génération de vibrations, contrairement au système auto-entretenu en Figure 1.3. L’avènement des matériaux intelligents suscite donc un certain engouement dans les communautés scientifiques, industrielles et universitaires dont l’équipe INSM dans laquelle s’est déroulée la présente thèse. 2.1.1 Piézoélectricité La découverte de la piézoélectricité est généralement attribuée aux frères Curie même si on doit sa première observation à René Just Hauy. Ce phénomène se caractérise par le fait qu’un matériau initialement neutre, se polarise sous l’action d’une pression mécanique. Inversement, il se déforme sous l’action d’un champ électrique. Les premières études théoriques et expérimentales de l’effet direct sont cependant dues aux frères Curie en 1880. L’effet inverse quant-à-lui a été vérifié par Gabriel Lippmann en 1881. Certains matériaux piézoélectriques possèdent des propriétés pyroélectriques. Parmi ces derniers, il y en a qui sont ferroélectriques, selon leur classe cristallographique. La composition chimique ainsi que l’état thermique du matériau influencent aussi ces propriétés. La température au-delà de laquelle le matériau perd toute propriété piézoélectrique est appelée température de Curie. D’un point de vue macroscopique, la piézoélectricité est l’interaction entre des grandeurs électriques et mécaniques auxquelles on doit ajouter l’influence thermique. Dans le cas où cette dernière est négligée, on obtient la Figure 2.9. Les matériaux piézoélectriques sur le marché sont en général faits de céramiques. Mais les fabricants communiquent très peu à ce sujet. Toutefois, on sait que les céramiques les plus utilisées sont à base de zirconate et de titanate de plomb [12]. Les piézo-céramiques sont obtenues par cuisson (élaboration sous haute température) 15 suivie d’abrasion. Il en résulte des plaquettes (appelées stacks) de l’ordre de 100 à 300µm. Ensuite, on crée des électrodes en utilisant une mince couche d’argent. Un stack contient une multitude de dipôles électriques orientés aléatoirement. Un processus d’alignement sous fort champ électrique est alors nécessaire à température de Curie. Les stacks sont ensuite associés afin d’obtenir des dimensions importantes (figure 2.11).
2.1.2 Magnétostriction
Les matériaux magnétostrictifs sont sous influence d’un champ magnétique. Mais à l’inverse de la piézoélectricité inverse (déformation proportionnelle au champ électrique), dans le cas de la magnétostriction, la déformation est proportionnelle au carré du champ magnétique appliqué. La découverte de l’effet magnétostrictif est due à James Joules en 1842. L’effet inverse est appelé effet de Villary. Comme dans le cas des piézoélectriques, les matériaux magnétostrictifs nécessitent une phase d’homogénéisation de l’orientation des micro-domaines. Le plus commercialisé est TERFENOL-D.
Autres matériaux et phénomènes
Les alliages à mémoire de forme se déforment à faible température. Mais exposés à une température élevée, ils retrouvent leur forme initiale. On distingue deux types d’alliages à mémoire de forme. Ceux pouvant revenir à leur forme initiale uniquement par réchauffement (1 sens de mémoire) et ceux qui peuvent aussi se déformer par refroidissement (2 sens de mémoire). Quand aux substances chromogéniques, elles changement de couleur en réponse aux changements électriques, optiques ou thermiques de leur milieu. Elles sont utilisées dans l’automobile, l’architecture, les aéronefs, et les écrans d’affichage. Parmi les autres matériaux intelligents on peut citer les polymères sensibles au pH. On peut aussi citer les matériaux halochromiques qui changent de couleur selon le pH. Par ailleurs les fluides rhéologiques modifient leur viscosité lorsqu’on leur applique un champ électrique ou magnétique. De ce fait, ils pourraient être utiles dans la conception des systèmes d’amortissement.
Choix de matériaux
Plusieurs aspects doivent être pris en compte lors du choix du type de matériaux. La fonction à assurer (stocker ou convertir de l’énergie), le type d’énergie utilisé… Matériaux structurels ou pas. La contrôlabilité constitue aussi un critère de choix. Par rapport à ces critères, les matériaux piézoélectriques et magnétostrictifs apparaissent plus adéquats dans le cas de nos applications. Par ailleurs nous pouvons utiliser la notion d’énergie volumique comme critère complémentaire de choix. Par définition, il s’agit de l’énergie disponible dans les parties utiles du composants [48]. Elle est homogène à une pression. L’énergie volumique d’un actionneur électrostatique est d’environ Wes = 4.101J/m3 . Pour les actionneurs électromagnétiques, on peut atteindre Wem = 4.105J/m3 . Pour les actionneurs hydrauliques on atteint facilement Wh = 4.107J/m3 . Pour les actionneurs piézoélectriques, c’est de l’ordre de Wpi = 3, 8.107J/m3 . Pour les actionneurs magnétostrictifs, Wmg = 7.107J/m3 . Un autre critère, non négligeable, est la fréquence maximale f de déplacement. Ce critère combiné avec l’énergie volumique donne la densité de puissance P = W ∗ f. Par rapport à cette dernière, les actionneurs piézoélectriques et magnétostrictifs l’emportent sur les actionneurs électriques classiques. D’autres critères tels que la fiabilité, la durabilité, la fragilité devraient être par la suite intégrés
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