Complexes de cobalt(I)
Généralités
On nomme “nanoparticule” une particule dont la taille est comprise entre 1 et 100 nm. Les nanoparticules métalliques possèdent des propriétés physiques et chimiques différentes des matériaux massifs (e.g., point de fusion plus bas, surface spécifique plus grande, propriétés optiques et magnétiques spécifiques). Ces propriétés deviennent d’autant plus intéressantes lorsqu’il s’agit d’applications industrielles, que ce soit dans le domaine informatique, l’imagerie médicale ou encore la catalyse. C’est l’une des raisons qui explique le développement d’un large éventail de méthodes de fabrication de nanoparticules, dont les principales seront détaillées par la suite. Pour cela, et c’est le cadre de notre étude, il est nécessaire d’avoir un contrôle dans quatre domaines différents : la taille, la forme, la cristallinité et la composition atomique dans le cas d’alliages. L’utilisation des nanomatériaux n’est pas récente (elle remonte au début des temps civilisés), cependant, les nanomatériaux utilisés dans la métallurgie et la médecine de l’époque ont été synthétisés de manière inconsciente. En effet, pour une rationalisation il faudra attendre les travaux de Michael Faraday en 1857 qui a synthétisé des solutions colloïdales d’or par réduction d’une solution aqueuse d’acide chloraurique par du phosphore et a mis en évidence le changement des propriétés optiques de cet or colloïdal par rapport au matériau massif.1 Depuis ces travaux pionniers, des milliers d’articles scientifiques ont été publiés concernant les synthèses, les modifications, les propriétés et les assemblages de nanoparticules métalliques, en utilisant une grande variété de solvants et autres substrats. Durant les années 1λ60, Richard Feynman a montré qu’il est théoriquement possible de construire atome par atome, des structures avec des propriétés spécifiques.2 Ainsi, depuis les années 1980, les efforts portés au développement de nouvelles méthodes de fabrication des nanomatériaux s’intensifient. Il existe deux approches synthétiques différentes pour la fabrication de nanoparticules : la première consiste à faire s’agréger des atomes ou molécules donnant ainsi lieu à une particule nanométrique. Cette approche est appelée ascendante ou « bottom-up » dans laquelle on retrouve principalement les méthodes chimiques. En revanche, il est aussi possible de former des nanoparticules en façonnant un matériau massif jusqu’à atteindre une taille nanométrique. On parle d’approche descendante ou « top-down » et cette deuxième approche regroupe essentiellement les techniques physiques. La synthèse de nanoparticules suivant la méthode top-down consiste donc à diviser une substance solide en plusieurs éléments réduisant ainsi les dimensions du matériau à l’échelle du nanomètre. L’exemple d’application le plus connu de cette méthode est la nanolithographie, un procédé qui consiste à graver directement sur le matériau. En fonction du niveau de résolution souhaité, la gravure peut être réalisée chimiquement via l’utilisation d’acide ou par irradiation en utilisant les ultraviolets, les rayons X ou un faisceau d’électrons. C’est la méthode utilisée pour la fabrication de puces informatiques. La synthèse suivant la méthode « bottom-up » peut être comparée à un assemblage de briques élémentaires conduisant à la nanostructure désirée, où atomes et molécules jouent le rôle de briques. Cependant, le contrôle de la taille, de la forme et de la composition des nanoparticules reste un défi avec ce procédé. Cela demande l’ajustement d’un grand nombre de paramètres réactionnels, tels que la température, la concentration et la nature des réactifs et des agents stabilisants, ce qui est l’objet de cette étude. Cette approche, étant celle qui sera utilisée durant ces travaux, peut être détaillée en différents procédés présentant chacun leurs avantages et leurs inconvénients. Les méthodes chimiques sont toutes basées sur la réduction d’un ou de plusieurs précurseurs métalliques (la plupart du temps des sels métalliques) dont l’idée est de former des germes et de les faire croître. Pour les synthèses chimiques, il existe un modèle simple qui permet de comprendre comment les nanoparticules sont formées. Ce modèle a été développé par LaMer et décrit les différentes étapes qui se produisent lors de la nucléation et la croissance de nanoparticules lorsqu’il n’y a pas d’agrégation ou de coalescence. Figure I-1 : Diagramme de Lamer Trois étapes ont lieu durant la formation des nanoparticules. Il y a d’abord la prénucléation ou étape d’initiation qui est l’augmentation des entités (monomère de type M(0)) servant à former les germes. Cette augmentation, qui correspond à la réduction des ions métalliques ou à la libération du monomère, est telle qu’elle dépasse la limite de solubilité pour atteindre un seuil de saturation. Arrivée à ce seuil, la nucléation, correspondant à la formation des germes, débute. Mais la formation d’un germe thermodynamiquement stable n’est possible qu’au-delà d’une taille critique. En effet, l’énergie mise en jeu lors de la nucléation homogène résulte de deux processus compétitifs, la création de surface qui est défavorable et un terme favorable lié au volume des germes. L’enthalpie libre de nucléation est donc négative au-delà de ce rayon critique, ce qui correspond à la concentration de nucléation. Plus ce processus est rapide par rapport à la croissance, plus les germes seront homogènes en tailles et en formes. La concentration en monomères diminue alors jusqu’à revenir sous la concentration de nucléation. Lorsque les germes sont formés, les monomères qui restent sont alors utilisés pour l’étape de croissance par diffusion des monomères vers les nanoparticules. Cette croissance est thermodynamiquement favorable puisque le terme de volume l’emporte alors sur le terme de surface. Ce que le modèle de LaMer démontre c’est que la polydispersité en taille des nanoparticules formées dépend de l’homogénéité de l’étape de nucléation, la taille finale des nanoparticules dépendant de la nature du matériau et des agents passivants utilisés pour limiter la croissance. Afin d’avoir un contrôle sur la taille et surtout sur la dispersion en taille, il est donc nécessaire de séparer cinétiquement les étapes de nucléation et de croissance.
Synthèse en micelles inverses et transfert de phases liquide-liquide
Historiquement, la synthèse in situ en micelles inverses a été développée dans les années 1980 par Pileni et coll. 5,6 Les micelles inverses sont des nanogouttelettes d’eau qui se trouvent dans un solvant organique et qui sont stabilisées par un tensioactif, molécule possédant une tête hydrophile et une queue hydrophobe. Il existe deux possibilités pour effectuer la réduction. La première est d’ajouter une solution aqueuse contenant le réducteur. La seconde est d’ajouter une solution micellaire contenant le réducteur. Les différentes micelles vont agir comme des microréacteurs. Du fait du mouvement brownien, elles vont entrer en collision et échanger leurs cœurs aqueux (contenant agents réducteurs, sels,…)) (Figure I-2). La réduction à lieu à l’intérieur des micelles (intra-micellaire) et la croissance suppose la rencontre de deux micelles (inter-micellaire) contenant des germes et/ou monomères. Il y a donc une séparation partielle de la nucléation et de la croissance. Les nanoparticules peuvent être stabilisées par un agent stabilisant qui va s’adsorber sur la surface des nanoparticules et permettre de les extraire du milieu micellaire. Un lavage est effectué pour retirer les différents produits secondaires. Selon les proportions eau/tensioactif, c’est-à-dire selon la taille de la micelle, il est possible de contrôler la taille des nanoparticules formées Figure I-2 : Mécanisme de formation de nanoparticules par la méthode des micelles inverses. Il est à noter que la première synthèse de nanoparticules de cobalt a été réalisée par Petit et coll. au laboratoire MONARIS via la méthode de micelles inverses, permettant d’obtenir des nanoparticules monodisperses avec une taille allant de 4 nm à 10 nm.8 Cette méthode a aussi été utilisée pour la synthèse de nanoparticules avec d’autres métaux tels que l’argent,9,10 l’or et également des synthèses bimétalliques avec un alliage CoPt.12 Dans les années λ0, d’autres méthodes sont apparues notamment la méthode biphasique par transfert de phase liquide-liquide qui consiste à transférer un sel précurseur solubilisé dans une phase aqueuse vers une phase organique à l’aide d’un agent de transfert. Cette méthode a été utilisée pour la première fois par Brust pour synthétiser des nanoparticules d’or. 3 Par la suite, cette méthode a été développée afin d’être adaptée à différents métaux, tels que l’argent,, le cuivre et le platine.
Synthèse par réduction de sels métalliques en phase homogène
Si les synthèses par micelles inverses et par transfert de phase liquide-liquide ont lieu dans des milieux polyphasiques, afin de séparer physiquement les étapes de nucléation et de croissance, la synthèse par réduction de complexes organométalliques est effectuée dans une seule phase. Les travaux de Turkevitch sur la formation de nanoparticules d’or à partir du sel métallique HAuCl4 servent de référence pour cette méthode de synthèse. Expérimentalement, la synthèse peut être résumée à une réduction à haute température de précurseurs organométalliques en présence d’un surfactant venant stabiliser les particules formées, l’ensemble se trouvant dans une même phase. Dans ce cas-là, la phase de prénucléation est souvent très rapide, car la montée en température est faite rapidement, permettant alors de former des germes homogènes en taille et en forme. Cela permet également d’avoir une très faible polydispersité (< 10 %) car la vitesse de nucléation est très grande devant la vitesse de croissance, et c’est pourquoi le contrôle de cette étape est primordial. Le fait de pouvoir avoir une nucléation instantanée est donc essentiel et caractéristique des méthodes organométalliques. Mais il faut pour cela travailler dans des conditions spécifiques de température et de pression, surtout dans le cas des nanoalliages où les deux précurseurs peuvent avoir des propriétés physico-chimiques différentes et donc des modes de croissance différents. Néanmoins de nouvelles synthèses ont émergées permettant d’éviter l’utilisation d’un agent réducteur additionnel. En effet, la synthèse polyol utilise les diols comme réducteurs et comme solvants, et la synthèse par décomposition organométallique fait intervenir soit une décomposition thermique de complexes métalliques ou bien utilise un gaz réducteur tel que le dihydrogène. Ces deux méthodes seront développées plus loin dans ce chapitre dans le cas de synthèses de nanoparticules de cobalt qui sont le cadre de notre étude. b) Contrôle de la forme et de la taille des nanoparticules La taille des nanoparticules formées va avoir un impact direct sur leurs propriétés, principalement lié à l’augmentation du rapport surface/volume. C’est ce qui explique, par exemple, pourquoi il y a un fort engouement pour les nanomatériaux utilisables en catalyse. À 18 Turkevich, J.; Stevenson, P. C.; Hillier, J. Discuss. Faraday Soc. 1951, 11, 55-75. 18 cette échelle, les nanomatériaux cristallins possèdent des arêtes et sommets qui sont de bons sites catalytiques. Les facettes disponibles d’un nanocristal étant directement liées à sa structure cristalline et à sa forme, leur choix implique le contrôle de la morphologie et de la cristallinité des nanocristaux, ce qui est encore un défi majeur en nanochimie. Il en est de même pour les nanocristaux magnétiques où l’aimantation résulte entre autres de la valeur de l’anisotropie magnétique effective. Du fait de l’augmentation du rapport surface sur volume, en ayant des nanocristaux, on contrôle l’anisotropie magnétique et donc l’aimantation globale du nanomatériau. En effet, en ayant des nano-objets sphériques magnétiques de l’ordre de quelques nanomètres, l’aimantation (le moment magnétique par unité de volume) est plus importante qu’à l’état massif. 20 Ces deux exemples illustrent bien la nécessité de savoir synthétiser de façon contrôlée de tels objets. De nombreux paramètres expérimentaux peuvent être modifiés afin de contrôler la forme et/ou la taille des nanoparticules en solution. De cette manière, de nombreuses formes peuvent être obtenues (sphères, bâtons, cubes, octaèdres…). En 1λλ6, le groupe de El-Sayed a montré pour la première fois une synthèse de nanoparticules de platine où la forme a pu être contrôlée en fonction du rapport des concentrations surfactant/platine en solution. Par la suite d’autres groupes ont rapportés des synthèses contrôlées de différents métaux,22,23 alliages24 et également avec des nanoparticules de type cœur/coquille.25C’est en faisant varier les paramètres thermodynamiques et cinétiques des réactions que ces différentes formes peuvent être obtenues.
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