Elaboration de catalyseurs hétérogènes en milieu liquide ionique
Les liquides ioniques
Généralités
Les liquides ioniques (LIs) sont une classe de solvants aux propriétés uniques et modulables. Ils se caractérisent notamment par une pression de vapeur saturante négligeable,1- 4 une très grande stabilité chimique et thermique et une capacité à dissoudre une grande variété de composés organiques et inorganiques.Ces propriétés font d’eux une alternative intéressante aux solvants organiques volatils dans des domaines tels que la catalyse ou dans des réactions organiques et électrochimiques Les LIs sont des sels de faible point de fusion (inférieur à 100°C) donc souvent liquides à température ambiante. Ils sont constitués d’un réseau étendu de cations organiques (du type imidazolium, ammonium, pyridinium ou phosphonium) et d’anions généralement inorganiques (du type tétrafluoroborate, hexafluorophosphate ou halogénure)2, 8 reliés entre eux par des liaisons hydrogènes. Le nombre de combinaisons entre anions et cations susceptibles de donner lieu à des LIs est très grand (supérieur à [1014]).2 De ce fait, les LIs sont parfois décrits comme des solvants largement adaptables (« Task-specific » ou « designer solvents »).2 Dans la suite du travail, nous utiliserons plusieurs nomenclatures pour représenter les LIs à base d’imidazolium qui sont expliquées avec le Schéma 1. NN + [C4mim] C4 (butyl) m (méthyl) im (imidazolium) NN + C4 (butyl) C1 (méthyl) im (imidazolium) [C4C1 im] NN + B (butyl) M (méthyl) IM (imidazolium) [BMIM] Schéma 1. Trois nomenclatures différentes pour le même LI (1-butyl-3- méthylimidazolium). Les LIs se caractérisent par une ségrégation de domaines polaires et non-polaires, illustrés sur la Figure 1.Les domaines polaires se présentent sous la forme d’un réseau tridimensionnel de canaux ioniques alors que les domaines non-polaires sont constitués d’une microphase dispersée (pour les chaines alkyles courtes du type éthyl) ou continue (pour les chaines alkyles plus longues : hexyl, octyl, dodécyl). 9 Figure 1. Représentation des domaines polaires (rouges) et non-polaires du LI [Cnmim][PF6] en fonction de la longueur de la chaine alkyle n avec a) [C2mim][PF6], b) [C4mim][PF6], c) [C6mim][PF6], d) [C8mim][PF6], e)[C12mim][PF6].9 Cette ségrégation en domaines polaires et non-polaires a une grande influence sur leurs propriétés de solvatation et sur leur capacité à interagir avec différentes espèces. Les espèces polaires sont préférentiellement dissoutes dans les domaines polaires et les espèces non-polaires dans les domaines non-polaires.11-16 Les LIs à base d’imidazolium ont été très étudiés dans la littérature mais présentent quelques inconvénients tels qu’une toxicité potentielle17, 18 une faible biodégradabilité et un coût élevé. De ce fait, une nouvelle classe de solvants aux propriétés similaires a émergé avec l’introduction des Deep Eutectic Solents (DES).19 Les deux types de solvant seront étudiés au cours de ce travail. Il est intéressant de présenter dans la suite de ce chapitre les grandes méthodes de préparation des LIs ainsi que les propriétés physicochimiques qui font d’eux des solvants attractifs. Chapitre 1 : Etude bibliographique 14 II. Les sels d’imidazolium Afin de faciliter le choix du LI suivant le type d’application, il est nécessaire de connaître les propriétés physico-chimiques des LIs existants dans la littérature. Nous présenterons essentiellement des résultats tirés de la littérature pour les sels d’imidazolium. 1) Synthèse Il existe deux grandes méthodes de préparation des LIs schématisées ci-dessous (Schéma 2).20 Schéma 2. Préparation générale des LIs à base d’imidazolium.20 [Cnmim] = 1-alkyl-3-méthylimidazolium (Cn = alkyl), [BF4] = tétrafluoroborate, [OTf] = trifluorométhanesulfonate, [NTf2] = bis(trifluorométhanesulfonyl)imide et [PF6] = hexafluorophosphate. Dans les deux cas, la première étape consiste en la formation d’un sel halogéné par alkylation à partir d’un halogénure et d’un alkyle. Ensuite, l’une des voies implique la métathèse du sel halogéné avec des sels d’argent ou un sel métallique alcalin comme NaBF4. On obtient alors des sels variés tels que les tétrafluoroborates d’imidazolium. La deuxième voie consiste en des réactions d’échange anionique par ajout de solutions acides (ex : acide trifluorométhanesulfonique), permettant par exemple de former des triflates d’imidazolium. Malgré des tentatives d’extraction dans l’eau, les halogénures sont très difficiles à éliminer complètement. La synthèse peut aussi se faire par alkylation d’un azole (Schéma 3) avec par exemple des sulfates de dialkyles ou des triflates d’alkyle pour donner lieu à des LIs à base de triflate ou de sulfate d’alkyle.21 Cette méthode rapide et peu couteuse ne permet cependant pas de préparer une grande variété de LIs. Schéma 3. Préparation des LIs à base d’imidazolium non halogénés.
Propriétés
Point de fusion
Le point de fusion des LIs (généralement déterminé par calorimétrie différentielle à balayage) et leur stabilité thermique sont des données importantes qui permettent de définir l’intervalle de température dans lequel il est possible d’utiliser un LI comme solvant. En règle générale, l’augmentation de la chaine alkyle conduit à une diminution du point de fusion (Tableau 1, comme lorsque l’on passe de 4 à 5 ou de 16 à 18). Il n’y a en revanche pas de corrélation claire pour les anions entre la capacité à former des liaisons hydrogènes et le point de fusion. [C4mim][PF6] (ou BMIMPF6) et [C4mim][OTf] (ou BMIMOTf) sont les deux sels d’imidazolium utilisés pour la préparation des matériaux dans le cadre de ce travail. Leurs points de fusion respectifs sont de 11°C et de 16°C. b) Stabilité thermique La décomposition thermique des LIs dépend fortement de leur structure. Des analyses thermogravimétriques (ATG) suggèrent que la plupart des LIs présentent une grande stabilité thermique et commencent généralement à se dégrader autour de 400°C avec une très faible pression de vapeur en dessous de leur température de décomposition. Cette décomposition thermique est endothermique en présence d’anions inorganiques et exothermique en présence d’anions organiques. Meine et al.23 ont étudié la stabilité à long terme de quelques LIs à base d’imidazolium ([C4mim]Cl, [C2mim]Cl, [C4mim][CH3SO3] et [C4mim][Tf2N]). Les analyses de spectrométrie de masse avec ionisation par électrospray ont montré que les alkylimidazoles sont les produits de décomposition les plus importants. Les auteurs ont donc comparé les températures de décomposition obtenues par analyses thermo-gravimétriques (ATG) à la quantité d’imidazoles formés à différentes températures pendant 24h par titrages acide-base potentiométriques. Cette méthode consiste à titrer le LI par une solution de NaOH puis à titrer la quantité d’imidazoles produits par une solution d’HCl. Ils ont montré que la dégradation en imidazoles commence bien avant la température de décomposition donnée par ATG. En effet, alors que l’ATG donne des températures de dégradation de 278 et 291°C respectivement pour [C2mim][Cl] et [C4mim]Cl, les résultats des titrages potentiométriques montrent que ces LIs commencent à se décomposer dès 140°C.
Les Deep Eutectic Solvents
Les Deep Eutectic Solvents (DES) ou solvants eutectiques profonds se caractérisent par des propriétés similaires aux LIs présentés précédemment. Ils sont néanmoins plus respectueux de l’environnement (non toxiques, non inflammables, biodégradables …). L’autoassemblage de deux composants purs et bon marché via la formation de liaisons hydrogènes donne lieu à des mélanges eutectiques liquides à des températures inférieures à 150°C.19 Les DES sont généralement constitués de sels d’ammonium quaternaire (ex : le chlorure de choline) et d’un donneur de liaison hydrogène (ex : l’urée). Les DES ne peuvent être considérés comme des LIs stricto sensu puisque les deux composants qui les constituent ne sont pas des ions. Ils seront tout de même désignés par le terme général LI dans la suite de ce travail, du fait de leurs propriétés similaires. Les mélanges eutectiques se caractérisent par des points de fusion inférieurs à ceux des sels purs qui les constituent comme le montre la Figure 4. Le point de fusion dépend bien évidemment de la composition molaire du mélange. Pour un mélange à base de chlorure de choline et d’urée, le point de fusion le plus bas (12°C) a été obtenu pour un rapport molaire urée sur chlorure de choline de 2. 27 Cette diminution du point de fusion est expliquée par la formation de liaisons hydrogènes entre les anions halogénés et le donneur de liaisons hydrogènes (ici, l’urée).
CHAPITRE 1 |