De l’exosphère à la magnétosphère des objets planétaires faiblement magnétisés
L’environnement de Ganymède
Le but de ce travail de thèse est de décrire, à l’aide de différents modèles, l’environnement global externe de Ganymède : à la fois son atmosphère neutre qui s’apparente plutôt à une exosphère, et son environnement ionisé comprenant son ionosphère et sa magnétosphère. La surface de Ganymède est principalement composée d’eau glacée, qui est sublimée dans la région subsolaire, là où la température de surface est la plus élevée (en vert sur la figure 1.1). Les lignes du champ magnétique de Ganymède, représentées en bleu ciel sur la figure 1.1, sont ouvertes aux pôles et fermées au niveau de l’équateur. Par conséquent, des particules très énergétiques, ions et électrons, de la magnétosphère jovienne bombardent la surface glacée de Ganymède dans les régions polaires (en rouge sur la figure 1.1). Ces processus de sublimation et de criblage de la surface mènent à l’éjection de matière, générant ainsi une atmosphère ténue. Les particules atmosphériques de Ganymède subissent peu ou pas de collisions. Ainsi, l’atmopshère de Ganymède peut quasiment être qualifiée d’exosphère. Les particules exosphériques peuvent être ionisées, soit en réagissant avec des photons, soit par impact électronique, créant ainsi une ionosphère autour de Ganymède. Ces ions, dont la trajectoire est gouvernée par les lignes du champ magnétique ainsi que par le champ électrostatique induit par leur mouvement et celui des ions du plasma jovien, peuplent alors la magnétosphère de Ganymède. Ce lien entre les environnements neutre et ionisé du satellite sont schématisés et résumés par la figure 1.1. Afin de décrire au mieux la dynamique de cet environnement complexe, il est nécessaire de contraindre les modèles selon les observations et mesures effectuées lors des nombreuses missions spatiales qui ont étudié le système jovien au cours des dernières décennies. Ce chapitre a pour but de détailler notre compréhension actuelle des différents éléments composant cet environnement. En premier lieu, je présente l’environnement dans lequel évolue la lune galiléenne, à savoir la magnétosphère de Jupiter : son origine, sa dynamique, sa structure et sa composition, en particulier au voisinage de l’orbite de Ganymède. Cette magnétosphère a été largement étudiée puisque huit missions spatiales l’ont parcourue, soit lors de survols, soit lors de la mise en orbite de sondes autour de Jupiter, la dernière en date étant la sonde New Horizons qui a survolé Jupiter en 2007. Dans ce chapitre, je détaille également notre compréhension de l’atmosphère, l’ionosphère et la magnétosphère de Ganymède, en particulier grâce aux mesures in situ effectuées par la sonde Galileo (Kivelson et al., 2002; Barth et al., 1997) ou depuis la Terre par le téléscope Hubble HST (Hall et al., 1998).
La magnétosphère de Jupiter
Parmi tous les objets orbitant autour de notre Soleil, Jupiter est de loin l’objet le plus grand et le plus massif. Avec ses ∼ 71000 km de rayon, à elle seule, la masse de cette géante gazeuse est plus importante que celle de tous les objets du système solaire réunis (soleil exclu). Elle a une composition semblable à celle du Soleil puisqu’elle est formée à plus de 87% d’hélium et d’hydrogène. Cependant, alors que le Soleil est composé de ∼ 2% d’éléments lourds tels que l’oxygène, l’intérieur de Jupiter en est constitué à ∼ 3 − 13% (Guillot et al., 2004). Les très fortes températures régnant au coeur de Jupiter (∼ 20000 K) maintiennent certaines couches à l’état de fluide. Ces enveloppes profondes et électriquement conductrices sont convectées, produisant ainsi un effet dynamo qui génère un champ magnétique très intense. Ce champ magnétique est sans équivalent dans notre système solaire de par sa puissance et sa taille gigantesques. En effet, la mission Voyager 2 a même observé que la queue de la magnétosphère de Jupiter pouvait parfois s’étendre jusqu’à ∼ 7000 RJ, au voisinage de sa voisine Saturne, qui orbite à 9.5 U.A. du Soleil (Scarf et al., 1981; Kurth et al., 1982). La région d’influence du champ magnétique planétaire, c’est-à-dire la zone où les forces associées au champ magnétique planétaire dominent le champ interplanétaire est appelée magnétosphère. La figure 1.2 présente la structure type d’une magnétosphère telle que l’on en trouve dans le système solaire ainsi qu’une comparaison de celles de Mercure, la Terre, Saturne et Jupiter. Typiquement, la magnétosphère des objets possédant leur propre champ magnétique qui interagit avec le vent solaire est divisée en plusieurs régions distinctes. Autour de la planète, on trouve la magnétosphère propre à cette planète. Sa frontière, appelée magnétopause, est la surface où la pression du vent solaire et la pression magnétique due au champ planétaire s’équilibrent. On y observe généralement d’importants courants. Le vent solaire faiblement magnétisé qui s’écoule à une vitesse typique de ∼ 300 km/s au voisinage de Jupiter compresse le champ magnétique planétaire qui s’oppose à sa progression, donnant ainsi une forme allongée à la magnétosphère. Leur rencontre mène à la création d’une onde de choc en amont de l’obstacle, comme c’est le cas pour toutes les autres planètes du système solaire. La génération de cette onde de choc est due à la vitesse de propagation du vent solaire qui est supérieure aux vitesses caractéristiques du milieu. De manière générale, en amont du choc, l’amplitude du champ magnétique, la densité et la température sont significativement plus faibles qu’en aval du choc. Le choc a tendance à ralentir le plasma qui atteint des vitesses subsoniques dans la magnétogaine, qui se situe entre l’onde de choc et la magnétopause.
Découverte et exploration
On doit les premiers indices de l’existence du champ magnétique jovien à la détection d’ondes radios décamétriques associées à Jupiter grâce à l’antenne “Milles Cross” (Burke and Franklin, 1955; Franklin and Burke, 1958). Ensuite, Mayer et al. (1958) ont mesuré des émissions radio décimétriques jusqu’à une distance de 3 rayons joviens. Ces quelques années de détection d’ondes radio dans le voisinage proche Jupiter ont amené la communauté scientifique à supposer qu’elle possédait un champ magnétique intrinsèque incliné d’environ ∼ 9 ◦ par rapport à l’axe de rotation de la planète, et que les satellites galiléens interagissaient avec la magnétosphère jovienne. Ces mesures ne donnaient cependant pas d’informations concernant la taille de la magnétosphère ou son interaction avec le vent solaire. En 1973, la sonde Pioneer 10 a permis de répondre à ces questions en quantifiant pour la première fois le champ magnétique jovien (Smith et al., 1974b) et en caractérisant l’interaction du vent solaire avec la magnétosphère de Jupiter (Smith et al., 1974a). Selon les mesures effectuées, le moment magnétique dipolaire est estimé à 4 G.R3 J , où RJ désigne le rayon de Jupiter, et le dipôle est incliné de 11◦ par rapport à l’axe de rotation. Les résultats montrent de plus que la taille de la magnétosphère est extrêmement variable et peut s’étendre jusqu’à 100 RJ. Quelques années plus tard, les sondes Voyager 1 et 2 ont “frôlé” Jupiter en Mars et Juillet 1979 respectivement (à ∼ 4 RJ et ∼ 9 RJ d’altitude), Pioneer 11 conservant tout de même l’approche record de l’époque, effectuée à une distance de ∼ 0.6 RJ en décembre 1974. Les données collectées par Voyager 1 et 2 ont permis de confirmer et de préciser les mesures de ses prédécesseures Pioneer 10 et 11. Un tore très dense de plasma composé d’électrons ainsi que d’ions hydrogène, sulfure et oxygène a été identifié au niveau de l’orbite de Io par les missions Voyager, résultant vraisemblablement de l’ionisation de l’atmosphère d’Io (Broadfoot et al., 1979). La mission Ulysses, préparée par la NASA et l’ESA qui avait pour vocation d’étudier la structure et la dynamique de l’héliosphère, en dehors du plan de l’écliptique, survola Jupiter en 1992, fournissant de nouvelles connaissances précieuses du champ jovien (Bame et al., 1992). C’est notamment cette mission qui a permis la première étude de corrélation entre les données in situ d’Ulysses et les observations d’aurores par le téléscope Hubble (Elsner et al., 2005). La mission qui a étudié avec le plus de précision l’environnement magnétique de Jupiter est Galileo, qui était principalement dédiée à l’étude de la géante gazeuse et des satellites galiléens. Cette ambitieuse mission, en plus d’étudier intensivement le système de Jupiter, a survolé Vénus et a été le premier engin humain à approcher un astéroïde, Gaspra, et ce, à une distance de 1600 km. Cette performance a par ailleurs été largement dépassée par l’exploit récent de l’atterrissage de Philae sur la comète Churyumov-Gerasimenko. De plus, Galileo a eu l’incroyable opportunité de photographier l’impact de la comète Shoemaker-Levy 9 dans l’atmosphère jovienne (Carlson et al., 1995). L’une des grandes prouesses technologiques de Galileo a été sa mise en orbite autour de Jupiter, une première dans l’histoire de l’exploration du système solaire. En effet, c’est la première fois qu’une sonde a séjourné autant de temps dans une magnétosphère géante afin d’en identifier la structure globale et la dynamique, record maintenant détenu par la sonde Cassini dans l’environnement de Saturne. Simultanément, la sonde Cassini à destination de Saturne, a survolé Jupiter, permettant d’étudier directement la réponse de sa magnétosphère aux variations du vent solaire (Kurth et al., 2002). La figure 1.3 résume tous les survols et orbites de Jupiter réalisés jusque la mission Galileo. L’ensemble de ces sondes a permis d’explorer diverses régions de la magnétosphère ainsi que la magnétopause qui a été traversée à de multiples reprises permettant d’en acquérir une compréhension assez complète et globale.
Structure, sources et dynamique interne
L’ensemble des données collectées lors des différentes missions qui ont investigué l’environnement jovien suggèrent que son champ magnétique est en première approximation un dipôle incliné d’environ 11◦ par rapport à l’axe de rotation, avec un moment dipolaire de 1.37×1015G.km3 à l’équateur correspondant à une magnitude magnétique de 4 G. En comparaison, le moment magnétique dipolaire de la Terre est environ 18000 fois plus petit. La magnétosphère terrestre est donc considérablement moins étendue que celle de Jupiter : le nez de la magnétosphère de Jupiter, c’est-à-dire la magnétopause au point subsolaire, peut se situer à une distance de 45 − 100 RJ de la planète, tandis que pour la Terre, cette limite se situe à environ 10 rayons terrestres. De plus, Jupiter effectue une rotation extrêmement rapide en à peine 10 h, la plus rapide du système solaire, ce qui conduit à une dynamique interne très différente de celle de la magnétosphère terrestre. En effet, tandis que la dynamique de la magnétosphère terrestre est gouvernée par l’écoulement supersonique du vent solaire, celle de Jupiter est régie par sa rotation. La magnétosphère terrestre est peuplée d’ions s’échappant des régions polaires mais elle est princpalement constituée de plasma provenant du vent solaire. En d’autres termes, les sources du plasma magnétosphérique terrestre sont majoritairement externes. Au contraire, le plasma magnétosphérique jovien est principalement d’origine interne, la première source de plasma étant l’atmosphère de Io qui est ionisée par les photons solaires.
Introduction |