Transport optimal pour quantifier l’évolution d’un attracteur climatique et corriger ses biais

Transport optimal pour quantifier l’évolution d’un
attracteur climatique et corriger ses biais

Description du climat comme un système dynamique

 Le but de ce chapitre est d’introduire les notions sur lesquelles je me suis appuyé tout au long de cette thèse, et qui m’ont permis d’envisager le climat en termes statistiques. La section 1.1 présentera le système de Lorenz (1963), qui est un modèle jouet du climat donnant une première intuition des notions guidant ma pensée : chaos, système dynamique, attracteur étrange et mesure SRB. La mesure SRB est l’outil central modélisant le climat. La section 1.2 formalisera ces concepts, pour l’instant abscons. Je discuterai ensuite dans la section 1.3 de l’existence d’un attracteur climatique, et des forçages qui affectent le système climatique, comme le forçage anthropogénique. Je présenterai finalement dans la section 1.4 les systèmes dynamiques dit non-autonomes, au travers du modèle de Lorenz (1984). Ces systèmes tiennent justement compte des forçages. Je présenterai la distribution de probabilité appropriée qu’il faut considérer dans ce cas. 

L’attracteur de Lorenz 

Le chaos va être expliqué dans cette section à l’aide du système de Lorenz (1963), qui est un exemple de système dynamique. Un système est chaotique si deux états initiaux aussi proches que nous le voulons se comportent différemment après un laps de temps court, mais restent confinés dans un intervalle fixe de valeurs. Ce faisant, les trajectoires d’un tel système dessinent un objet dans cet intervalle de valeurs nommé un attracteur étrange. Un excellent résumé de l’état de l’art sur le système de Lorenz (1963) a été écrit par Viana (2000). 

Histoire et définition 

Bien que le chaos ait été entrevu par Poincaré (1892), il est tombé dans l’oubli pendant un demi-siècle. Le météorologue E. N. Lorenz a refait sa découverte lors de l’étude de la convection. Il cherchait un modèle simplifié qui décrit l’échauffement d’un liquide par le bas. Le liquide chauffé monte, se refroidit, et replonge. Partant des équations de Saltzman (1962), il en a dérivé un système tri dimensionnel simplifié, aujourd’hui appelé système de Lorenz (1963). Les équations simplifiées de Lorenz se présentent comme une équation différentielle à trois inconnues, avec des relations non linéaires quadratiques. dx dt = vl63(x) ∶= ⎛ ⎜ ⎜ ⎜ ⎝ σ(y − x) −xz + rx − y xy − bz ⎞ ⎟ ⎟ ⎟ ⎠ , x = (x, y, z). (1.1) Les variables x, y et z sont respectivement proportionnelles à l’intensité du mouvement convectif, la variation de température horizontale et la variation de température verticale. De plus, trois paramètres peuvent être modifiés, σ, r et b. Le nombre σ est le nombre de Prandtl, r est une normalisation du nombre de Rayleigh (1916) par une valeur critique. Ce système ayant trois variables, ses solutions vivent dans R3 , nommé l’espace des phases. Une solution de ce système est représentée sur la Figure 1.1. Nous pouvons voir que cette solution s’enroule sur un objet en forme de Papillon. En fait, toutes les solutions, après un laps de temps très court, viennent s’enrouler sur cet objet et sont « piégées » dedans. C’est cet objet qui est appelé un attracteur. Figure 1.1 – Exemple d’une solution du système de Lorenz (1963). 14 Lorenz a calculé une solution de ce système pour les paramètres σ = 10, r = 28 et b = 8/3. Ce sont les paramètres couramment utilisés dans la littérature (et que j’ai utilisé tout au long de cette thèse). Lors du calcul d’une trajectoire, i.e. pour une condition initiale (x0, y0, z0), le calcul d’une approximation de la solution x(t), le calculateur s’est interrompu. En effet, à l’époque la sortie avait lieu sur un rouleau de papier, qu’il fallait changer. Repartant d’une des dernières solutions calculées, il a continué l’intégration. À sa surprise, les nouvelles valeurs étaient différentes des anciennes valeurs ! Il a constaté que les valeurs imprimées (qu’il avait utilisé pour continuer l’intégration) étaient des valeurs tronquées de celles utilisées par le calculateur. Autrement dit, il a redémarré l’intégration non pas à la valeur calculée par la machine, mais à une valeur très voisine. Ce faisant, il a mis en évidence l’une des propriétés élémentaires du chaos : deux trajectoires ayant des conditions initiales très proches divergent exponentiellement vite. Ce phénomène est illustré sur la Figure 1.2. Les deux courbes bleu et rouge sont deux trajectoires partant de deux points proches : (5.16,−0.87, 30.64) et (4.99,−0.53, 30.02). Nous pouvons voir que ces trajectoires se séparent après un temps court, rendant impossible toute prédiction à moyen terme. En effet, les conditions initiales d’un modèle ne pouvant être connues qu’avec une précision finie, elles sont différentes des conditions initiales de la réalité. Si le système est chaotique, alors la simulation s’écartera rapidement de la réalité. Ce phénomène avait déjà été compris par Poincaré (1892), qui l’avait formulé ainsi Si nous connaissions exactement les lois de la nature et la situation de l’univers à l’instant initial, nous pourrions prédire la situation de ce même univers à un instant ultérieur. Mais, lors même que les lois naturelles n’auraient plus de secret pour nous, nous ne pourrons connaître la situation initiale qu’approximativement (…). Il peut arriver que des petites différences dans les conditions initiales en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux ; une petite erreur sur les premières produirait une erreur énorme sur les derniers. La prédiction devient impossible et nous avons le phénomène fortuit Poincaré (1892) Cependant, jusqu’aux travaux de Lorenz, ce phénomène n’était considéré possible que pour des systèmes hautement complexes, ayant un nombre important de degrés de liberté, tel que le problème à N corps. L’attracteur de Lorenz est le premier système simple (la non linéarité est uniquement quadratique) exhibant du chaos. Je propose de décrire d’où vient cette sensibilité aux conditions initiales. 15 Figure 1.2 – Deux trajectoires de l’attracteur de Lorenz (1963) prises aux conditions initiales suivantes : (5.16,−0.87, 30.64) (courbe rouge) et (4.99,−0.53, 30.02) (courbe bleue), et intégrées pendant 0.6 unité de temps. Les trajectoires ont été projetées dans le plan (y, z). 

Sensibilité aux conditions initiales : la source du chaos 

Commençons par considérer les points fixes du système. Rappelons qu’un point fixe est une solution constante au cours du temps, i.e. x0 est un point fixe si x(t) ≡ x0 pour tout temps t. Les points fixes peuvent être calculés en résolvant le système vl63(x) = 0. Dans le cas de l’attracteur de Lorenz (1963), nous trouvons trois points fixes, l’origine, et deux points symétriques situés au centre des ailes (± √ b(r − 1),± √ b(r − 1), r − 1) . Le comportement de vl63 au voisinage de l’origine est donné par sa différentielle : dv = ⎛ ⎜ ⎜ ⎜ ⎝ −σ σ 0 −z + r −1 −x y x −b ⎞ ⎟ ⎟ ⎟ ⎠ . En prenant (x, y, z) = (0, 0, 0), les trois valeurs propres de la différentielle à l’origine sont κ1 = −22.8, κ2 = 11.8 et κ3 = −2.66. En linéarisant vl63 dans les directions propres de chaque valeur propre, nous trouvons comme estimation que x(t) ≃ exp(κit). Pour κi < 0, x(t) converge exponentiellement vite vers l’origine. Cette direction est dite stable. Pour κi > 0, x(t) s’éloigne exponentiellement vite de l’origine. Cette direction est dite instable. 16 Donc l’origine peut se décomposer en un plan stable qui attire x(t), et une droite instable qui repousse x(t). Ces notions de directions stables et instables sont la source du chaos. Pour se représenter le phénomène, examinons la Figure 1.3. Figure 1.3 – Représentation d’un point fixe (en noir) d’un système dynamique. La courbe bleue représente sa direction stable, qui attire toutes les trajectoires. La courbe rouge représente sa direction instable, qui repousse toutes les trajectoires. Les courbes vertes sont les trajectoires des points x0 et x1. La courbe rouge représente une direction instable, la bleue une direction stable. Le point d’intersection noir est un point fixe. Imaginons deux points x0 et x1 de part et d’autre de la direction stable (i.e. de la courbe rouge). Dans un premier temps, ils restent proches en suivant la direction stable. Mais arrivés à proximité du point fixe, la direction instable les repousse exponentiellement vite dans des directions opposées. C’est le phénomène de sensibilité aux conditions initiales. Les notions de directions stables et instables se généralisent aux points périodiques (i.e. x(t + τ ) = x(t) pour tout temps t), voire n’importe quel point (Hirsch et al., 2006 ; Robinson, 1999). Maintenant dans le cas du chaos, et en particulier du modèle de Lorenz, les points périodiques sont en infinité et forment un sous ensemble dense (Arroyo et Pujals, 2007). Leurs variétés stables et instables se recoupent. Cette « zone » de chaos est dans une boite, située au centre du papillon. Ce résultat a d’abord été démontré dans un cas simplifié par Williams (1979), et étendu à l’attracteur de Lorenz (1963) par Tucker 17 (1999). 

Caractérisation du chaos par la dimension de l’attracteur 

Pour étudier la dimension de l’attracteur, je propose d’examiner comment le volume d’un cube se comporte sous l’action de la dynamique du système de Lorenz (1963). Notons V0 le volume d’un cube contenant tout l’attracteur, et V (t) ce volume au temps t sous l’action du système de Lorenz (1963). Nous avons alors l’estimation suivante V (t) ≈ V0e div(vl63)t . La divergence se calcule avec la différentielle obtenue précédemment : div(vl63) = ∂vl63 ∂x + ∂vl63 ∂y + ∂vl63 ∂z = −(σ + b + 1) ≈ −13.66. Nous obtenons alors l’estimation suivante : V (t) ≈ e −13.66t × V0 ≈ 10−6t × V0. Autrement dit, le volume est contracté par un facteur 106 à chaque unité de temps. Le volume de notre cube est donc complètement écrasé, et le cube se retrouve confiné sur l’attracteur. La dimension de l’attracteur ne peut donc pas être égale à 3, mais l’objet dessiné est « plus gros » qu’une courbe (dimension 1). Il est assez semblable à un plan (dimension 2), comme nous pouvons le voir sur la Figure 1.4. Sa dimension réelle (dans un sens que nous préciserons dans la Section 1.2.2) a été calculée par Grassberger et Procaccia (1983), et est égale à environ 2.05. Autrement dit, un objet qui occupe légèrement plus d’espace qu’un objet de dimension 2. Cette dimension non entière est caractéristique des systèmes chaotiques. Les attracteurs ayant une dimension non entière sont appelés attracteurs étranges par Ruelle et Takens (1971). 

Table des matières

1 Description du climat comme un système dynamique
1.1 L’attracteur de Lorenz
1.1.1 Histoire et définition
1.1.2 Sensibilité aux conditions initiales : la source du chaos
1.1.3 Caractérisation du chaos par la dimension de l’attracteur
1.1.4 Les statistiques du modèle de Lorenz (1963)
1.1.5 Résumé
1.2 Systèmes dynamiques autonomes
1.2.1 Définition des systèmes dynamiques
1.2.2 Déterminer la dimension d’un attracteur
1.2.3 Caractérisation du comportement local de la dynamique : les exposants de Lyapunov
1.2.4 Statistiques d’un système dynamique : la mesure SRB
1.2.5 Résumé
1.3 Attracteur climatique
1.3.1 Existence d’un attracteur étrange climatique
1.3.2 Déformation de l’attracteur climatique .
1.4 Dynamique non autonome
1.4.1 Système de Lorenz (1984)
1.4.2 Vision Lagrangienne et Eulerienne : des équations différentielles aux équations de transports
1.4.3 L’équivalent des orbites en dynamique non autonome : les snapshots attractors
1.5 Résumé et mise en place du problème
2 Transport Optimal
2.1 Introduction au transport optimal : le problème de Monge
2.2 Transport optimal de mesures empiriques
2.2.1 Formulation en terme de mesure de probabilité
2.2.2 Problème de Monge-Kantorovich
2.3 Distance de Wasserstein
2.4 Lien entre les systèmes dynamiques et le transport optimal
2.5 Intuitions des mécanismes d’action du transport optimal
2.5.1 Représentation du plan de transport comme mesure de probabilité
2.5.2 Visualisation dynamique du plan de transport
2.5.3 Résistance au bruit et influence de l’histogramme
2.6 Exemple d’utilisation de la distance de Wasserstein dans le climat
2.7 Résumé
3 Application à des systèmes dynamiques chaotiques non autonomes
3.1 Abstract (Robin et al., 2017)
3.2 Detecting changes in forced climate attractors with Wasserstein distance
3.3 Compléments : Détection des scénarios RCP dans CMIP5
3.3.1 Application aux températures
3.3.2 Application aux précipitations
3.4 Résumé
4 Correction de biais multivarié
4.1 Abstract
4.2 Multivariate stochastic bias corrections with optimal transport
4.3 Résumé
Conclusion et perspectives
A Utilisation de la distance de Wasserstein pour valider un indicateur
A.1 Abstract (Rodrigues et al., 2017, accepted in J. Clim.)
A.2 Dynamical properties of the North Atlantic atmospheric circulation in the past 150 years in CMIP5 models and the 20CRv2c Reanalysis
Bibliographie
Liste des figures
Index

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