Le régime de gouvernementalité du Plan triennal
Ce chapitre est prioritairement consacré à l’exposé des réponses à nos deux premières questions de recherche. Dans la première section, nous rendons compte des transformations de la régulation sanitaire qui ont eu lieu à l’occasion du Plan triennal (QR1), en décrivant les différentes composantes du régime de gouvernementalité sanitaire instauré par ce Plan. Dans la seconde section, nous traitons du fonctionnement de ce régime (QR2), en montrant l’articulation de ses composantes aux trois niveaux de régulation du Plan : le niveau macro – national – le niveau mezzo – régional – et le niveau micro des établissements régulés. Toutefois, dans la mesure où nous serons amenés à expliquer comment l’intermédiaire de régulation a participé à cette transformation ainsi qu’au fonctionnement de ce régime, nous commencerons également à aborder dans ce chapitre les effets de l’intermédiation, en qualifiant et en distinguant trois de ces effets. Se faisant, nous commencerons à apporter des éléments de réponses à notre troisième question de recherche (QR3). Le cadre analytique des régimes de gouvernementalité sanitaire que nous avons construit au deuxième chapitre de la première partie comprend quatre grandes composantes : la technologie du régime – c’est-à-dire les dispositifs de gouvernement que le régime mobilise dans le cadre d’une rationalité dominante – ainsi que trois types de processus – d’objectivation-subjectivation, de véridiction, et de pouvoir – que cette technologie peut déclencher. Notre travail de compréhension du régime de gouvernementalité spécifique du Plan triennal a donc principalement consisté à caractériser ces composantes dans ce cas particulier. À cette fin, nous avons regroupés les catégories analytiques issues de notre codage inductif – c’est-à-dire nos concepts de premier ordre – en thèmes plus généraux – de second ordre. Nous avons ensuite relié ces thèmes aux quatre composantes de notre grille d’analyse, qui ont constitué les dimensions agrégées de notre structure de données textuelles. De cette manière, nous avons pu qualifier de manière inductive chaque composante du régime de gouvernementalité propre au Plan triennal 2015-2017 du ministère de la Santé en France.
La figure 4.1 ci-après montre schématiquement comment nous avons caractérisé ces composantes à l’aide de notre structure de données textuelles. Nous allons expliciter dans cette section chaque élément de cette structure. Cette vision synthétique donne toutefois un premier aperçu de nos résultats, qui a pour but de guider le lecteur. La figure 4.1 permet ainsi de voir que, sur le plan technologique, la rationalité gouvernementale qui a animé le Plan triennal a été sécuritaire, puisqu’elle a visé la prévention d’un risque financier systémique à travers une re-conception des dispositifs de gouvernement selon une logique de sécurité, au sens de Michel Foucault. Cette technologie sécuritaire a induit une boucle de rétroaction entre la ré-objectivation des hôpitaux par les régulateurs et les phénomènes de re-subjectivation collective qui se sont produits dans ces organisations régulées. Cette boucle de rétroaction a été alimentée par la combinaison de trois procédures de véridiction – la quantification du réel ainsi que l’autodiagnostic et l’expérience du régulé – qui ont permis l’expression par les sujets régulés d’une vérité sur eux-mêmes. Ces procédures de véridiction alèthurgiques se sont inscrites dans des mécanismes de pouvoir à dominante pastorale. En effet, les mécanismes juridico-administratifs – sous forme de contractualisation réactive – et disciplinaires – sous forme de normation méthodologique – ont été orientés de manière à servir une forme pastorale d’accompagnement.
Comme nous l’avons posé en première partie, un régime de gouvernementalité est d’abord défini par sa technologie, c’est-à-dire par un ensemble de dispositifs mus par une rationalité gouvernementale dominante. Dans cette perspective, les changements de régime sont perceptibles à travers l’évolution des rationalités gouvernementales et de l’outillage qui en découle. Ainsi que notre première question de recherche (QR1) y invite, il est dès lors intéressant de s’interroger sur les raisons qui motivent cette évolution. Dans le cas du Plan triennal, nos entretiens auprès des régulateurs primaires du Plan ont révélé que le point de départ du changement de rationalité gouvernementale a été la perception d’un risque financier systémique. Ce thème est en effet revenu de manière récurrente, selon trois déclinaisons principales. Ces trois déclinaisons sont décrites en figure 4.1 par les concepts de premier ordre liés à ce premier thème. Le premier de ces concepts rappelle que le Plan triennal est le produit d’une contrainte financière externe au système de santé, résultant des engagements budgétaires de la France vis-à-vis de ses partenaires européens. Ainsi que l’a exprimé l’un des pilotes nationaux du Plan que nous avons interrogé en 2017 : « L’idée c’était de dire : qu’est- ce qu’on peut faire concrètement pour répondre à cette contrainte externe ? ». La période d’élaboration du Plan triennal, qui s’est étalée d’avril 2014 à mai 2015, a donc principalement été consacrée à la recherche de solutions concrètes pouvant permettre de tenir l’objectif d’infléchissement de 10 milliards d’euros des dépenses d’assurance maladie à l’horizon fin 2017. Ainsi que nous l’avons évoqué au deuxième chapitre, cet objectif s’est notamment traduit par une limitation des accroissements tarifaires annuels des séjours hospitaliers.