Influences des signaux multisensoriels et moteurs dans l’élaboration des réponses des cellules de direction de la tête chez le rat
REFERENTIELS EGOCENTRIQUES ET ALLOCENTRIQUES
L’étude de la cognition spatiale fait souvent appel à la notion complexe de référentiel. Il nous faut donc commencer par définir ce qu’est un référentiel. Dans son acception la plus générale, le terme désigne un système de référence dans lequel s’expriment des relations spatiales. Par exemple, dans une pièce contenant tout un ensemble d’objets, les positions des objets peuvent être décrites par rapport à la pièce, auquel cas la pièce sert de référentiel. Mais les positions des objets peuvent également être décrites par rapport à un sujet qui se trouve dans la pièce, et dans ce cas c’est le sujet qui constitue le référentiel. Dans les études portant sur la cognition spatiale, les référentiels centrés sur le sujet sont nommés référentiels égocentriques, et les référentiels centrés sur l’extérieur sont nommés référentiels allocentriques (Figure 1.1). Bien que ses sens ne permettent généralement à un sujet de percevoir des relations spatiales que dans son propre référentiel, l’utilisation d’autres référentiels, comme celui de la pièce, lui est parfois indispensable pour effectuer des taches spatiales complexes. 8 1. Considerations th Eoriques Certes, pour un observateur, il est aisé de passer d’un référentiel à un autre. Par exemple, pour déterminer la position d’un objet dans la pièce à partir de la position de l’objet par rapport au sujet, il suffit de connaitre la position du sujet dans la pièce. Tant que le sujet reste immobile, ce changement de référentiel est un problème mathématique très simple. Il est à peine plus difficile si le sujet se déplace (les objets, bien qu’immobiles dans la pièce, sont alors en mouvement par rapport au sujet). Mais le problème est bien plus complexe lorsqu’on abandonne le point de vue de l’expérimentateur, qui observe à la fois la pièce et le sujet, pour prendre celui du sujet, qui ne peut pas s’observer lui-même dans la pièce. Or, c’est justement ce point de vue qui nous intéresse ici, puisque notre travail concerne l’élaboration des représentations spatiales par le cerveau. Pour comprendre véritablement la question des référentiels, nous devons donc adopter un point de vue unique, et renoncer à la connaissance à priori de l’environnement à explorer. Pour le sujet, le moyen le plus simple de connaitre l’environnement spatial serait de rester immobile et de tout percevoir à la fois. Ce n’est évidemment pas possible, et le sujet doit se déplacer pour explorer son environnement. Et ce n’est qu’en opérant en quelque sorte une synthèse de tous les signaux sensoriels et moteurs générés au cours de son exploration que le sujet pourra élaborer une représentation allocentrique de l’environnement – dans laquelle les relations spatiales soient indépendantes de sa propre position et de son propre mouvement.
REPERES ENVIRONNEMENTAUX ET SIGNAUX DE MOUVEMENT PROPRE
Les signaux sensoriels et moteurs qui permettent l’élaboration des repésentations spatiales peuvent être classés en deux catégories fonctionnelles : les signaux sensoriels générés par les stimuli environnementaux, et les signaux sensoriels et moteurs générés par les mouvements du sujet.
Repères environnementaux
Dans la mesure ou ils véhiculent des informations spatiales, les éléments de l’environnement sont appelés des repères. Ils comprennent par exemple les points de repère visuels, les marquages olfactifs ou les sources de bruit. Les repères environnementaux peuvent être détectés par plusieurs sens relevant de l’extéroception : 1.2. Reperes environnementaux et signaux de mouvement propre – la vision : des éléments visuels saillants permettent généralement de reconnaitre un lieu ; parfois, de simples asymétries dans le décor suffisent pour s’orienter dans un environnement ; – l’odorat : différents endroits peuvent très bien être caractérisés par différentes odeurs ; – la somesthesie : la texture du sol, ou d’une paroi, le contact d’objets familiers, sont autant de sources d’informations spatiales ; – l’ouie : la direction et l’intensité d’un son permettent par exemple de s’orienter par rapport à sa source ; – le goutˆ : bien qu’il permette en théorie de détecter des informations spatiales au même titre que les autres sens relevant de l’extéroception, en pratique le gout ne joue pas un role critique dans l’orientation spatiale, du moins chez l’homme et les autres primates, aussi bien que chez les rongeurs.
Signaux de mouvement propre
Les signaux sensoriels et moteurs générés par les mouvements propres du sujet fournissent des informations sur les changements de position et d’orientation dans l’environnement (Barlow, 1964). Les mouvements propres sont signalés par plusieurs canaux sensoriels et moteurs : – les signaux vestibulaires : le système vestibulaire, situé dans l’oreille interne, comprend les canaux semi-circulaires et les otolithes, qui détectent respectivement les accélérations angulaires et linéaires de la tête ; – les signaux proprioceptifs et kinesthesiques : les récepteurs articulaires signalent les angles des articulations, les fuseaux neuro-musculaires et les récepteurs de Golgi indiquent les changements de longueur et de tonus des muscles et des tendons, et les récepteurs viscéraux sont sensibles aux déplacements des viscères ; – les copies motrices efferentes et les d Echarges collat Erales : pour qu’un acte moteur puisse être effectué, des signaux spécifiant le mouvement doivent être envoyés vers la périphérie ; des copies de ces signaux sont vraisemblablement également dirigées vers des structures centrales, qui peuvent ainsi anticiper le résultat du mouvement : selon que ces signaux sont envoyés tels quels ou préalablement transformés, on parlera de copies motrices efférentes ou de décharges collatérales ; – les signaux de flux sensoriels exteroceptifs : les mouvements propres induisent des changements sensoriels qui peuvent renseigner en retour sur les mouvements effectués : par exemple, les variations dans les images rétiniennes (flux optique), ou les frottements sur une surface de contact, sont des sources indirectes d’information sur les déplacements en cours. 10 1.
Considérations théoriques
Les signaux de mouvement propre qui sont produits par les forces exercées lors de la mise en mouvement (par exemple, les signaux vestibulaires) sont globalement désignés par le terme de signaux inertiels. Les nombreux travaux mettant en évidence leur contribution à la navigation ont été résumés en particulier par Potegal (1982) et Wiener et Berthoz (1993). Remarquons qu’à de rares exceptions près, les copies motrices efférentes (de même que les décharges collatérales) n’ont pas été mises en évidence expérimentalement, et demeurent souvent un concept évasif (Laporte et Petit, communications personnelles).
LOCALISATION A L’AIDE DE REP ERES ET PAR INT EGRATION DE TRAJET
Pour naviguer dans l’environnement, les animaux ont recours à diverses stratégies plus ou moins complexes, depuis la répétition d’actes moteurs stéréotypés et jusqu’à l’utilisation de représentations spatiales flexibles et robustes (Trullier et coll., 1997). Une description détaillée de ces stratégies dépasse le cadre de notre propos. Nous nous intéresserons ici aux mécanismes qui permettent à un sujet de connaˆıtre sa position et son orientation dans l’environnement.
Repères environnementaux
Reconnaitre des repères environnementaux permet le plus souvent de se situer directement dans l’environnement (Figure 1.2). Par exemple, une scène visuelle permet généralement d’identifier le lieu particulier d’o`u cette scène est vue (c’est ainsi que nous pouvons deviner d’où une photographie a été prise). Plus précisément, un sujet peut se repérer dans l’environnement en combinant deux informations : 1. sa position par rapport à certains repères (référentiel égocentrique), 2. les positions des repères dans l’environnement (référentiel allocentrique). La première information2 lui est directement donnée par la perception. Mais la deuxième nécessite une représentation interne de l’environnement et fait appel à sa mémoire.
1 Considérations théoriques |