Variations spatiales, temporelles et interindividuelles de survie et de phénologie de la reproduction
Compromis évolutifs et stratégies d’histoires de vie
Les organismes composant le monde vivant actuel et passé sont d’une diversité considérable, notamment en termes de taille, de forme, de plans d’organisations, de composition chimique, de comportements, de coloration… Cette diversité résulte de différents processus évolutifs dont la sélection naturelle (Stearns, 1992) : celle-ci a pu contribuer à cette diversité via l’évolution des différents traits, tendant souvent vers une augmentation de la valeur sélective (fitness, souvent définie comme le nombre de descendants reproducteurs produits au cours de la vie) des organismes. Cette évolution s’est cependant faite sous certaines contraintes, environnementales et physiques, mais aussi phylogénétiques.
Traits d’histoires de vie et compromis évolutifs
La considération des histoires de vie constitue un cadre théorique permettant une meilleure compréhension de la diversité du vivant et des processus évolutifs qui y sont associés. Elle fait intervenir les traits d’histoires de vie, qui sont des caractéristiques biologiques et démographiques qui permettent de décrire le cycle de vie des individus dans une population donnée d’une espèce donnée (Stearns, 1976). On peut citer comme exemples de traits d’histoire de vie le nombre et sex-ratio de descendants, l’âge et taille à la maturité sexuelle, la vitesse de croissance, la phénologie de migration, de dispersion, de reproduction et l’espérance de vie (Stearns, 1992). En considérant ces traits d’histoires de vie, il est aisé de faire le lien avec les contraintes précédemment mentionnées qui s’appliquent au principe d’augmentation de la valeur sélective : alors que celle-ci serait maximale pour des individus se reproduisant beaucoup, tôt et pendant longtemps (donc avec une espérance de vie importante), l’énergie à allouer aux processus démographiques n’est pas infinie pour les organismes. On arrive ainsi au concept de compromis évolutif (trade-off) : selon l’allocation de l’énergie à l’augmentation d’un trait, l’allocation d’énergie à d’autres traits sera réduite et la valeur sélective de l’individu s’en trouvera modifiée. Par exemple, lorsqu’un individu produit beaucoup de descendants, ce qui est coûteux en énergie, cela réduira ses probabilités de survie à long terme. L’autre exemple emblématique de compromis évolutif est celui entre la taille et l’âge à la maturité sexuelle, résultant du fait que les ressources disponibles pour un organisme sont limitées. Le choix d’investissement dans l’un ou l’autre des traits d’histoires de vie impliqués dans un compromis peut être contraint par la phylogénie : certaines espèces n’étant capable de produire qu’un jeune à la fois verront leur investissement dans la reproduction limité. b. Stratégies d’histoire de vie Tenant compte de ces compromis, et constatant que de nombreux traits d’histoires de vie sont corrélés (par exemple négativement dans le cas des compromis évolutifs), on peut définir les stratégies d’histoires de vie comme des associations de traits d’histoires de vie réalisés par les organismes. L’exemple le plus célèbre et historique de stratégies d’histoires de vie est l’opposition entre stratégies 9 de type K et stratégies de type r (MacArthur and Wilson, 1967), qui constituent les deux pôles d’un gradient où peuvent être placées les espèces (Pianka, 1970). Les stratégies K sont typiques des espèces vivant dans un environnement peu variable et relativement prévisible : dans ce cas la sélection favorisera des espèces maximisant l’investissement dans la survie des descendants (croissance lente avec maturité tardive, fécondité faible, grande taille, soins parentaux, longévité importante). Les stratégies r au contraire sont caractéristiques d’espèces vivant en milieux variables et imprévisibles : dans ce cas on observera des investissements prononcés dans une maximisation du nombre de descendants avec une diminution de leur probabilité d’atteindre l’âge adulte (fécondité élevée, petite taille, croissance rapide, espérance de vie faible). Cet exemple du gradient r-K a depuis été largement critiqué et affiné (Reznick et al., 2002). Il a été constaté qu’en prenant en compte la taille adulte des organismes (qui est un axe selon lequel les stratégies d’histoires de vie s’organisent), des corrélations entre traits d’histoires de vie existent encore (Gaillard et al., 1989). Ces corrélations varient principalement selon un axe de vitesse de vie : un continuum allant des espèces à histoire de vie rapide (croissance rapide, maturité précoce, espérance de vie faible, …) au espèces à histoire de vie lente (Ricklefs and Wikelski, 2002). Ces covariations indépendantes de la taille des organismes sont décrites par le concept de pace-of-life syndrome (syndrome de train de vie) ; qui est cependant lui-même parfois mis en doute (Royauté et al., 2018). Il est également possible d’observer l’existence de différentes stratégies d’histoires de vie à un niveau intraspécifique : des divergences peuvent exister dans l’espace entre différentes populations d’une même espèce (par exemple vivant dans différents habitats (Brown, 1985), à différentes latitudes (Morrison and Hero, 2003), ou altitudes (Boyle et al., 2016), ainsi que dans le temps entre différentes générations au sein d’une même population (par exemple des cohortes nées des années à température ou phénologie différentes), voire même entre différents individus d’une même population. Les contraintes environnementales (météorologiques (Jennings and Beverton, 1991), abondances de ressources (Dobson and Murie, 1987), abondance de prédateurs) ou populationnelles (notamment la densité de population qui limite l’accès aux ressources par compétition) présentes ou passées (via des effets à long terme sur les stratégies d’histoires de vie) seront la cause de ces différences entre populations ou cohortes. Les différences entre individus seront également façonnées par ces conditions à une échelle encore plus fine, mais elles peuvent également être la conséquence de différences génétiques ou développementales dans l’acquisition et l’utilisation des ressources. 2. L’importance de la phénologie La phénologie se démarque comme l’un des traits d’histoire de vie les plus cruciaux à prendre en compte dans le contexte actuel de changement climatique (Parmesan and Yohe, 2003). Définie comme l’étude de la temporalité des événements majeurs périodiques des cycles de vie des organismes (par exemple les dates de débourrement et floraison, d’envol de divers insectes, de migration, de ponte, d’hibernation), elle est en effet une des variables biotiques les plus affectées par le changement climatique (Parmesan, 2007; Parmesan and Yohe, 2003): la plupart des espèces voient aujourd’hui leur 10 phénologie s’avancer d’année en année. Dans le cadre de l’étude des stratégies d’histoires de vie, l’étude de la phénologie de la reproduction est particulièrement intéressante car celle-ci est souvent liée à l’investissement reproducteur. a. Facteurs influençant la phénologie La phénologie de la reproduction dans une espèce donnée peut être influencée par des signaux environnementaux extérieurs : photopériode, température et phénologie d’autres espèces notamment proies. A un niveau individuel, différentes phénologies peuvent être le fruit de différences individuelles (McNamara and Houston, 2008) : dans le niveau de réserves énergétiques nécessaires à l’initiation de la reproduction (différence entre les income breeders, qui fonctionnent sur l’acquisition immédiate de ressources énergétiques, et les capital breeders qui puisent dans des réserves accumulées antérieurement), dans la capacité à acquérir de la nourriture ou un territoire de qualité et le défendre, dans la qualité du plumage (Nilsson and Svensson, 1996), dans l’âge (en général les oiseaux jeunes ont une reproduction plus tardive que les plus âgés (Forest and Gaston, 1996; Verhulst and Nilsson, 2008), dans le sexe (chez les mésanges bleues les femelles semblent être les seules à décider de la date de ponte (Caro et al., 2009)). D’autre part la phénologie de la reproduction est génétiquement déterminée et partiellement héritable (Delahaie et al., 2017)
Synchronisation entre besoins et ressources
Une phénologie adéquate de la reproduction est bien souvent essentielle dans le succès reproducteur (Perrins, 1970). Elle est souvent discutée en lien avec la théorie du ‘match-mismatch’ : élaborée à l’échelle des populations, cette théorie postule que la synchronisation (match) de la phase du cycle la plus coûteuse énergétiquement (chez les oiseaux, il s’agit souvent du nourrissage des jeunes) avec le pic de disponibilité des proies augmentera le recrutement (Durant et al., 2007; Stenseth and Mysterud, 2002; Visser et al., 1998). Dans les cas où le pic de nourriture a lieu plus tôt ou plus tard, le décalage (mismatch) entre les besoins énergétiques liés à la reproduction et les ressources disponibles aura des conséquences négatives sur le recrutement. Ceci peut être le cas dans un contexte de changement climatique : les niveaux trophiques inférieurs répondant plus intensément au réchauffement que les autres (Both et al., 2009; Thackeray et al., 2016), des décalages phénologiques se créent et peuvent parfois mener à des déclins de populations (Both et al., 2006).
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