RECONNAISSANCE MOLECULAIRE ET
CATALYSE
LES MODELES ORGANIQUES D’ENZYMES
L’activité des cellules vivantes est caractérisée par la réalisation, la coordination et la régulation d’un très grand nombre de réactions chimiques. L’énergie de destruction de molécules complexes est récupérée et utilisée pour la synthèse de nouvelles molécules complexes à partir de molécules simples. Ces réactions se déroulent dans des conditions (température, pression, pH) remarquablement plus « douces » que celles le plus souvent nécessaires aux réactions analogues de la chimie organique. Il en est ainsi car pratiquement toutes les réactions chimiques dans les systèmes vivants sont contrôlées par des catalyseurs, /es enzyrnes, parfois associés à des co-enzymes. Les enzymes sont des protéines. Par I’augmentation spécifique de vitesses de réaction, elles exercent un contrôle cinétique, auquel s’ajoute un contrôle thermodynamique via la maîtrise cinétique des réactions de couplages phosphorylants et déphosphorylants. Les enzymes sont caractérisées par leurs très grandes efficacité et spécificité. L’exemple des ADN polymérases donne la mesure de cette efficacité: une de ces enzymes peut sélectionner un nucléoside, I’activer et le coupler avec la chalne qu’elle construit plusieurs centaines de fois par seconde. Dans les meilleures conditions, c’est à dire notamment si la chaîne n’est pas trop longue, il faut plus d’une minute à un appareil de synthèse automatisé. La spécificité est illustrée par la totale stéréosélectivité des réactions enzymatiques. L’étude et la modélisation de I’activité enzymatique a pour enjeu fondamental la compréhension des mécanismes moléculaires du vivant. Les applications attendues sont multiples. La construction d’inhibiteurs « sur mesure » pour des protéines cibles devrait conduire à une meilleure rationalisation de la conception des produits pharmaceutiques. La préparation de catalyseurs artificiels activant spécifiquement des fonctions chimiques amènerait à de nouveaux médicaments, susceptibles d’attaquer sélectivement des bactéries, des virus ou des cellules cancéreuses. En outre, cela permettrait d’étendre encore les possibilités de synthèse vers de nouveaux composés organiques ou de nouveaux matériaux. Deux approches de I’activitê enzymatique sont engagées: celle menée par les biochimistes et biophysiciens directement sur le matériel enzymatique (étude conformationnelle, substitution d’un acide aminé…), et celle des chimistes qui vise essentiellement à reproduire et modéliser les propriétés des enzymes. C’est à cette seconde approche que nous nous intéressons ici. L’intérêt des modèles miniatures d’enzymes réside dans un premier temps dans I’examen des propriétés supposées responsables de I’efficacité enzymatique. Une fois satisfaisante la reproduction de ces propriétés, on peut envisager la construction de modèles sur mesure.
Les facteurs de l ’efficacite enzymatique
Un certain nombre de facteurs permettent d’expliquer I’efficacité enzymatique.l Certains sont contestés, mais il n’y a pas de certitude (très peu de données expérimentales) pour affirmer qu’un ou plusieurs d’entre eux sont prépondérants. On distingue généralement des facteurs directement catalytiques, et des effets de liaison.2 a) La catalyse La stabilisation des états de transition (figure I-1) est la première hypothèse, due à L. Pauling.3 La réactivité des fonctions chimiques est d’une manière génêrale très dépendante du milieu (polarité, hydrophobie, viscosité…). Le site actif peut constituer un environnement électrostatique stabilisant spécifiquement les états de haute énergie du système. Les réactions enzymatiques seraient ainsi accélérées du fait de faibles enthalpies d’activations. Plusieurs résultats expérimentaux viennent soutenir cette hypothèse. Le premier est que les molécules analogues des états de transition constituent généralement de bons inhibiteurs des enzymes qui catalysent les réactions en question. Réciproquement, des anticorps monoclonaux générés au contact de tels analogues sont des catalyseurs des réactions correspondantes.4 Enfin, certains de ces analogues ont été utilisés avec succès pour former des empreintes dans des polymères organiquess et des matériaux inorganiques6 qui se sont, après ce traitement, révélés des catalyseurs. On peut envisager différentes hypothèses expliquant comment la stabilisation des états de transition se produit dans les enzymes. Des études théoriques ont montré que I’existence de dipôles oermanents maintenus oarallèles au sein de I’enz)¡me permet de solvater un état de transition polaire – mieux que I’eau seule dont I’organisation aléatoire prévient une solvatation optimale autour des charges des solutés.7 Les contraintes électrostatiques générées dans I’enzyme par les dipôles parallèles sont compensées par l’énergie de repliement de la chaîne polypeptidique. Le mode d’action de nombreuses classes d’enzymes peut s’expliquer sur cette base.8 Il a été récemment proposé que la stabilisation des états de haute énergie de la réaction se fait essentiellement par la formation de liaisons hydrogènes dites ‘à faible barrière d’échange’ (le proton est ‘partagé’ de manière quasi-symétrique entre deux molécules par deux liaisons en moyenne identiques).9 La formation de ces liaisons apporterait une stabilisation suffisamment grande pour causer les accélérations de plusieurs ordres de grandeurs que I’on observe dans la catalyse enzymatique. Par exemple dans le mode d’action des protéases à sérine (figure I-2), on observe I’attaque nucléophile enthalpiquement très défavorable d’un carbonyle d’amide par un alcool. L’énergie nécessaire à cette réaction proviendrait de la déprotonation de I’alcool par un imidazole, et cette déprotonation, elle-même très défavorable serait le résultat de la formation d’une liaison hydrogène de faible barrière entre I’imidazolium et un carboxylate.
Préorganísation, entropìe
Cette revue des grandes hypothèses expliquant I’efficacité enzymatique permet de mesurer, au-delà de leur validité générale,l’importance des facteurs entropiques. L’effet de liaison permet de minimiser le terme entropique (de diffusion ou de rotation) d’activation des étapes déterminantes pour la cinétique. La concertation, la stabilisation des états de transition, la fixation du substrat sont dues à I’agencement sur une même molécule d’un certain nombre de fonctions chimiques: une enzyme est un milieu préorganisé. La formation d’un tel environnement par rencontre fortuite de petites molécules est très improbable: elle est limitée par le terme entropique.L’évaluation des entropie et enthalpie peut se faire de manière comparable pour des vitesses de réactions (énergies d’activation), ou pour la stabilité de complexes (énergies de formation). Le degré de préorganisation est un problème essentiel pour la construction de modèles d’enzymes. Les deux exemples de la figure I-7 illustrent deux niveaux de préorganisation. Le premier niveau est la différence entre une réaction intermoléculaire, et une réaction intramoléculaire. Une bipyridine lb lie mieux un cation que deux pyridines La. De même, I’estérification entre le phénol et I’acide benzoique 2a est beaucoup plus lente que la lactonisation du biphényle correspondant 2b. Un modèle d’enzyme doit rassembler toutes les fonctions sur une seule molécule. Le deuxième niveau de préorganisation est la rigidité de la molécule. Les atomes d’azote de la bipyridine lb ne convergent pas spontanément du fait de la libre rotation autour de la liaison entre les deux cycles. Si I’on force la convergence en gelant cette rotation, on obtient un meilleur ligand de cation 1c32 De même, la lactonisation de 2c est encore plus rapide que celle de 2b.re La leçon de tels exemples est qu’il faut construire des modèles les mieux préorganisés possibles, c’est à dire a priori les plus rigides. Mais cela doit être relativisé: lc est plus fort chélateur que lb: ce peut être en raison d’un terme entropique moins défavorable, mais aussi en raison d’un terme enthalpique plus favorable (la distance entre les atomes d’azote n’est pas exactement la même, non plus que leur nucléophilie). De même pour les lactonisations de 2b et 2c. Si qualitativement, on peut penser que le terme entropique d’activation est plus faible pour 2c, il est difficile de quantifier I’importance de ce facteur par rapport aux différences d’enthalpie liées à I’inéquivalence des systèmes. Enfin, il existe des cas où une augmentation de la liberté de rotation du modèle est accompagnée d’une plus grande efficacité (figure I-8). Dans cet exemple,z3 un analogue de I’ADN a été construit en fixant des bases nucléotidiques sur une chaîne polyamide avec le même nombre de liaisons que la chaîne désoxyriboseþhosphate de I’ADN. La chaîne de polyamide a davantage de degrés de liberté de rotation, puisque qu’elle n’est pas rigidifiée par la fermeture de cycles désoxyriboses. Cependant, I’acide polyamide nucléique s’est révélê un meilleur ligand du brin d’ADN portant la séquence de bases complémentaires, que I’ADN lui-même.
RESUME, ABBREVIATIONS a) Présentation du modèIe |