Développement de nouvelles procédures quantitatives pour une meilleure compréhension des pigments et des parois des grottes ornées préhistoriques

Développement de nouvelles procédures quantitatives pour une meilleure compréhension des pigments et des parois des grottes ornées préhistoriques

 Les pigments dans la préhistoire

Palette du Paléolithique

 La palette de couleurs des artistes du Paléolithique est relativement restreinte. Trois principales teintes la composent : le rouge, le noir et le jaune. Leur prédominance n’exclut cependant pas une riche gamme chromatique de cette palette paléolithique, qui se décline pour certains sites pariétaux, en un éventail de couleurs chaudes, du brun foncé au jaune, en passant par des teintes violettes et parfois mauves. Les « blasons » de la grotte de Lascaux (Dordogne) en sont un exemple frappant (Figure I.1). Les premiers témoignages d’utilisation de matières colorantes remontent à la période Acheuléenne, à partir de 300 000 ans. Dès cette période-là, furent découvertes, sur des sites tels Terre Amata à Nice, des blocs de matières colorantes rouges, présentant à leur extrémité les traces d’un travail de façonnage [de Lumley H., 1966]. Les premières études de ces teintes du Paléolithique ont montré qu’elles étaient principalement d’origine minérale, se présentant sous forme d’oxyde ou oxyhydroxyde de fer ou de manganèse. Dans le cas du noir, cependant, cette teinte provient aussi de composants organiques, charbons de bois ou d’os. Mais leur emploi est plus limité et ne se retrouve qu’exceptionnellement dans des grottes telles que Niaux (Ariège), Cosquer (Bouches-duRhône), Chauvet (Ardèche) ou encore dans des grottes du Lot. L’exploitation des oxydes de fer est quant à elle abondante et les témoins s’en retrouvent dans toute l’Europe, tandis que les oxydes de manganèse, bien qu’ils aient été fortement exploités, dans le Périgord notamment, Figure I. 1 : Un large éventail de couleurs dans l’art pariétal ; l’exemple de la grotte de Lascaux et d’un de ses « blasons » peint sous la Vache noire de la Nef. Source : [Aujoulat N., 2004]. Les pigments dans la préhistoire  ne furent que peu employés dans le reste de l’Europe, leur témoignage étant limité pour ainsi dire à la France [Aujoulat N., 2004]. L’utilisation de matière organique comme colorant parait pour l’essentiel opportuniste et aléatoire, dont la démarche d’acquisition résulte directement d’activités quotidiennes liées au feu. Un exemple, cependant, de production volontaire est apporté par la grotte Chauvet pour laquelle il a été démontré que des feux ont été allumés intentionnellement pour produire en quantité importante du charbon de bois destiné à la réalisation d’un certain nombre de ses œuvres [Arnold M. et al., 2010]. Au contraire, l’utilisation de matières colorantes d’origine minérale semble organisée, demandant leur extraction de gisements connus. 

Les matières colorantes minérales

 L’abondance des oxy(hydroxy)des de fer et de manganèse à la surface de la terre, ajoutée à leur vivacité de couleur et souvent à leur fort pouvoir colorant, permet de comprendre aisément leur exploitation en tant que pigments dès la préhistoire. Le fer représente 6,3% (en masse) de la teneur moyenne de la croûte terrestre et le manganèse 0,1%, soit le douzième élément le plus représenté dans les roches ; associés à l’oxygène et l’hydrogène qui représentent respectivement 46 % et 0,88% de l’écorce terrestre. Ces éléments se présentent sous différentes formes : oxyde ou oxyhydroxyde, silicate et carbonate. Deux principaux oxy(hydroxy)des de fer ont été utilisés en préhistoire, la goethite (αFeOOH) et l’hématite (α-Fe2O3), du fait de leur grande stabilité et de leur abondance. Nous nous pencherons donc principalement et de façon succincte sur ces deux espèces. Ces deux oxydes de fer se distinguent par leur composition chimique et leur structure cristalline. Le fer, de structure électronique 3d6 4s2 , possède différents états de valence : +II, +III, (+IV, +V, +VI). Il présente une grande stabilité thermodynamique pour les états divalent et trivalent sur un large domaine de pH et de potentiel d’oxydo-réduction Eh. L’ion Fe3+ occupe le centre d’octaèdres qui est à la base du système orthorhombique dans lequel cristallise la goethite. Ces octaèdres forment dans ce cas-là des doubles-bandes reliées par les oxygènes situés aux coins des octaèdres. L’hématite, quant à elle, cristallise dans un système hexagonal, où les octaèdres s’empilent en couches parallèles. L’hématite se présente donc typiquement sous forme de plaquettes de forme hexagonale. Toutefois, des cristaux de forme irrégulière de texture granulaire et de tailles de l’ordre de quelques dizaines de nanomètres peuvent être observés pour les hématites de sol [Pomiès M.-P., 1997]. A Lascaux, Première partie quatre types d’hématite ont été répertoriés : l’hématite lamellaire hexagonale, l’hématite lamellaire trapézoïdale, l’hématite fibreuse et l’hématite quasi amorphe [Chalmin E. et al., 2004]. L’hématite est l’oxyde de fer le plus stable. Ces deux oxydes sont fréquemment associés dans les sols. Le rapport de leur concentration dépend des facteurs qui régissent la formation des sols (pH, température, activité en eau, la présence de matière organique, …). Les ocres, d’origine exclusivement minérale, contiennent des oxy(hydroxy)des de fer. Le terme « ocre » est assez mal défini. Le mot vient du terme grec ɷχρα [okhrâ] et signifie « couleur de l’œuf » [Varichon A., 2000]. Mais au vue de son emploi, il s’applique aussi bien aux terres argileuses rouges, jaunes, oranges ou brunes (terres d’ocre) qu’aux mélanges en des proportions variables de certaines argiles et d’oxydes de fer ou qu’à tous matériaux colorants contenant des oxydes de fer. Une définition qu’il peut en être fait considère l’ocre comme un sable argileux composé d’un mélange d’argiles (kaolinite, illite) riche en oxyde de fer anhydre (hématite) et/ou en oxyde de fer hydraté (goethite) [Salomon H., 2009]. Le manganèse est présent dans divers minerais, sous différentes formes : oxyde ou d’oxyhydroxyde, comme pour la pyrolusite (MnO2), la hausmannite (Mn3O4) ou la manganite (MnOOH) ; silicate, pour la rhodonite (MnSiO3) ou la braunite (Mn7SiO12) ; carbonate, telle la rhodocrosite (MnCO3). Un inventaire riche et détaillé des oxy(hydroxy)des de manganèse naturels a été établi par E. Chalmin (2003), mettant en évidence la grande variété minéralogique existant dans la nature. Ces nombreuses formes se distinguent par leur composition chimique et leur structure cristalline. Il existe deux grandes familles d’oxydes de manganèse, ceux présentant une composition chimique simple, avec du manganèse et de l’oxygène, telle la manganite et la pyrolusite. D’autres sont de compositions mixtes, contenant différents cations étrangers (Ba, Ca, Co, K, Pb, Na, Mg, Zn, Al, Li). D’un point de vue structurale, le manganèse, de structure électronique 3d5 4s2 , possède différents états de valence : +II, +III, +IV, (+V, +VI), +VII. Dans le cas des oxydes, le manganèse peut se trouver à l’état divalent, trivalent et quadrivalent, seul ou en mélange, en une structure octaédrique. Différents arrangements de ces octaèdres se rencontrent dans la nature, ainsi que différentes combinaisons, en tunnels, telle la hollandite, la romanéchite ou la cryptomélane, ou en couches, comme les phyllomanganates ; structures dans lesquels viennent s’insérer les cations étrangers. Les pigments dans la préhistoire 23 | P a g e Les oxydes de manganèse identifiés jusqu’à présent dans l’art paléolithique sont principalement la pyrolusite MnO2, qui est la phase la plus stable, la romanéchite Ba2Mn5O10,xH2O, la hollandite (Ba)1-2Mn8O16,xH2O et sa famille isostructurale, la todorokite (Ca,Na,K)(Mg,Mn2+)Mn5O12,xH2O ainsi que la cryptomélane (Ba,K)Mn8O16, xH2O [Chalmin E., 2003 ; Vignaud C. et al., 2006]. I.1.3 Propriétés physiques Différentes propriétés de ces oxy(hydroxy)des de fer et de manganèse rendent favorables leur utilisation en tant que pigment : la couleur et le pouvoir colorant, la dureté et la friabilité. La couleur est définie par trois paramètres : la teinte ou tonalité chromatique, la clarté qui permet d’exprimer le degré de clair et d’obscur d’une couleur et la saturation, ou niveau de coloration, qui définit la proportion de la part chromatique. La couleur d’un matériau peut être appréhendée alors par la mesure directe de ces trois paramètres qui sont retranscrits sous forme de trois coordonnées dans un espace à trois dimensions, l’espace chromatique CIElab. Dans cet espace, l’axe des clartés L* définit le degré de noir ou de blanc variant entre 0 et 100 et les axes a* et b* correspondent à la chromatique, respectivement, sur l’axe vert-rouge et sur l’axe bleu-jaune, comprise pour tous les deux entre -100 et +100. Le pouvoir colorant est défini comme la faculté d’un pigment à communiquer à une peinture sa propre couleur. Il dépend de la nature de la matière colorante. La dureté est une des propriétés les plus importantes du matériau car de lui dépend la capacité d’un colorant brut à être broyé ou réduit en poudre plus ou moins finement, influençant alors directement la couleur obtenue. La friabilité et la fragilité, ainsi que la porosité, sont d’autres paramètres importants à prendre en compte car ils peuvent faciliter le broyage. La goethite peut présenter des couleurs allant du jaune au brun. Dans certains cas, elle peut être noire à l’extérieur, affichant un aspect métallique, et de structure compacte et dure. Dans d’autres, elle peut prendre une couleur jaune, et être plus tendre et poreuse à massive. Le broyage fin de ces deux types de goethite produit des poudres d’un jaune plus ou moins vif, dépendant de la taille et de la morphologie des cristaux [Salomon H., 2009]. L’hématite, à l’instar de la goethite, peut être très dure, d’aspect extérieur métallique et de couleur grise à noire. Ce type, souvent appelée oligiste, offre une poudre rouge légèrement brillante, une fois broyé. D’autres variétés sont tendres et violacées, et leur broyage produit Première partie une poudre rouge vif, d’autant plus vif que la poudre est fine [Salomon H., 2009]. L’hématite à cristaux nanométriques semble avoir été préférée durant le Paléolithique, « le broyage de gros cristaux pour obtenir une teinte rouge étant très difficile » [Clottes J., Menu M., Walter P., 1990]. L’hématite possède un fort pouvoir colorant. Des sols contenant un ou deux pourcent de ce minéral présentent déjà une couleur rouge. De plus, il a été montré que seulement trente pourcent d’hématite suffisent pour que le matériau possède une couleur très proche de celle de l’hématite pure [Pomiès M.-P., 1997]. Les oxydes de manganèse sont généralement noirs et possèdent à l’image de l’hématite un pouvoir colorant important. Broyées, les poudres obtenues peuvent prendre un aspect noir intense, brun ou gris métallique [Chalmin E., 2003]. 

 

Table des matières

REMERCIEMENTS
SOMMAIRE
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : ETAT DES CONNAISSANCES
I.1 Les pigments dans la préhistoire
I.1.1 Palette du Paléolithique
I.1.2 Les matières colorantes minérales
I.1.3 Propriétés physiques
I.2 Evolution de l’analyse des pigments et des parois ornées
I.3 Du prélèvement aux analyses non-invasives, vers une portabilité des instruments de mesure
I.4 Problématique
DEUXIEME PARTIE : UNE INSTRUMENTATION PORTABLE AU SERVICE D’ETUDES IN SITU NONINVASIVES, LA SPECTROMETRIE DE FLUORESCENCE X
II.1 Principe physique, rappels
II.1.1 Les interactions rayons-matière
II.1.2 L’effet photoélectrique
II.1.3 Intensité de la fluorescence
II.2 Instrumentation
II.3 Du qualitatif au quantitatif
II.3.1 L’analyse qualitative
II.3.2 Vers une analyse quantitative
II.3.2.1 Principe de l’analyse quantitative
II.3.2.2 Les effets de matrice
II.3.2.3 Les méthodes de quantification
II.3.2.4 Evolution des méthodes quantitatives.
II.4 Des logiciels pour l’analyse qualitative et quantitative : PyMca et XMI-MSIM
II.4.1 Le logiciel PyMca
II.4.1.1 Quantification par la méthode des paramètres fondamentaux
II.4.1.2 Configuration du logiciel
II.4.2 Le logiciel XMI-MSIM
II.4.2.1 Principe général
II.4.2.2 Configuration
II.4.2.3 Simulation dans XMI-MSIM
II.4.3 Application de ces logiciels à l’analyse de l’art pariétal, les limites
TROISIEME PARTIE : ETUDE DE CAS EN CANTABRIE, LA GROTTE ORNEE DE LA GARMA
III.1 Présentation générale
III.1.1 Contexte géologique
III.1.2 Contexte historique
III.1.3 Présentation de l’art pariétal de La Garma
III.1.3.1 Les sujets
III.1.3.2 Sa répartition
III.1.3.3 Chronologie
III.1.4 Contexte archéologique et sa chronologie 65
III.2 Historique des recherches physico-chimiques menées dans les cavités ornées de La Garma
III.3 Les recherches actuelles
III.3.1 Problématique
IIII.3.2 Composition de notre corpus
III.3.3 Analyse in situ par fluorescence X portable
III.4 Résultats
III.4.1 Analyse qualitative
III.4.1.1 Caractérisation des mélanges pigmentaires rouges
III.4.1.2 Caractérisation des mélanges pigmentaires noirs
III.4.1.3 Caractérisation des mélanges pigmentaires jaunes
III.4.2 Analyse quantitative
III.4.2 Analyse multivariée : cas du pigment rouge
III.5 Discussion
QUATRIEME PARTIE : ETUDE DE CAS EN VALLEE DE LA VEZERE, LES GROTTES ORNEES DE
ROUFFIGNAC ET DE FONT-DE-GAUME
IV-a LA GROTTE DE ROUFFIGNAC
IV-a.1 Présentation générale
IV-a.1.1 Contexte géologique
IV-a.1.2 Contexte historique
IV-a.1.3 Présentation de l’art pariétal de Rouffignac
IV-a.1.3.1 Les sujets
IV-a.1.3.2 Sa répartition
IV-a.1.3.3 Les techniques
IV-a.1.4 Contexte archéologique
IV-a.1.5 Datation
IV-a.2 Historique des recherches physico-chimiques et conservatoires engagées à Rouffignac depuis sa découverte
IV-a.3 Les recherches actuelles
IV-a.3.1 Problématique et cadre
IV-a.3.2 Présentation des locii étudiés
IV-a.3.2.1 La Frise des dix mammouths et le panneau du Patriarche
IV-a.3.2.2 Panneaux non-ornés à faciès calcité et à faciès plastique
IV-a.3.2.3 Le Grand Plafond
IV-a.3.3 Analyse in situ par fluorescence X et diffraction de rayon X portable
IV-a.3.4 De l’in situ au prélèvement
IV-a.3.4 Analyse in situ par fluorescence X portable
IV-a.4 Premiers résultats taphonomiques
IV-a.4.1 Analyse in situ par DRX-FX
IV-a.4.1.1 Panneau à faciès plastique
IV-a.4.1.2 Panneau à faciès calcité
IV-a.4.2 Analyse en laboratoire
IV-a.4.2.1 Résultats des analyses aux MEB-EDX
IV-a.5 Discussions
IV-a.6 Le Grand Plafond vu par spectrométrie de fluorescence X
IV-a.6.1 Son étude stylistique
IV-a.6.2 Analyse qualitative
IV-a.6.2.1 Caractérisation chimique
IV-a.6.3 Analyse quantitative
IV-a.6.3.1 Choix de la méthode d’évaluation des données
IV-a.6.3.2 Résultats quantitatifs
IV-a.7 Discussion
IV-a.7.1 Mise en relation avec l’étude stylistique
IV-a.7.2 Quelques remarques.
Sommaire
IV-b LA GROTTE DE FONT-DE-GAUME
IV-b.1 Présentation générale
IV-b.1.1 Contexte géologique
IV-b.1.2 Contexte historique
IV-b.1.3 Présentation de l’art pariétal de Font-de-Gaume
IV-b.1.3.1 Sa répartition
IV-b.1.3.2 Les techniques
IV-b.1.3.3 Les sujets
IV-b.1.4 Contexte archéologique
IV-b.1.5 Datation
IV-b.2 Historique des recherches physico-chimiques et conservatoires engagées à Fontde-Gaume depuis sa découverte
IV-b.3 Les recherches actuelles
IV-b.3.1 Problématique et cadre
IV-b.3.2 Composition de notre corpus
IV-b.3.4 Analyse in situ par fluorescence X portable
IV-b.4 Premiers résultats
IV-b.4.1 Analyse qualitative
IV-b.4.1.1 Caractérisation des mélanges pigmentaires rouges
IV-b.4.1.2 Caractérisation des mélanges pigmentaires noirs
IV-b.4.1.3 Caractérisation du substrat
IV-b.4.2 Analyse quantitative
IV-b.4.1.1 Choix de la méthode d’évaluation des données
IV-b.4.1.1 Simulations des spectres par Monte Carlo
IV-b.4.3 Analyse multivariée (ACP)
IV-b.4.3.1 Analyse en composantes principales des matières picturales rouges
IV-b.4.3.2 Analyse en composantes principales des matières picturales noires
IV-b.4.4 Limites et remarques aux simulations Monte Carlo
IV-b.5 Premières conclusions
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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