Modélisation et simulation spatio-temporelles de systèmes dynamiques complexes avec application en épidémiologie

Modélisation et simulation spatio-temporelles de
systèmes dynamiques complexes avec application en épidémiologie

Introduction générale 

Bien que l’histoire de l’épidémiologie soit ancienne, la modélisation mathématique et informatique des maladies infectieuses est relativement récente. Aujourd’hui, médecins, biologistes, entomologistes, mathématiciens, informaticiens et bien d’autres s’associent afin de mettre en place des modèles adéquats en vue d’éradiquer les maladies infectieuses, notamment transmissibles d’humain à humain et d’animal ou insecte à humain. Au fil du temps, les moyens de transport se sont beaucoup diversifiés et améliorés, facilitant les déplacements massifs (migrations) des populations, et donc le contact entre les individus, ainsi que l’adaptation des individus avec de nouveaux écosystèmes. Au cours de leurs migrations, dues essentiellement à des raisons économiques, touristiques ou de conflits armés, les êtres humains ont souvent amené avec eux les maladies, les virus ou les bactéries qui ont parfois eu des conséquences néfastes (maladies infectieuses) sur les populations de leur territoire d’accueil. Rapidement, le territoire d’accueil peut faire face à des situations d’endémie ou d’épidémie. Nonobstant le développement des technologies et les énormes progrès de la science, les traitements et les vaccins contre de nombreuses maladies infectieuses demeurent à ce jour pas suffisamment efficaces, tant les organismes sont divers, les écosystèmes variés, et les virus ou les parasites de plus en plus en mutation développent des moyens de résistance. Le paludisme est l’une de ces maladies, et nombreux sont les modèles qui ont été proposés pour lutter contre cette maladie. Ronald Ross, considéré comme le fondateur de la modélisation la plus en vue actuellement, proposa en 1911 un modèle dynamique pour lutter contre la transmission du paludisme. Encore appelé malaria, le paludisme est un problème social de première importance dans pratiquement tous les pays de la zone tropicale. Malgré les efforts croisés de diverses disciplines impliquées, le paludisme continue à être un problème de santé publique de premier plan dans les pays situés dans la zone rouge climatique d’adéquation maximale pour la transmission du paludisme. D’après l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), près de 3.2 milliards de personnes (près de la moitié de la population mondiale) sont exposées à la maladie, 95 pays ont été touchés par la transmission du paludisme en 2015 et l’on a enregistré 214 millions de cas de paludisme et 438 000 décès (source : www.who.int). L’Afrique subsaharienne, région la plus touchée, a enregistré en 2015 environ 88% de malades de paludisme et 90% des décès causés par cette maladie. L’Institut Lowy (Australie), à travers une étude, prévoit une prévalence du paludisme pouvant être multipliée par 4 en 2050, en comparaison à celle de 1990 [1]. D’ici la fin de ce siècle, la population mondiale vivant dans des zones où la malaria est endémique pourrait passer de 45% à 60%. D’après l’OMS, le changement climatique est déjà responsable d’environ 6% des cas de paludisme dans certains pays à revenu intermédiaire. La population mondiale, dont tout particulièrement celle d’Afrique, se trouve confrontée à des changements inconnus de l’atmosphère causés par l’homme et à une déperdition de divers autres systèmes naturels. Les pays en voie de développement sont réduits à une lutte 1 Introduction générale anti-vectorielle par l’usage des moustiquaires imprégnées, ce qui permet en cas d’utilisation efficiente, la limitation de la charge parasitaire en dessous des seuils critiques chez les hôtes. La dynamique de transmission et la saisonnalité du paludisme y restent mal connues. Si les niveaux d’endémicité palustre en milieu urbain sont plus faibles qu’en milieu rural, la croissance de la population et l’hétérogénéité spatiale des régions sont telles que le risque d’infection palustre et tout ce qu’il entraîne (maladie, mortalité) diffèrent selon les faciès écologiques et les périodes de l’année. La lutte par l’usage des moustiquaires imprégnées permet principalement d’éviter à la population humaine de se faire piquer par les moustiques, et non pas d’éradiquer les moustiques susceptibles de transmettre la maladie.

Épidémiologie du paludisme et biologie 

Quelques définitions Taux d’inoculation entomologique

Dans le cas du paludisme, ce taux est défini comme étant le produit du nombre moyen journalier de piqûres infectantes que reçoit un humain susceptible par la probabilité que cet humain devienne infecté. Humidité relative L’humidité relative est définie comme le rapport, pour une température donnée, entre la quantité d’eau que contient l’air et la quantité effective qu’il peut contenir. Elle est souvent mesurée à l’aide d’un hydromètre. Indice de végétation normalisé Meneses [5] définit l’indice de végétation normalisé (NDVI) comme une mesure entre l’énergie reçue et celle qui est émise par des objets sur la terre; elle est très sensible aux variations atmosphériques. Processus d’évolution d’un individu Nous appelons processus d’évolution d’un individu, l’ensemble constitué de la séquentialité des différents états de cet individu. Par exemple un humain initialement Susceptible (S), peut ensuite devenir Infecté (E) après piqûre par un moustique Infectieux; quelques jours après, il devient Infectieux (I) et peut à son tour infecter un moustique Susceptible; par la suite, en fonction des conditions environnementales de la zone où il se trouve, l’humain Infectieux peut soit Mourir, soit Guérir sans ou avec immunité (R). Nous dirons donc que le processus d’évolution chez l’humain est de type S −→ E −→ I −→ R. Le moustique quant à lui n’a pas de processus de guérison; son processus d’évolution est donc sous la forme S −→ E −→ I dans tous les cas. 

Le paludisme : les acteurs en présence

Connaître le fonctionnement de ce que l’on veut modéliser est essentiel pour une modélisation efficace; la modélisation en épidémiologie dépend ainsi fortement des connaissances en biologie. Nous présentons, dans le cas de notre modélisation liée au paludisme, les acteurs en présence : le moustique, le parasite et l’hôte du parasite (l’humain). Chez l’humain, l’agent responsable du paludisme est un parasite unicellulaire appelé plasmodium. Il existe cinq formes de plasmodium dans la littérature : le plasmodium falciparum, le plasmodium vivax, le plasmodium ovale, le plasmodium malariae et le plasmodium knowlesi. • le plasmodium falciparum, plus fréquent en Amérique du sud, Afrique et Asie du sud-est, est présenté dans la littérature comme étant l’espèce la plus dangereuse, provoquant les cas les plus avancés de paludisme; • le plasmodium vivax, désigné comme étant le plus répandu en zone tropicale et sub-tropicale, il est responsable de formes bénignes du paludisme; • le plasmodium malariae, plus rare, est plus présent sous les tropiques et en zone tempérée; • le plasmodium ovale, l’espèce la plus rare, généralement rencontrée en Afrique tropicale et en Asie du sud-est, provoque des formes bénignes du paludisme; • le plasmodium knowlesi, plus proche génétiquement du plasmodium vivax et de manière microscopique du plasmodium malariae, a été découvert récemment chez l’Homme, en Malaisie (mais était connu antérieurement chez le singe), et n’est pas encore assez répandu. Le paludisme est une maladie dont le mauvais air des marais (malaria en italien) fut suspecté comme étant la cause originelle. Plus tard, les travaux de Louis Pasteur permirent d’émettre une hypothèse microbienne comme cause du paludisme. En 1880, Alphonse Laveran découvrit le protozoaire responsable de l’infection; il observa des cellules rondes ou en croissant pigmentées dans le sang des paludéens; il constata la présence de filaments grêles et très transparents qui se mouvaient avec une grande agilité et donc la nature animée n’était pas contestable (phénomène d’exflagellation). Le parasite chez l’humain Au cours d’une piqûre par un moustique contaminé, les plasmodies intègrent l’organisme de l’hôte humain sous forme de sporozoïtes. Suit alors une série de transformations tout au long du cycle de vie du parasite. Grâce à ces changements, les sporozoïtes sont ainsi transportés par la circulation sanguine et contaminent le foie; devenus mérozoites dans le sang, ils attaquent les globules rouges et se transforment en schizontes. Ces derniers vont se multiplier et provoquer l’éclatement des globules rouges et prendre finalement une forme capable d’infecter à nouveau les globules rouges et prendre la forme de gamétocytes. Le parasite chez le moustique Absorbant du sang contenant des gamétocytes, le moustique est contaminé. Le parasite subit à nouveau des transformations jusqu’à ce qu’il soit capable, après 10 à 14 jours, de contaminer à nouveau un humain lorsque le moustique femelle prend son prochain repas de sang. Dans le tube digestif de l’insecte, les gamétocytes se transforment en gamètes. La fécondation entre les gamètes femelle et mâle produit un zygote (cellule œuf), qui se développe en sporozoïte. Ce dernier se déplace ensuite dans les glandes salivaires du moustique, d’où ils pourront contaminer à nouveau un hôte humain après une piqûre. 

La vie du vecteur moustique

Généralement présent dans les régions chaudes et tempérées, l’anophèle est un moustique existant sous environ 600 espèces dont 70 peuvent transmettre le paludisme [7]. Les anophèles mâles se nourrissent très 8 Chapitre 1. Paludisme et Complexité souvent de nectar de fleurs et de sucs de fruits et ne piquent pas. Les femelles quant à elles ont besoin d’absorber un repas de sang avant chaque ponte. Elles vivent généralement entre deux semaines et un mois, leur durée de vie dépendant des conditions climatiques. Elles ne s’accouplent qu’une seule fois. Les spermatozoïdes déposés dans le corps de la femelle après accouplement assurent la fécondation des oeufs. Elles pondent en une fois environ 90 oeufs tous les deux à trois jours et piquent généralement la nuit. L’éclosion des oeufs produit d’autres corps appelés larves qui flottent à la surface de l’eau. Ces larves se nourrissant essentiellement d’algues qui prendront à leur maturité (âge adulte) la forme d’insectes aériens. Le temps mis entre le stade oeuf et le stade adulte peut varier entre une et trois semaines, en fonction des conditions climatiques.

Traitement contre le paludisme

Des médicaments existent pour le traitement contre le paludisme et peuvent être appliqués à différents stades successifs d’évolution du parasite et de sporozoïte (forme initiale du parasite) à gamétocyte (cellule reproductrice finale). On distingue deux grands types de médicaments antipaludiques : les schizontocides agissant sur les schizontes et les gamétocytocites qui agissent sur les gamétocytes. Les premiers luttent contre les symptômes du paludisme et les seconds combattent la propagation du parasite. Par ailleurs, étant donné leur toxicité pour le foie, les molécules contre les sporozoïtes sont rarement utilisées. La quinine, la chloroquine, la méfloquine, l’halofantrine, l’atovaquone et le proguanil sont les principales molécules antipaludisme utilisées. Elles bloquent certaines réactions métaboliques du parasite au stade schizonte. Certains plasmodies développent de plus en plus une résistance face à l’utilisation massive de molécules antipaludiques. La résistance des parasites constitue un des obstacles qui entravent les programmes nationaux de lutte contre le paludisme. Pour surmonter les phénomènes de résistance, des combinaisons de molécules ayant des modes d’action différents sont généralement utilisées. En prévention et en traitement, les molécules utilisées sont semblables, seules les posologies diffèrent : elles sont plus faibles en usage préventif. Les traitements préventifs ont pour but d’empêcher le développement de la maladie en cas d’infection et non d’empêcher l’infection en cas de piqûre par un moustique infectieux. Il est par conséquent indispensable de se protéger contre les piqûres de moustiques à travers l’usage de couvertures ou l’utilisation d’outils tels que les moustiquaires. Notons qu’il n’existe à ce jour aucun vaccin certifié contre le paludisme.

 Immunité et paludisme

Deux types d’immunité sont connus : l’immunité innée et l’immunité acquise. Nous nous focalisons dans le cadre de notre travail sur l’immunité acquise. En zone d’endémicité, les populations humaines, régulièrement infectées, deviennent naturellement immunisées : on parle alors d’immunité acquise. Ces populations vont développer une résistance naturelle à la suite de nombreuses périodes d’infections graves. Elles deviendront des porteuses asymptomatiques du parasite et sont protégées contre la maladie. Cette immunité reste cependant temporaire, puisqu’elle disparaîtra au bout d’un ou deux ans passés hors de la zone d’endémicité. L’immunité peut par ailleurs être conservée pendant des dizaines d’années si les individus concernés se trouvent en dehors de la zone de transmission . Les cellules renforcées, l’immunité perdue peut être rapidement rétablie lorsque l’individu concerné est à nouveau ré-exposé à 9 Chapitre 1. Paludisme et Complexité l’infection. Les individus immunisés peuvent tolérer les parasites (forme gamétophyte) du paludisme sans toutefois présenter de symptômes cliniques, l’immunité bloquant la transmission . Les nouveaunés issus d’une mère immunisée sont protégés grâce au transfert des anticorps au cours des premiers mois (3 à 6 mois) de leur vie. Par la suite, les nourrissons deviendront très exposés jusqu’à ce qu’ils acquièrent leur propre immunité [14]. Certaines maladies génétiques telles que la drépanocytose, la thalassémie sont antipaludéennes .

Table des matières

Remerciements
Dédicace
Introduction générale
1 Paludisme et Complexité
1.1 Épidémiologie du paludisme et biologie
1.1.1 Quelques définitions
1.1.2 Le paludisme : les acteurs en présence
1.1.3 La vie du vecteur moustique .
1.1.4 Traitement contre le paludisme
1.1.5 Immunité et paludisme
1.1.6 Répartition géographique du paludisme
1.1. Vaccins et lutte contre paludisme
1.2 Complexité, modélisation et simulation
1.2.1 Les concepts généraux
1.2.2 Les modèles de représentation
1.2.3 Quelques méthodologies de modélisation-simulation
2 Étude de quelques modèles
2.1 Les modèles à base d’équations différentielles ou modèles compartimentaux
2.1.1 Les modèles SI, SIS et SIR
2.1.2 Les modèles SEI, SEIS, SEIR et SEIRS
2.2 Les automates
2.2.1 Les automates d’état fini
2.2.2 Les automates cellulaires
2.3 Les Systèmes Multi-Agents (SMA)
2.3.1 Les Agents
2.3.2 L’environnement
2.3.3 Les interactions
2.4 Les modèles individus-centrés (IBM)
2.4.1 Simulation continue individu-centré
2.4.2 Simulation discrète individu-centré
2.5 Classification des approches de modélisation
2.5.1 Le modèle mathématique
2.5.2 Le modèle informatique
2.6 Spécification et discrétisation avec le formalisme DEVS
2.6.1 DEVS atomique
2.6.2 DEVS couplé
2.6.3 DEVS et ses extensions
2. Les modèles à une population
2..1 Le modèle de Ross
2..2 Modèle de Kermack-McKendrick
2..3 Modèle de Shah et Gupta
2..4 Le modèle à base d’agents de Reyes et al
2..5 Le modèle individu-centré de Zhu et al
2. Les modèles méta-population
2..1 Modèle d’Arino et de Driessche
2..2 Modèle de Tsanou
2. Influence du climat
2..1 Modèle de Priscillia Cailly
2..2 Modèle de Gaudart et al. (200)
2. Modèles et mesure de protection contre le paludisme
2..1 Le modèle de Ngonghala et al
2..2 Le modèle de Kamgang et al
3 Proposition
3.1 Limites des approches antérieures et Positionnement
3.1.1 Limites des approches antérieures
3.1.2 Positionnement
3.2 Modélisation
3.2.1 Le modèle de mobilité
3.2.2 Modèle méta-population sans considération des facteurs climatiques
3.2.3 Modèle méta-population avec considération des facteurs climatiques au moment
du contact humain-moustique
3.2.4 Modèle méta-population avec considération des facteurs climatiques tout au long
du processus d’évolution du moustique
3.2.5 Perturbation météorologique
3.2.6 Les Systèmes à événements discrets
3.2. DEVS et notre modèle méta-population
4 Analyse mathématique
4.1 Introduction
4.2 Étude de l’évolution de la mortalité des moustiques en fonction de la température et de l’humidité relative
4.2.1 Survie des moustiques en fonction de la température
4.2.2 Survie des moustiques en fonction de la température et de l’humidité relative
4.2.3 Taux de mortalité des moustiques en fonction de la température et de l’humidité
4.2.4 Expression analytique de la température
4.2.5 Expression analytique de l’humidité relative
4.3 Propriétés de base du modèle
4.3.1 Positivité et bornes des solutions
4.3.2 Illustrations
4.4 Équilibre sans maladie (DFE)
4.5 Taux de reproduction de base R
4.5.1 Calcul de R
4.5.2 Quelques illustrations
4.6 Stabilité asymptotique globale de l’équilibre sans maladie (DFE) 
5 Application : Cas du Paludisme au Cameroun
5.1 Introduction
5.2 Les espèces plasmodiales et les vecteurs du paludisme au Cameroun
5.3 Influence des précipitations sur la densité des moustiques
5.4 Influence de la température et de l’humidité
5.5 Le modèle méta-population Douala-Yaoundé-Ngaoundéré
5.6 Expérimentation
5.6.1 VLE : une plate-forme d’implémentation et d’expérimentation 
5.6.2 Migration entre les villes de Douala et Yaoundé, Yaoundé et Ngaoundéré
5.6.3 Paramètres épidémiologiques
5.6.4 Analyses
5.6.5 Influence des migrations dans la dynamique detransmission du Paludisme
5. Comparaison des résultats expérimentaux avec les données de terrain : Cas de la ville de Ngaoundéré
6 Cohabitation ou couplage de modèles
6.1 Multi-modélisation et hétérogénéité de modèles
6.2 Modèles à équations différentielles
6.3 Modèles individus-centrés
6.4 Couplage de modèles
6.5 Bilan
6.6 Perspectives
Quelques définitions
References
Publications
Résumé
Abstract

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