Gérer la discipline dans la classe
Penser la sanction en éducation
La sanction, une nécessité théorisée et encadrée
Avant toute chose, il est nécessaire de définir le terme « sanction », profondément polysémique. La sanction admet deux acceptions bien distinctes qu’il ne faut pas confondre. A l’origine, sanctionner signifie « rendre sacré ». Ainsi, « la sanction est l’acte par lequel on établit une loi ou un traité de manière irrévocable . » C’est alors un moyen de rappeler la règle à celui qui l’enfreint. D’autre part, elle est, dans l’imaginaire collectif et le langage commun, synonyme de « punition ». Elle renvoie à une conséquence négative d’un acte répréhensible, infligée par un adulte éducateur, ou une institution dans un cadre légal, et correspond à deux sens du terme expliqués dans le dictionnaire Larousse en ligne. Soit une « mesure répressive infligée par une autorité pour l’inexécution d’un ordre, l’inobservation d’un règlement, d’une loi », soit une « conséquence juridique du non-respect d’une règle de droit ». Nous considèrerons dans ce mémoire une troisième vision, plus récente, qui définit la sanction comme la conséquence d’un acte, répréhensible ou non. Ainsi, le Dictionnaire de psychopédagogie de Robert Lafon définit-il le terme comme « punition ou récompense consécutive à un ou des actes accomplis12. » Selon Prairat, il est ainsi possible de sanctionner un comportement inadéquat tout comme de sanctionner le travail de plusieurs mois d’étude par un diplôme. Dans ce mémoire, nous distinguerons donc les sanctions d’actes inadéquats (SAI) portant sur des actes répréhensibles, et les sanctions d’actes adéquats (SAA), portant sur des actes conformes aux règles en vigueur.
Refuser de punir
Le terme de punition, considéré comme synonyme de SAI par beaucoup, est à éviter car il renvoie à une visée expiatrice de la sanction, ce qui s’oppose clairement à la sanction éducative. La punition expiatrice repose sur trois postulats de pensée détaillés par Eirick Prairat : 1. la faute est conçue comme un mal ; 2. il est toujours possible de trouver un mal à infliger (la peine) quantitativement équivalent au mal commis (la faute) ; 3. la peine, toujours éprouvante, souvent douloureuse, équilibre ou efface le mal commis. Dans la foulée, l’auteur réalise une critique formelle de la punition expiatrice en trois points15 : – Il est illusoire de penser que la sanction peut effacer ou annuler la faute. « La discipline doit s’exercer sur qui dévie, non parce qu’il dévie (ce qui est fait est fait et ne peut se défaire), mais pour qu’il ne dévie plus » ; – La punition expiatrice est une sanction tournée vers le passé alors qu’il faudrait « voir devant » ; – Le mal ne peut naître du bien : on ne peut prêter de vertu éducative à la douleur.
De la nécessité des sanctions aux conditions de leur efficacité
S’il convient d’éviter les punitions, en est-il de même avec la sanction ? L’éducation morale uniquement suffit-elle à faire grandir les enfants et à leur faire acquérir les règles de la vie sociale ? Rappelons en premier lieu qu’à l’âge scolaire et préscolaire, les enfants sont en train d’apprendre les constructions sociales, ils ne sont pas des grandes personnes capables d’autodiscipline et doivent apprendre à supporter la frustration et intégrer la notion d’interdit . Il serait donc absurde de leur reprocher leur ignorance des règles : notre degré d’exigence visà-vis du respect de ces dernières doit être graduel et progressif18. Pour Roger Cousinet, l’éducation morale seule ne peut contrer les actes motifs de SAI puisqu’ils sont généralement source de plaisir, comme les bavardages. Selon lui, « l’action fautive a besoin de l’observation et de la punition. L’observation est destinée à arrêter l’acte commencé, dommageable pour l’intéressé ou à autrui19 . » On peut arguer aussi qu’une société sans moyen de sanction serait une société où ne pourraient s’appliquer les règles morales. Ainsi, pour Marcel Conche, « le droit de punir vient du principe de réciprocité. […] Celui qui fait le mal perd le droit de protester contre le mal qu’on lui fait. Faire du mal à autrui, c’est faire du mal à soi-même ». Dans le même ouvrage, Conche précise qu’il faut punir « si et seulement si cela peut aider le coupable dans une œuvre d’éducation . » Cela pose la question de l’intérêt de la sanction. D’autres auteurs défendent la thèse qu’elle ne doit pas servir la société mais l’enfant en priorité, qui fera partie de cette société. Ainsi Alfred Binet regrette-t-il que beaucoup de punitions soient en réalité infligées pour réduire l’inconfort de celui qui subit un comportement désagréable, ou pour protéger la société, « pour empêcher l’enfant ou le délinquant de recommencer ». Pour lui, au contraire, la sanction doit forger en l’enfant le sentiment qu’il est responsable de ses actions. André Berge va dans le même sens : « la justification de toute autorité, c’est qu’elle agit en faveur de celui à qui elle s’applique23 . » La place de la sanction est donc bien dans l’éducation. En cela, elle ne peut se réduire à une » peur du gendarme », phénomène bien connu en France, et sévèrement critiqué par Bernard Defrance en 2009. En effet, « la « peur du gendarme » n’est pas du tout le « commencement de la sagesse », c’est sa négation, le signe de l’infantilisation générale. » Comme l’explique l’auteur, les adultes qui se conforment aux lois et règles par cette peur n’agissent de fait pas en citoyens mais se soumettent à l’arbitraire : « Intérioriser les interdictions ne signifie pas construire en soi les logiques de la loi. Recevoir la loi, ou se la voir imposer, que ce soit pour s’y soumettre ou la rejeter, empêche de la construire. Or, le respect de la loi suppose qu’elle soit vécue comme point d’appui et non comme obstacle à la liberté : et cette construction de la loi comme « interdit », comme autorisation suppose l’apprentissage de l’autonomie et de son articulation avec celle d’autrui25 . » Ainsi, comprendre le sens des lois et règles comme vectrices de droits et capacités et participer à leur construction permet de les respecter pour leur juste mesure. Defrance met d’ailleurs en garde contre un effet pervers de la peur du gendarme, le sentiment d’impunité qui résulte de l’absence de gendarmes : « tout ou presque devient permis, même chez les plus inhibés, les « bien élevés » 26 . » Dès lors que la nécessité de sanctions et la justification sociale et sociétale de celles-ci sont posées, il convient d’examiner les conditions d’exercice de ces sanctions qui garantissent leur efficacité. Pour Jean-Claude Richoz, « le cadre de discipline doit clairement établir les possibilités et les interdits, être stable, impartial et impliquer un respect réciproque. » Bernard Defrance ajoute l’importance de « l’égalité pour tous et de la non-variabilité dans le temps de la règle28 » et de la prononciation des sanctions pour des motifs précis basés sur des faits avérés29. Il détaille plus loin une série de critères nécessaires pour éviter tout inconvénient ou excès de la sanction : – elle ne doit jamais « être méprisante ni humiliante. La sanction doit toujours être l’occasion de « repartir de zéro » ; – elle doit être adaptée et proportionnée à la faute ; – elle doit être réfléchie et éviter autant que possible d’être prononcée « à chaud », au risque d’entamer les bonnes relations entre éducateur et élève ;
– enfin, elle doit être mesurée et ne pas écraser l’élève sous un flot insurmontable de sanctions30 . » Les sanctions sont donc nécessaires, mais doivent suivre des critères précis pour être efficaces.
De la sanction juste et efficace à la sanction éducative
Si beaucoup d’auteurs rappellent l’intérêt d’une sanction efficace, celle-ci doit surtout être éducative pour remplir son but. Ainsi, pour Eirick Prairat, une sanction n’a pas pour objet d’expier une faute, d’humilier un élève qui s’adonne à un comportement ou de lui éviter bêtement de recommencer un acte par peur de la conséquence. La sanction éducative permet à l’enfant de grandir, de comprendre les fondements de la vie en société et d’y adhérer pour y trouver sa place. Pour cela, une sanction éducative doit être une « occasion de rappeler une règle, un principe, de transformer un acte perturbateur en moment de civisme31 ». Elle doit donner lieu à une réaction et à une explication, et donc être accompagnée de parole. C’est aussi la vision d’André Berge, à laquelle souscrit Eirick Prairat : « La nature du dialogue établi entre les deux parties permet de situer la sanction à sa vraie place. Si ce dialogue est l’expression de bonnes relations humaines, la sanction n’est jamais humiliante ou injuste, mais juste, logique, efficace à long terme, et aussi rassurante, apaisante, déculpabilisante. Ce sont les qualités que doit avoir la sanction pour être éducative32. » Ces deux auteurs s’accordent donc sur la nécessité de parler avec l’enfant, de lui réexpliquer les règles, le motif de la sanction. Eirick Prairat va plus loin en déterminant trois fins qui lui assurent d’être éducative : 1. Une fin éthique : la sanction responsabilise un sujet en devenir. Elle lui apprend à répondre de la conséquence de ses actes dans un groupe social. 2. Une fin politique : la sanction réaffirme la centralité de la loi, de la règle, elle réaffirme l’identité du groupe, l’importance du « vivre avec ». 3. Une fin psychologique, sociale : la sanction signifie une limite, un stop dans un comportement ou une dérive, et réoriente le comportement du fautif. Elle replace le fautif dans le lien, la relation, ainsi qu’elle replace la victime à la place qu’elle occupait avant la transgression33 . Il décrit également quatre principes nécessaires : 1. Le principe de signification : une sanction éducative « s’adresse à un sujet, elle est individuelle et non collective ». Il faut renoncer au spectaculaire, à la mise en scène au nom de l’exemplarité, mais on peut garder la solennité et la gravité en « donnant à penser plutôt qu’en faisant voir le puni ». La sanction appelle de fait la parole, il faut expliquer l’interdit qui a été transgressé, ses conséquences, s’assurer que la sanction est comprise. 2. Le principe d’objectivation : la sanction porte sur un acte et non sur une personne, on distingue l’être de ce qu’il fait : « On ne punit pas l’intégrité d’une personne,
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