Savoir pour comprendre, comprendre pour soigner
Narration de la situation clinique
J’ai décidé de vous présenter la situation de Monsieur H. 80 ans. Il est originaire de Tunisie. Il est marié, a 4 enfants dont 2 fils et 2 filles, il vit en banlieue parisienne. Il est retraité et il était employé d’usine aéronautique. Il est arrivé dans le service d’oncologie digestive, un service où nous nous rendons quasi quotidiennement, pour la suite de la prise en charge d’un cancer pancréatique métastasé au foie. Monsieur H arrive le 2 septembre aux urgences, où il a été envoyé par son médecin généraliste. Il est décrit par ce même médecin généraliste une altération de l’état général s’aggravant rapidement ainsi qu’une perte d’autonomie, et un amaigrissement. Depuis le 2 septembre Monsieur H est dyspnéique au moindre effort. Le 3 septembre une échographie abdominale retrouve des nodules intrahépatiques évocateurs de lésions secondaires, un scanner du jour même retrouve une masse au niveau de la queue du pancréas. De plus, ce même scanner met en évidence une embolie pulmonaire bilatérale. Il est donc arrivé dans le service d’oncologie digestive le 6 septembre. Il y passe des examens complémentaires. Le diagnostic d’adénocarcinome de la queue du pancréas métastasé au foie est confirmé par les biopsies. Monsieur H est toujours dyspnéique, et vers le 23 septembre le service d’oncologie digestive constate l’apparition d’un ictère cutaneo-muqueux, ainsi qu’une majoration de la dyspnée malgré une anti-coagulation efficace. Aucune amélioration n’est constatée malgré l’introduction de Lasilix®. Il est alors expliqué à monsieur H ainsi qu’aux membres de sa famille présents, qu’il n’est pas raisonnable de débuter une chimiothérapie. Devant la dégradation clinique de Monsieur H, une seringue électrique de Midazolam et une seringue électrique de Morphine sont débutées le 24 septembre, dans l’objectif de soulager Monsieur H de sa dyspnée. Il est décidé qu’il bénéficierait de soins de conforts exclusifs. Nous sommes appelés le vendredi 25 septembre dans ce service, afin d’aider à prendre en charge les symptômes de Monsieur H. Dans un premier temps, une collègue infirmière et une collègue médecin vont à sa rencontre. D’après leur compte 5 rendu, Monsieur H est OMS 4, il comprend qu’il a un cancer mais ne comprend pas pourquoi il ne retrouve pas son autonomie. Elles rencontrent aussi ses deux fils, l’un venant de suisse, l’autre du Canada. Ils expriment le souhait que leur père soit le mieux soulagé possible. Elles ne font pas de modifications de traitement, car monsieur H semble pour le moment bien soulagé. Elles programment une nouvelle visite en début de semaine suivante. Le lundi suivant, je me rends avec un collègue médecin dans ce service d’oncologie digestive afin de prendre des nouvelles d’autres patients que nous avions suivi la semaine précédente. Nous sommes interpellés par l’interne et le médecin de salle, pour rediscuter du dossier de Monsieur H. Nous reprenons avec les médecins le dossier (que nous ne connaissions pas initialement). Durant le week-end, les fils de monsieur H ont demandé à ce que soit baissée la dose de Midazolam, qui était initialement à 0,5mg/h, car ils trouvent leur père trop endormi. Cela fut fait durant la journée du samedi. Durant la nuit de dimanche à lundi, ils ont insisté pour que la seringue électrique soit cette fois ci arrêtée. D’après les transmissions de l’équipe de nuit, ils auraient été très vindicatifs, voir agressifs dans leur demande, incriminant le Midazolam dans la perte de vigilance de leur père. L’équipe de nuit, après avoir prévenu l’interne de garde, a finalement arrêté la seringue électrique de Midazolam. Nous allons ensuite auprès de l’équipe paramédicale de ce début d’après-midi. L’infirmière et l’aide-soignante ayant en charge monsieur H, nous disent que les deux fils sont présents dans la chambre, mais semblent plus apaisés. Elles décrivent monsieur H comme inconfortable, avec une fluctuation de la conscience, présentant un tirage et une fréquence respiratoire à environ 30 mouvements par minutes, elles ont aussi mis en place un masque à haute concentration à 12L/min devant une saturation basse. Elles étaient surprises d’entendre que la seringue de Midazolam avait été arrêtée durant la nuit, et me transmettent que l’interne de garde ne s’est même pas déplacé, et a demandé à ce que soit arrêtée la seringue, comme le voulaient les fils de monsieur H. Je ne peux m’empêcher de penser à cette équipe de nuit, qui a dû se sentir bien seule face à la situation, et cela me projette dans mon passé qui n’est pas si lointain, lorsque je travaillais de nuit Nous décidons d’aller à la rencontre de monsieur H et de ses fils. Je rentre en premier dans la chambre, suivi par mon collègue médecin. Nous nous présentons, et l’un des fils nous dit qu’effectivement il avait rencontré nos collègues. Je constate en rentrant que Monsieur H a le masque à haute concentration sur le front, qu’il tient difficilement. Il est très ictérique, a le regard dans le vide. Il ne semble pas chercher son air. Le médecin demande s’il peut examiner monsieur H, nous constatons un balancement thoraco-abdominal, ainsi qu’un léger tirage, mais sans encombrement. Ce qui me frappe le plus, c’est l’ambiance pesante dans la chambre, les deux fils qui nous toisent de haut en bas. L’un des fils est assis et tient la main de son père, l’autre a les bras croisés, debout et il nous fait face. J’ai le sentiment que nous allons être confrontés à une situation difficile. Après cet examen, je me permets de revenir sur le week-end et la dernière nuit. Les deux fils se relaient auprès de leur père jour et nuit, mais se tiennent prêts à venir à tout moment. Il a été installé dans la chambre un lit d’appoint. Le fils qui était debout, me dit alors que ça a été très compliqué, que leur père était très endormi à cause du médicament, en me désignant la pompe électrique où devait se trouver la seringue électrique de Midazolam. Qu’il avait dû taper du poing sur la table pour que « le personnel de nuit lui obéisse ». Je suis surpris de cette entrée en matière, et j’ai beaucoup de mal à cacher ma surprise, ainsi que mon agacement quant à sa façon de nous tenir ce discours. D’autant que nous sommes attachés à ce service qui tente, de pallier au mieux au manque de paramédicaux, et d’accompagner au mieux les patients. Je lui explique, mais il continue de ne pas me regarder, et reste en boucle sur sa demande. Je me reprends et j’essaye de trouver les mots pour lui expliquer qu’il s’agissait d’une prescription, et que l’équipe en place cette nuit se devait de respecter cette dernière. Puis en ignorant ce que je lui dis et en ne s’adressant qu’à mon collègue médecin, il nous dit qu’il a bien fait, car son père est plus réveillé, et qu’il arrive à communiquer avec eux. Mon collègue médecin s’adresse alors à monsieur H, en lui stimulant l’épaule, monsieur H n’a presque aucune réaction, si ce n’est d’ouvrir légèrement les yeux, de regarder ses fils, et de murmurer quelques mots incompréhensibles. Le fils dit, tout en continuant à ne s’adresser qu’à mon collègue, qu’il ne faut pas remettre ce traitement, Depuis qu’il a été arrêté son père « va mieux » et il peut les 7 entendre. Il demande à ce que son père doit être le plus conscient possible, et ce jusqu’au bout. J’ai le sentiment d’être complètement mis à part de la discussion. Le médecin reprend avec lui l’heure de l’arrêt de la seringue de Midazolam, et que cela fait environs 13 heures qu’elle a été arrêtée. Il fait part de son avis que le peu de conscience de son père soit plus en lien avec sa maladie, sans nommer l’encéphalopathie hépatique, que du Midazolam. Et que celui-ci était mis en place pour éviter que Monsieur H ne ressente la gêne occasionnée par le tirage, que le but n’est pas de diminuer la conscience mais qu’effectivement cela peut arriver avec ces médicaments. Je constate alors sur le coin de l’adaptable un galet, un coran format de poche, et dans les mains du fils qui ne disait pas grand-chose jusque-là, un chapelet. Le fils qui était debout nous demande encore de respecter le fait que son père doit rester conscient. Je me permets alors de lui demander pourquoi cette demande ? Même si au fond de moi je crois savoir pourquoi désire-t-il cela. Il prend un ton énervé, et me dit que c’est comme ça et pas autrement, et qu’il va appeler sa sœur qui pourra dire qu’elle est d’accord avec le fait que leur père doit rester conscient. Il l’appelle et la met sur haut-parleurs. Nous reprenons les éléments avec mon collègue médecin, elle nous répond alors qu’elle va dans le même sens que son frère. Je regarde mon collègue, nous avons l’habitude de travailler ensemble, et je décide donc de faire un pas vers eux et leur demande alors si cette demande, au vu de ce que je comprends par la présence du galet, est en rapport avec la religion musulmane. Ils semblent surpris, et me demandent de poursuivre. Mon collègue fait un pas en arrière et me laisse prendre la conversation en main. Je leur explique le fond de ma pensée, et leur demande si leur désir que monsieur H soit le plus conscient possible a à voir avec l’idée de pouvoir entendre les dernières prières, et ainsi entendre ou prononcer sa profession de foi, la CHAHADA (j’ai un ton volontairement interrogatif, ne maîtrisant pas les thermes exactes). A ce moment-là, j’ai en face de moi deux frères qui me regardent interloqués. Ils prennent un temps et l’un d’eux, répond sur un ton qui n’était jusqu’alors pas le sien, que j’ai « tout compris ». A partir de cet instant, ils ne s’adresseront qu’à moi.
Recherche documentaire
Savoir pour comprendre, comprendre pour soigner
Savoir, comprendre, connaître, sont des notions liées. La définition du Savoir, d’après le LAROUSSE, c’est d’avoir des connaissances sur quelque chose, ou quelqu’un mais aussi en parlant de quelque chose, être capable de, pouvoir faire. (Définition Larousse) Comprendre c’est se représenter quelqu’un, quelque chose (d’une certaine manière), et s’en faire une certaine idée mais aussi saisir par l’esprit, l’intelligence ou le raisonnement quelque chose, le sens des paroles, des actes de quelqu’un. (Définition Larousse) Connaître c’est avoir appris une science, une technique, une langue, etc. autrement dit savoir, mais aussi c’est être au courant de quelque chose, de l’existence de quelqu’un, le savoir et pouvoir le dire. Comme on peut le constater, dans leurs définitions propres ces termes sont intrinsèquement liés. C’est pourquoi il me parait essentiel de les définir ensemble. Connaître, les connaissances, sont les informations à regrouper afin de constituer une certain savoir, ces informations quand elles sont sues sont intégrés. La compréhension est le fait de relier l’ensemble de ces savoirs. Mais il faut arriver aussi à se dire qu’il est parfois important de savoir avant de connaître car nous pourrions oublier des connaissances utiles. Comprendre mets en lien l’ensemble des savoirs, et leur apporte du sens, ce qui entraîne par cascade une soif de savoir, de connaissances. Pour résumer, on peut dire que plus on connaît, plus on sait, plus on comprend, et ceci constitue une véritable boucle. Comprendre pour prendre soin. Lors des études médicales et paramédicales, il est demandé aux étudiants de faire des liens entre les différentes informations données par les patients, les différentes examens biologiques, radiologiques, et cliniques, pour amener à des diagnostiques soit de pathologies, ou des diagnostiques paramédicaux (définis dans les décrets infirmier, loi de santé publique). 14 Pour moi comprendre permet de mettre du sens dans le prendre soin. Au-delà de comprendre les aspects biologiques, il m’est important de comprendre le patient dans sa globalité, ce que défende les soins palliatifs. (Définition soins Palliatif OMS 2002) Comprendre ce qu’il vit, quel prisme culturel/spirituel entre en jeu pour le patient, sa famille ou son groupe d’appartenance. Comprendre, inclut le fait d’admettre de ne pas savoir, ne pas connaître, et donc de ne pas pouvoir tout comprendre. Nous, soignants, ne sommes pas définies que par nos capacités techniques, ou connaissances médicales, mais aussi par nos capacités à accompagner des personnes fragilisées, nos aptitudes à accueillir les besoins, les souffrances, les inquiétudes, les interrogations face à l’inconnu que constituent la maladie et parfois la mort à venir. Savoir me permet de comprendre puis de prendre mieux en soin les patients. Cela fait sens pour moi.
La relation de soins
La relation de soins, pourrait se limiter à ce qu’on appelle « la relation/soigné » mais il n’en est rien. Cette notion englobe un grand nombre d’interactions et de relations diverses qu’il nous appartient en tant que soignant de savoir identifier et analyser. La relation de soins fait partie intégrante de la prise en soins. Elle n’est donc pas à négliger, quand bien même les injonctions de l’institution voudraient que le temps soit compté. (Formarier 2007) La relation soignant-patient-famille est une relation emprunte d’une certaine inégalité en défaveur du patient et de sa famille. « il n’y a pas de symétrie dans les représentations, les attentes, les statuts, et les rôles des personnes initiées qui évoluent sur leur territoire (les soignants) et des non initiées (les patients et leurs familles) qui arrivent dans une micro culture , une organisation, des modes de communication, un environnement qui leur sont étrangers, qu’ils ne maîtrisent pas. » (Formarier 2007) N’oublions pas qu’en tant que soignants, nous évoluons dans notre univers, notre réalité. C’est au soignant de faire le pas vers l’autre, de faire en sorte de tendre vers une meilleure symétrie de la relation. Ou en tout cas d’y travailler. Bien souvent les attentes de cette relation de la part du patient et de ses proches ne sont pas en total accord avec celles des soignants. Le patient et/ou sa famille vont avoir tendance à s’engager dans une relation forte, de confiance, d’autant plus lorsque l’accueil dans le service aura été personnalisé. Alors que les soignants de par leur devoir de prise en charge de l’ensemble des patients ne peuvent, bien souvent, pas aller aussi loin dans la relation. On peut alors parler d’interaction, plus que de relation, pour les soignants. Bien évidemment, dans un monde idéal, le soignant pourrait prendre systématiquement le temps d’être en relation. (Formarier 2007) 16 Cela est d’autant plus vrai lorsque nous sommes face à un patient qui arrive au bout de sa vie. Je pense qu’il s’agit de situation où la relation de soins a toute son importance, plus encore que pour d’autres situations. Pour que le patient ou ses proches puissent retrouver une autonomie, poser toute question, il ne s’agit plus d’avoir des interactions d’ordre technique, ou informatif, mais bel et bien d’entrer en relation, la maintenir, l’enrichir. Certes cela doit être fait tout en maintenant la capacité du soignant à assurer les soins, et la continuité de sa prise en charge. Entrer en relation, maintenir ou enrichir, peut être l’occasion d’évoquer des besoins rarement évoqués dans la relation de soins : les besoins spirituels, et plus rarement encore, les besoins culturels.
I. Introduction |