Caractérisation de la diversité du répertoire TCR par
modélisation de données de séquençage haut-débit
Système immunitaire adaptatif
Le système immunitaire comprend deux composantes majeures : le système inné et le système adaptatif. Alors que le premier permet à l’ensemble des organismes une réaction défensive immédiate et rapide lors de l’intrusion d’un élément étranger, le système immunitaire adaptif est apparu au cours de l’évolution chez les vertébrés, les munissant ainsi d’une seconde ligne de défense, plus longue à mettre en place. Combinée à l’immunité innée, elle a vocation à procurer une couverture spécifique à large spectre (Kourilsky, 2014) permettant de faire face aux nombreux types d’infection et autres agressions (cancer, allergie, autoimmunité…). 1) Les acteurs de l’immunité adaptative L’immunité adaptative cellulaire repose sur 3 piliers : (i) les lymphocytes B, (ii) les lymphocytes T et (iii) les cellules présentatrices d’antigènes, qui vont interagir pour mettre en place une réponse immunitaire adaptée à la situation rencontrée. Cette thèse ayant pour objet biologique d’intérêt le répertoire lymphocytaire T, une plus grande emphase sera accordée à cette population dans cette introduction, particulièrement à celle des lymphocytes CD4+. Les lymphocytes représentent une proportion variable des leucocytes, communément appelés globules blancs, produits dans la moelle osseuse des vertébrés et circulant dans leur organisme. Les lymphocytes B (LB) se différencient et sont sélectionnés dans un premier temps dans la moelle osseuse. Arrivés à maturation, ils expriment à leur surface un récepteur, appelé anticorps (Ac) membranaires, Immunoglobulines (Ig) ou BCR pour B-cell receptor, impliqué dans la reconnaissance des antigènes (Ag). Il est à noter que la plupart des molécules peuvent être des antigènes. Une fois en périphérie, chaque cellule lymphocytaire B exprime à sa surface environ 105 récepteurs identiques intégrant le même site de liaison à l’antigène (Kourilsky, 2014). Les lymphocytes T (LT) quant à eux, se différencient dans le thymus suite à la migration de leurs précurseurs, dits progéniteurs ou pro-thymocytes, depuis la moelle osseuse. De manière comparable aux lymphocytes B, les lymphocytes T matures expriment à leur surface un récepteur membranaire, appelé TCR pour T-cell receptor (Tonegawa, 1983). Néanmoins, INTRODUCTION 2 Caractérisation de la diversité du répertoire TCR par modélisation de données de séquençage haut-débit contrairement aux LB qui reconnaissent l’antigène dans sa forme tridimensionnelle native, les LT reconnaissent les antigènes sous forme de peptides présentés par les molécules du Complexe Majeur d’Histocompatibilité (CMH). En effet, avant de pouvoir être reconnu par un TCR, l’antigène natif doit avoir été capturé, dénaturé par les cellules nucléées qui vont ensuite associer ses dérivés peptidiques aux molécules de CMH exprimé à leur surface. Les molécules du CMH, très polymorphes, sont distinguées en deux classes : les molécules de classe I (CMH-I) exprimées par la quasi-totalité des cellules nucléées et les molécules de classe II (CMH-II) uniquement exprimées par les cellules dites présentatrices d’antigène (CPA) (Marrack and Kappler, 1986). Cette dénomination englobe les lymphocytes B, les cellules dendritiques et les macrophages. Chaque molécule de CMH peut s’associer à des dizaines de milliers de peptides différents. Lors de leur différenciation, les lymphocytes T se polarisent (revue par Singer et al., 2008; Thomas-Vaslin et al., 2008) pour finalement constituer deux grandes populations cellulaires caractérisées par l’expression à leur surface de deux glycoprotéines appelées CD4 et CD8 (CD : cluster de différenciation) (Marrack and Kappler, 1986; Murphy, 2012). Les LT CD4+, aussi appelés LT auxiliaires, jouent un rôle fondamental dans l’orchestration de la réponse immunitaire contre l’antigène. Les LT CD8+, ou LT cytotoxiques, ont, quant à eux, une action plus directe en détruisant des cellules cibles (Cantor and Boyse, 1975). Les marqueurs CD4 et CD8 conditionnent l’interaction du TCR avec le complexe peptide/CMH (pCMH) en interagissant avec le CMH lors de la présentation et vont également permettre la transmission du signal d’activation à la cellule (Irving and Weiss, 1991). Ainsi, les LT CD4+ reconnaissent le peptide antigénique présenté par les molécules de CMH-II à la surface d’une CPA alors que les LT CD8+ vont reconnaître un Ag présenté par les molécules CMH-I exprimées par l’ensemble des cellules nucléées (Figure 1) (Blackman et al., 1986; Wang and Reinherz, 2002). Dans ce contexte, un TCR doit rencontrer un antigène dans les circonstances adéquates pour induire un signal d’activation à la cellule T porteuse afin qu’elle prolifère et se différencie en cellules T effectrices nécessaires à la réponse immunitaire.Un LT CD4+ activé, suite à l’interaction de son TCR avec un pCMH-II spécifique, va enclencher, via la sécrétion d’interleukines1 , les mécanismes de réponse immunitaire adéquate à l’élimination de l’antigène. En effet, la cellule LT CD4+ activée peut soit stimuler l’activation et l’expansion clonale de LT CD8+, déjà activés par le complexe pCMH-I exprimé par les cellules infectées, qui élimineront ces cellules (Wong and Pamer, 2003), soit contribuer à l’activation de LB, eux-mêmes entrés en contact avec l’antigène via leur immunoglobulines membranaires, et ainsi induire leur division et différenciation en LB effecteurs, dits plasmocytes, qui en secrétant leurs anticorps dans le sang permettront de neutraliser « la menace ». Ainsi, on distingue deux branches de l’immunité adaptative : la branche dite humorale dont les lymphocytes B sont considérés comme les acteurs clés et la branche cellulaire au sein de laquelle se trouvent les LT.On dénombre entre 1 à 2.108 LT au total chez la souris (Casrouge et al., 2000) et 1012 chez l’homme (Arstila et al., 1999). Ces cellules se distribuent en de nombreuses populations lymphocytaires, en général définies par leur profil d’expression de cytokines, facteurs de transcription et par leur phénotype. En 1995, S. Sakaguchi et son équipe ont identifié une population représentant 5 à 10% des LT CD4+, appelée LT régulateurs (Tregs) (Powrie & Mason, 1990 ; Fowell & Mason, 1993 ; Sakaguchi et al., 1995). Cette appellation est due à l’activité régulatrice de cette petite population LT CD4 + de l’activité effectrice des LT, en particulier les LT autoréactifs. En effet, lorsque cette population fait défaut chez la souris, on observe l’apparition spontanée de lésions systémiques dues à des troubles auto-immuns (Fontenot et al., 2003; Hori et al., 2003a). De plus, les patients atteints d’un syndrome IPEX2 présentent une mutation du gène foxp3, gène caractérisant la population Tregs, qui entraîne une déficience des Tregs (Hori et al., 2003b). Bien que leurs mécanismes de sélection thymique soient toujours méconnus, de nombreuses études s’accordent sur le rôle clé du TCR dans la sélection des Tregs (Burchill et al., 2008; Lio and Hsieh, 2008) ainsi que dans leur activité suppressive (Levine et al., 2014; Zhu and Shevach, 2014). De plus, Hsieh et ses collègues ont montré que les TCR des Tregs en périphérie semblent interagir avec plus d’affinité avec les complexes CMH-II présentant un peptide du soi (Hsieh et al., 2004, 2006). L’immunité adaptative résulte donc de la coopération de ses acteurs, les lymphocytes T et B, avec des entités initialement impliquées dans l’immunité innée (macrophages, cellules dendritiques…), travaillant ensemble pour permettre une réponse plus rapide et efficace de l’organisme lors d’une agression.
Une approche systémique pour un système complexe
Le système immunitaire regroupe donc un ensemble structuré d’entités, directement ou indirectement, interdépendantes. Ce réseau d’interconnections contribue à la robustesse du système immunitaire en assurant son bon fonctionnement en dépit des perturbations, généralement aléatoires, qui se produisent dans son environnement extérieur ou dans son milieu intérieur (Kourilsky, 2014). C’est l’imprévisibilité potentielle – non calculable a priori, des comportements du système qui lui confère un haut niveau de complexité. Face à cette constatation, la nécessité d’une approche systémique prend tout son sens. En effet, combiner l’étude des entités et de leurs interactions semble essentiel à la bonne compréhension des comportements physiologiques et pathologiques caractéristiques de ce système. L’approche systémique, théorisée par Ludwig von Bertalanffy en 1968 (Bertalanffy, 1993) fut longtemps ignorée par les immunologistes qui lui préféraient une approche réductionniste, notamment suite à l’avènement de la biologie moléculaire dans les années 1970. Or, l’approche réductionniste, bien que cruciale pour la description des entités (cellulaires et moléculaires) et des mécanismes impliqués dans les processus de réponses immunitaires, ne permet pas une analyse intégrative de ces processus. Ainsi, l’approche systémique a fini par prendre sa juste place en immunologie au début des années 2000 (Benoist et al., 2006; Gardy et al., 2009) permettant à d’autres champs de prendre de l’essor tels que la modélisation. Germain et ses collègues, dans une revue publiée en 2011, détaillent comment une liste exhaustive de questions immunologiques ont pu être abordées et trouver des réponses grâce à la modélisation informatique et/ou statistique (Germain et al., 2011). Bien que communément utilisée en biologie par le passé, notamment en immunologie, la modélisation n’a trouvé son sens qu’avec l’émergence de l’approche systémique. Au moyen de nouvelles technologies, les modélisateurs ont eu accès à des données riches en information, qui combinées aux connaissances acquises, leur permettent de construire des modèles solides, capables de reproduire et d’expliquer l’émergence de propriétés jusqu’à lors mal comprises.Les différentes populations lymphocytaires interagissant au sein du système immunitaire ainsi que les collections de cellules qui les composent sont elles-mêmes des systèmes complexes dont il est nécessaire d’étudier les comportements. Ainsi, capturer de manière systémique une image représentative de leur composition et de leur topologie permettrait une meilleure compréhension de leur dynamique et pourrait même servir à monitorer le statut physiopathologique des individus (Thomas et al., 2013a).Qu’est-ce qu’un répertoire lymphocytaire ? Un répertoire est défini comme un ensemble d’entités présentant des caractéristiques communes. Ainsi, le répertoire lymphocytaire décrit l’ensemble des lymphocytes d’un individu, que ce soit en termes de populations cellulaires, de clones ou de fonctions. De manière plus abstraite, le concept de répertoire immunitaire a été proposé pour décrire la diversité des lymphocytes impliqués dans le système immunitaire d’un individu dans un contexte physiopathologique donné (Boudinot et al., 2008). Si l’on considère un lymphocyte T capable de reconnaître un peptide antigénique donné, il exprimera un TCR en surface qui déterminera sa spécificité pour cet antigène. L’ensemble des lymphocytes T d’un individu peut ainsi être considéré comme une collection de lymphocytes « presque » tous différents au niveau de leur TCR, ayant chacun une capacité propre à reconnaître un ensemble de peptides antigéniques donnés. Ainsi, le répertoire lymphocytaire disponible à un instant donné conditionne le répertoire des antigènes reconnus. 1) La diversité du répertoire lymphocytaire En 1901, Paul Ehrlich proposait la théorie selon laquelle la réponse immunitaire serait centrée sur l’interaction entre les antigènes et des récepteurs exprimés par les cellules. Cinquante ans plus tard, Niels Jerne (1955) fut le premier à décrire un mécanisme de sélection des anticorps, générés aléatoirement, en fonction de leur affinité pour les antigènes. Cette hypothèse fut développée ensuite par Franck Burnet qui la fit évoluer en ce qui aujourd’hui est considéré comme un paradigme fondamental de l’immunité adaptative : la théorie de la sélection clonale (Burnet, 1962, 1976). Ainsi, Burnet énonce que, suite à l’activation spécifique des lymphocytes B naïfs par un antigène3 , ceux-ci prolifèrent et se différencient en cellules effectrices qui éliminent l’agent pathogène, et en cellules mémoires, sorte de réserves prêtes à agir en cas de seconde réponse immunitaire immédiate, qui permettent de maintenir l’immunité. Du fait de la diversité d’origine et de structure des antigènes que peut rencontrer un organisme, la diversité de son répertoire lymphocytaire se doit d’être d’une ampleur équivalente (Jerne, 1972). Ainsi, si chaque cellule exprime un seul et unique récepteur spécifique, cette théorie implique qu’il faudrait que l’organisme produise autant de lymphocytes que d’antigènes potentiels. Or, les expériences de Karl Landsteiner ayant démontré au début du XIXème siècle qu’il n’était pas possible que l’animal puisse posséder dans son génome « fini » les informations nécessaires pour produire un nombre infini d’anticorps (Cziko, 1997), la théorie de la sélection clonale, bien que reconnue comme cruciale s’avérait incohérente. Finalement, ce paradoxe fut expliqué par S. Tonegawa qui décrivit le mécanisme de recombinaison somatique à l’origine de la diversité des anticorps (1974) puis des TCR (Chien et al., 1984).
Spécificité de la reconnaissance par les récepteurs spécifiques d’antigènes
Si les lymphocytes B et T sont les piliers de la réponse immunitaire adaptative, leurs récepteurs, vecteurs de la reconnaissance antigénique et surtout de sa spécificité, en sont la clé de voûte. Bien que structurellement similaires, ce sont leurs différences qui caractérisent le mieux le rôle de ces deux types récepteurs. Contrairement aux LB qui sécrètent les anticorps pour « attaquer » les agents pathogènes, les récepteurs des LT restent à leur surface et influent sur les voies de signalisation cellulaires. De plus, comme expliqué plus tôt, les récepteurs des LB et LT ont des modes de reconnaissance de l’antigène différents puisque le premier reconnaît la forme native alors que le second ne peut l’identifier que s’il est dénaturé sous forme peptidique et présenté par une molécule de CMH. Toutefois, la différence majeure entre ces deux molécules reste la modulation de leur affinité. En effet, alors que l’affinité des récepteurs des LB connaît une « maturation » par le biais d’hypermutations, générant ainsi des LB de hautes affinités pour leur Ag, celle des TCR pour leur antigène est conditionnée de manière définitive par la séquence de leur CDR3. Toutefois, le principe d’unicité de reconnaissance des TCR énoncé par la théorie de sélection clonale semble improbable. Ainsi, Don Mason, par son concept de dégénérescence de la reconnaissance par le TCR (Mason, 1998), énonce qu’un même TCR doit pouvoir reconnaître différents complexes peptide/CMH pour permettre le large panel de reconnaissance des lymphocytes T et potentiellement la capacité d’une même population clonale à répondre à différents stimulus antigéniques. En 2005, Melvin Cohn a redéfini le principe de dégénérescence de la reconnaissance par le TCR en le distinguant de sa spécificité : « La dégénérescence est un concept essentiellement fondé sur des interactions chimiques alors que la spécificité se traduit par la capacité d’une cellule à répondre biologiquement lors de son interaction avec un épitope, dépendant tout de même des interactions chimiques ». Le terme de polyspécificité, défini plus tard, permet de combiner ces deux aspects : la spécificité de la reconnaissance du récepteur et sa capacité à reconnaître plusieurs ligands (Wucherpfennig et al., 2007). De nombreuses études ont montré la capacité des TCR à reconnaître différents peptides antigéniques que leurs séquences soient grandement homologues ou complétement différentes, qu’ils soient ou non associés au même complexe CMH (Kersh and Allen, 1996; Wilson et al., 2004; revue par Wucherpfennig et al., 2007). Il a également été prouvé qu’un même complexe pCMH peut être reconnu par différents TCR (Pacholczyk et al., 2006; Wong et al., 2007) Don Mason a estimé à 106 le nombre de complexes pCMH pouvant être reconnu par un seul TCR. Cependant, il suppose ici que la reconnaissance des peptides est libre de contraintes ce qui rend cette estimation erronée. En effet, la géométrie adoptée par le TCRαβ en s’amarrant au complexe pCMH va conditionner l’interaction spatiale entre les CDR1 et CDR2 des chaînes α et ß avec le peptide présenté par le CMH, la limitant à un nombre restreint d’acides aminés INTRODUCTION 14 Caractérisation de la diversité du répertoire TCR par modélisation de données de séquençage haut-débit situés au cœur du peptide (Figure 5 – Degauque et al., 2016). Ainsi, la diversité de ces points d’ancrage étant faible, la spécificité de reconnaissance des TCR s’en trouve beaucoup moins forte et le degré de polyspécificité variable en fonction des TCR est possiblement bien plus élevé qu’anticipé (Su and Davis, 2013). De plus, certaines études tendent à montrer que l’étendue du panel de reconnaissance des LT semble être amplifiée par le fait que certains LT peuvent exprimer des TCR différents composés de deux chaînes α différentes (Heath and Miller, 1993; Padovan et al., 1993; Petrie et al., 1993).
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