Interfaces et capteurs pour une chaine de
micro-téléopération
Caractérisation des chaînes de téléopération
Les performances des couplage peuvent être évaluées en termes de transparence et de stabilité. La transparence conditionne la qualité du retour d’effort et la stabilité la sécurité d’utilisation de la chaîne. Ces deux notions sont explicitées dans la suite.
Notion de transparence en haptique
De la même façon qu’une vitre parfaitement transparente n’est pas détectable à l’œil, une interface haptique transparente ne doit pas être détectable par l’utilisateur. Le ressenti d’un utilisateur manipulant un objet avec la chaîne de téléopération doit être le plus proche possible du ressenti qu’il aurait en manipulant directement l’objet. Idéalement, le système de téléopération serait un bâton infiniment rigide et sans masse (figure 1.5)(Hayward et MacLean, 2007). À chaque instant la force appliquée par l’environnement est égale à la force appliquée par la main sur le bâton. L’opérateur sent donc l’objet touché comme si le bâton n’existait pas. En l’absence d’objet, il ne sent aucun effort. De manière analogue, tous les déplacements de l’utilisateur sont reproduits à l’identique. En reprenant le formalisme de la figure 1.5, soit fm, fe les forces et dm, de les déplacements, la transparence est donc ici définie telle que : 1. Chaîne de téléopération 7 Figure 1.5: Télémanipulateur idéalisé (sans masse et infiniment rigide (Hayward et MacLean, 2007)). ∀t : ( fm(t) = fe(t) de(t) = dm(t) Cette définition de la transparence est partagée par (Yokokohji et Yoshikawa, 1994). En revanche (D. A. Lawrence, 1993 ; Hokayem et Spong, 2006) définissent la transparence en utilisant la notion d’impédance. Soit l’impédance côté utilisateur Zm = fm dm˙ et l’impédance environnement Ze = fe d˙ e , la transparence idéale est atteinte pour : Zm = Ze Cette définition utilisant l’impédance présente l’intérêt de s’intégrer dans les formulations usuelles de schémas de commande. Les deux approches se rejoignent dans la définition de la transparence comme l’annulation des dynamiques propres aux systèmes maîtres et esclaves. Ces différentes approches sont abordées plus en détail dans (De Gersem, 2005). En plus du couplage, d’autres facteurs conditionnent la transparence de la chaîne de téléopération complète. Les systèmes maîtres et esclaves sont susceptibles de présenter des défauts qui altèrent la transparence de la chaîne. La transparence de tous les sous-systèmes est donc étudiée pour qualifier la transparence globale du système. La transparence est le premier critère recherché dans la conception de systèmes de téléopération avec retour haptique. Ce critère conditionne la qualité de l’expérience de manipulation du manipulateur. Une manipulation la plus transparente possible s’approche d’un ressenti naturel. Cependant, la transparence est souvent obtenue au détriment d’un deuxième critère de performance : le critère de stabilité.
Stabilité des systèmes utilisés
Le second critère majeur de mesure des performances du couplage est la stabilité. C’est une condition nécessaire pour qu’un système de téléopération soit utilisable. Un système instable risquerait d’entrer en oscillations incontrôlées et pourrait blesser l’utilisateur ou abîmer les objets manipulés. Deux approches existent pour étudier la stabilité d’un système de téléopération : les critères de stabilité et la passivité.
Les critères de stabilité
La définition de la stabilité utilisée est celle «entrée bornée/sortie bornée» (EBSB) : Définition 1. Un système est dit stable au sens EBSB si toute entrée bornée produit une sortie qui tend vers une limite finie lorsque le temps est infiniment grand. Le cas des systèmes continus et discrets sont traités dans les paragraphes suivants. Plus de précisions sont données dans (Ostertag, 2004) pour le cas continu et dans (Ogata, 1995) pour le cas discret. Systèmes continus Pour qu’un système asservis soit stable au sens EBSB, il faut qu’il vérifie le théorème suivant : Théorème 1 (temporel). Un système linéaire invariant à temps continu dont la fonction de transfert est rationnelle et strictement propre est stable EBSB si et seulement si sa réponse impulsionnelle est absolument intégrable. En d’autres termes, sa norme L 1 existe : L1 = Z ∞ −∞ |h(t)| dt = khk1 < ∞ (1.1) h représentant le système, t le temps. Ce théorème utilise un raisonnement temporel ; un autre théorème raisonne dans le domaine fréquentiel : Théorème 2 (fréquentiel). Soit le système linéaire invariant à temps continu défini par la matrice de fonctions de transfert rationnelles irréductibles G(p). Le système est stable EBSB si et seulement si tous les pôles de G(p) sont à partie réelle strictement négative. Dans le cadre de la téléopération, cette condition doit être vérifiée sur la fonction de transfert de la chaîne complète. En pratique, les chaînes de téléopération modélisées comme des systèmes continus sont rares. L’utilisation de microcontrôleurs impose une modélisation en système discret. Systèmes discrets L’utilisation de systèmes informatiques dans les actionneurs, capteurs ou organes de commande impose un échantillonnage du temps. Cette discrétisation introduit des retards. Les schémas de commande doivent prendre en compte cette spécificité et leur stabilité doit être étudiée à l’aide de critères propres aux systèmes discrets. De manière équivalente au cas continu, pour qu’un système discret asservi soit stable au sens EBSB, il faut qu’il vérifie le théorème suivant : Théorème 3 (temporel). En temps discret, un système est stable EBSB si et seulement si sa réponse impulsionnelle est absolument sommable. 1. Chaîne de téléopération 9 En d’autres termes, sa norme l1 existe : l1 = X∞ n=−∞ |h[n]| = khk1 < ∞ (1.2) n représentant les échantillons de temps. Le raisonnement dans le domaine fréquentiel est donné par le théorème suivant : Théorème 4 (fréquentiel). Soit le système linéaire invariant à temps discret défini par la matrice de fonctions de transfert rationnelles irréductibles G(z). Le système est stable EBSB si et seulement si tous les pôles de G(z) ont un module strictement inférieur à 1. Pour prouver la stabilité d’une chaîne de téléopération, ce théorème est utilisé sur la fonction de transfert de la chaîne. D’autres critères sont utilisés pour vérifier la stabilité d’un système. Les plus utilisés sont le critère de Nyquist (Nyquist, 1932) et du revers, appliqués sur la fonction de transfert du système en boucle ouverte. Ces critères peuvent être appliqués directement dans le cas continu. Dans le cas discret il faut préalablement appliquer une transformation bilinéaire z = 2+ωTe 2−ωTe , où z est une variable discrète, Te est la période d’échantillonnage et ω est la pulsation. D’autres critères algébriques, comme celui de Routh-Hurwitz (Routh, 1877 ; Hurwitz, 1895) pour le cas continu ou de Jury (Jury, 1962) dans le cas discret, peuvent être exploités. Cette approche donne des conditions nécessaires et suffisantes de stabilité. Les méthodes présentées ci-dessus nécessitent néanmoins la connaissance du modèle des interactions entre l’outil et l’environnement. Ce modèle se révèle parfois délicat du fait de la complexité des interactions environnementales. Une autre approche propose d’utiliser les hypothèses de passivité pour démontrer la stabilité d’un système.
La passivité
La seconde approche pour garantir la stabilité d’un système est la passivité. Un système est passif si, à tout moment, l’énergie fournie par le système est toujours inférieure à l’énergie apportée à ce même système. Le système ne produit donc pas d’énergie. À tout instant t, l’énergie sortant du système doit être inférieure (ou égale) à la somme de l’énergie entrant et de l’énergie initiale du système. La passivité peut s’appliquer sans aucune connaissance de l’environnement avec l’hypothèse que celui-ci est passif. Pour l’utilisateur, bien que l’opérateur agisse comme une source d’énergie, notre système biomécanique et notre contrôle moteur sont tels qu’une main est passive dans les hautes fréquences, à partir de 10 Hz(Millet, 2009). Des fréquences plus élevées sont atteintes pour les roulements de tambour avec des oscillations jusqu’à 30 Hz. Ces fréquences sont atteinte avec une modulation de l’impédance des muscles (Hajian, Sanchez et Howe, 1997). L’approche de recherche de passivité propose des conditions de stabilité suffisantes mais qui ne sont pas forcément nécessaires. Il existe des solutions pour rendre moins strictes ces conditions de stabilité. Dans l’une de ces solutions, l’étude de la stabilité se fait en termes de stabilité inconditionnelle dont une condition nécessaire et suffisante est donnée par le critère de Llewelyn (Llewellyn, 1952) : 10 Chapitre 1. Téléopération pour le micro-monde Théorème 5. Un système représenté par la matrice d’immittance P= » p11 p12 p21 p22 # (impédance, admittance ou hybride) est inconditionnellement stable si et seulement si les conditions suivantes sont vérifiées (Micaelli, 2002) : c1 : Re(p11) ≥ 0 (1.3) c2 : Re(p22) ≥ 0 (1.4) c3 : 2Re(p11)Re(p22) − |p12p21| − Re(p12p21) ≥ 0 (1.5) Cette approche suffit pour démontrer la stabilité d’une chaîne de téléopération. Aucune hypothèse n’est posée sur l’environnement et l’opérateur excepté leurs passivités. Un résultat important de la stabilité inconditionnelle en mode couplé est la propriété corollaire suivante : Corollaire 1. La mise en cascade de plusieurs quadripôles «chaîne» qui sont «inconditionnellement stables en mode couplé» forme un nouveau quadripôle «chaîne» qui est «inconditionnellement stable en mode couplé» (Micaelli, 2002) Avec cette propriété, le calcul de la stabilité d’une chaîne est décomposé en calculs des stabilités des sous-éléments. Avec ces hypothèses, il est possible de concevoir un élément de chaîne stable et de l’utiliser dans une autre chaîne de téléopération sans compromettre la stabilité. Les propriétés de stabilité inconditionnelle en mode couplé simplifient la démonstration de la stabilité des chaînes de téléopération. Ces hypothèses sont utilisées dans ce manuscrit pour démontrer la stabilité des chaînes de téléopération avec une étude des sous-systèmes.
Table des figures |