Modélisation des sursauts gamma et de leurs
rémanences à l’ère des satellites Swift et Fermi
La surprenante découverte des satellites VELA
La découverte des sursauts gamma s’est faite dans le cadre d’un projet à vocation non astrophysique : le programme américain de veille militaire VELA 2 . Le but de cette mission était de contrôler la mise en application du traité d’interdiction partielle des essais nucléaires, signé le 5 août 63 à Moscou. Ce traité intervient peu de temps après la crise de Cuba – début de la « détente » – et fut immédiatemen ratifié par les États-Unis, l’URSS et le Royaume-Uni. Il prévoyait l’interdiction de tout essai nucléaire dans l’atmosphère, dans l’espace ou sous l’eau – seuls les essais sous-terrains restaient autorisés. Le dispositif expérimental de VELA reposait sur une constellation de satellites (12 au total) équipés de détecteurs X et gamma, la première paire (voir Fig. 1.2) ayant été lancée le 17 octobre 63. Le réseau ainsi formé permettait une couverture complète de l’environnement terrestre (aussi bien vers la Terre que vers l’espace), mais surtout rendait possible la localisation d’un évènement. En effet, le temps d’arrivée des photons au niveau des différents satellites, espacés les uns des autres par des dizaines de milliers de kilomètres, permettait de contraindre la direction de la source par méthode de triangulation (précision de l’ordre de la dizaine de degrés). Les données étant toujours classifiées, on ne se sait pas si VELA a effectivement détecté des essais nucléaires – la France n’avait pas signé le traité et poursuivait ses campagnes d’essais atmosphériques, au Sahara, puis en Polynésie jusqu’en 74. Mais le 2 juillet 67, un flash intense et très bref (quelques secondes) de photons gamma est détecté en provenance de l’espace, sans aucune similitude avec la signature attendue d’un essai nucléaire (la courbe de lumière est représentée Fig. 1.3). D’autres évènements semblables seront détectés par VELA (73 flashs sur environ 10 ans d’activité), confirmant l’origine naturelle de ces évènements – appelés par la suite gamma-ray bursts ; sursauts gamma en français. Les localisations étaient également suffisamment précises pour pouvoir exclure toute origine terrestre, lunaire ou solaire. La découverte n’est annoncée qu’en 73 par Ray Klebesadel et son équipe du laboratoire de Los Alamos, et publiée dans un article de l’Astrophysical Journal intitulé « Observations of Gamma-Ray Bursts of Cosmic Origin » (Klebesadel et al. 73).
Discussion sur l’échelle de distance des sursauts
Une origine galactique semble l’hypothèse la plus raisonnable. La découverte des sursauts gamma, publiée en 73, suscite rapidement l’intérêt de la communauté scientifique, avec le lancement d’autres satellites gamma (cette fois-ci, à vocation astrophysique), et une grande effervescence quant à l’interprétation théorique de ces phénomènes. Jusqu’en 97, la distance des sursauts restait inconnue, ce qui donna lieu au développement de deux grandes familles de modèles : ceux qui plaçaient les sursauts au sein de notre galaxie et ceux qui les rejetaient à distance cosmologique. Jusqu’au début des années 90, les modèles galactiques restaient les plus étudiés, car l’hypothèse d’une origine cosmologique impliquait une énergie totale rayonnée colossale 3 . La plupart des scénarios galactiques reposaient sur des phénomènes explosifs ayant lieu à la surface d’étoiles à neutrons, inspirés des modèles de sursauts X produits par des binaires accrétantes. Ce type de scénario était compatible avec les principales caractéristiques connues à cette époque : (i) une durée brève et des échelles de temps pouvant atteindre 10 ms, en accord avec la petite dimension de la source (ii) les flux observés, étaient bien reproduits par les distances et les énergies invoquées (iii) la détection de raies cyclotron dans le spectre de certains sursauts. Ce dernier point restait controversé mais semblait être clairement confirmé à la fin des années 80 par les résultats de la mission japonaise Ginga. L’interprétation des raies d’absorption détectées entre 10 et 100 keV comme une signature du processus cyclotron nécessitait des champs magnétiques de l’ordre de 1013 G, et représentait un argument fort en faveur d’évènements ayant lieu à la surface d’étoiles à neutrons magnétisées. Par contre, les différentes missions semblaient également indiquer que les sursauts se répartissaient de manière isotrope sur le ciel. Cette caractéristique plaidait plutôt en faveur des modèles cosmologiques, et conduit B. Paczynski à défendre l’idée d’une origine cosmologique, dès 86. Cependant l’isotropie restait compatible avec les modèles galactiques, en supposant que seuls les sursauts produits par les étoiles à neutrons suffisamment proches – à une distance inférieure à l’épaisseur du disque galactique – pouvaient être détectés (voir Fig. 1.5).
BeppoSAX : premières détections de contreparties en optique
Jusqu’à présent les développements théoriques se basaient sur des observations obtenues uniquement dans le domaine gamma. La difficulté à localiser précisément et rapidement un sursaut gamma, compliquait grandement la détection d’hypothétiques contreparties à plus basse énergie – du domaine X au domaine radio. Une localisation difficile. Une première méthode de localisation – d’abord utilisée par VELA – consistait à collecter les différentes données d’un même sursaut, observé par plusieurs satellites. Le décalage temporel dans la réception du signal permettait de contraindre la direction de la source par simple triangulation. Deux satellites permettent de restreindre le domaine admissible à un anneau sur le ciel. Un troisième satellite donne un second anneau, les positions possibles de la source étant alors restreintes à deux points (voir l’illustration Fig. 1.7). Enfin un quatrième satellite permet de lever toute dégénérescence, en éliminant l’un des deux points restants. Les différents satellites mis à contribution se regroupent au sein du programme IPN (InterPlanetary Network) 6 . Suivant la longueur des lignes de base reliant les satellites, cette stratégie peut fournir des localisations très précises (parfois de l’ordre de la seconde d’arc). Néanmoins elle a comme désavantage de ne pouvoir s’affranchir d’un long délai d’attente (le temps de collecter toutes données), délivrant une mesure, au mieux, quelques jours après la détection du sursaut. Une seconde méthode de localisation – utilisée par BATSE – consistait à disposer plusieurs capteurs autour d’un même satellite, mais avec des orientations différentes. Le différentiel de flux reçu au niveau des différents détecteurs permettait alors de contraindre la direction de la source. Cette méthode est plus rapide, mais a une bien moindre précision, de l’ordre du degré. Une si grande boîte d’erreur rendait très difficile la recherche d’une contre-partie dans le domaine optique ou radio.
Table des matières
s
I. Introduction
Les sursauts gamma : les plus puissantes explosions de l’Univers
1. Contexte général – contraintes observationnelles
1.1. Contexte
1.1.1. Que sont les sursauts gamma ? .
1.1.2. Un cadre théorique général
1.1.3. Pourquoi étudier les sursauts gamma ?
1.1.4. Thèmes de recherche
1.2. Historique : de la découverte aux premières mesures de distance
1.2.1. La surprenante découverte des satellites VELA 6
1.2.2. Discussion sur l’échelle de distance des sursauts 7
1.2.3. BeppoSAX : premières détections de contreparties en optique
1.3. L’ère actuelle : une approche multi-longueurs d’onde
1.3.1. Observations depuis l’espace
1.3.2. L’émission gamma de haute énergie
1.3.3. Suivi multi-longueurs d’ondes – Chaîne instrumentale
1.3.4. Vers une astronomie multi-messagers
1.4. Bilan des observations
1.4.1. Émission gamma
1.4.2. Émission rémanente
1.4.3. Vers l’identification des galaxies hôtes et des progéniteurs
1.4.4. Le taux de sursauts
1.5. Principales contraintes observationnelles : implications théoriques
1.5.1. Principales contraintes observationnelles
1.5.2. Des évènements liés à la formation d’objets compacts.
1.5.3. Nécessité de vitesses ultra-relativistes – problème de compacité
1.5.4. Forte suspicion de jet
2. Discussion autour du scénario standard
2.1. Schéma global
2.2. Bilan énergétique global – efficacité
2.3. Moteur central – Ejection relativiste
2.3.1. Progéniteur
2.3.2. Problème de la pollution baryonique
2.3.3. Annihilation νν¯
2.3.4. Médiation magnétique
2.4. Accélération de l’écoulement – Rayon de transparence
2.4.1. Rayon photosphérique
2.4.2. Accélération thermique
2.4.3. Accélération magnétique
2.5. Émission prompte
2.5.1. Contraction relativiste de l’information
2.5.2. Chocs internes
2.5.3. Reconnexion magnétique
2.5.4. Emission photosphérique
2.6. Émission rémanente
2.6.1. L’environnement extérieur
2.6.2. Dynamique du freinage
2.6.3. Modèle du choc avant
2.6.4. Modèle du choc en retour
2.7. Les chocs non collisionnels : une physique complexe
3. Un modèle global des différentes phases d’émission des sursauts gamma
3.1. Dynamique des chocs internes : modèle à « couches solides »
3.1.1. Différents référentiels
3.1.2. Principe du modèle
3.1.3. Calcul de l’évolution dynamique
3.1.4. Exemple simple : correspondance entre le modèle et la situation physique
3.1.5. Suivi des ondes de choc
3.1.6. Efficacité dynamique
3.2. Freinage par le milieu extérieur
3.2.1. Contexte physique
3.2.2. Prise en compte du freinage dans le modèle à couches solides
3.2.3. Exemple simple de simulation avec prise en compte du milieu extérieur
3.2.4. Structure de milieu extérieur complexe .
3.3. Conditions physiques locales dans les régions choquées 66
3.3.1. Facteur de Lorentz, masse volumique et densité d’énergie . 66
3.3.2. Redistribution de l’énergie dissipée . 68
3.4. Validité du modèle dynamique : avantages et limitations . 69
3.4.1. Validité du modèle dynamique . 69
3.4.2. Limitations sur l’estimation de la densité de matière . 69
3.5. Processus radiatifs dans le référentiel comobile 70
3.5.1. Efficacité radiative 70
3.5.2. Spectre phénoménologique
3.5.3. Rayonnement synchrotron
3.5.4. Diffusion Compton inverse 74
3.5.5. Rayonnement thermique 75
3.5.6. Annihilation γγ
3.5.7. Suivi des couches de fluide choqué pendant la rémanence .
3.6. Rayonnement observé : effets relativistes et géométrie 78
3.6.1. Une région observable limitée pendant l’émission prompte . 78
3.6.2. Emission de haute latitude 79
3.6.3. Prise en compte de la géométrie conique du jet 80
3.6.4. Cas particulier de l’émission photosphérique . 81
II. L’émission prompte : comprendre la physique du jet relativiste 83
4. Emission gamma à haute énergie : effets de l’annihilation γγ 85
4.1. Contexte 86
4.2. Contrainte de compacité – un facteur de Lorentz minimum revu à la baisse 86
4.2.1. Formulation générale de τγγ 87
4.2.2. Une première approche simplifiée
4.2.3. Une nouvelle approche plus réaliste . 89
4.2.4. Des contraintes sur Γmin revues à la baisse 90
4.3. Signatures observationnelles de l’annihilation γγ 91
4.3.1. Rayonnement des paires produites et éventuelles cascades . 91
4.3.2. Forme spectrale de la coupure γγ 93
4.3.3. Une composante de haute énergie retardée à l’allumage 94
4.3.4. Suppression des courtes échelles de temps à haute énergie . 95
4.4. Conclusions et perspectives 97
4.4.1. Synthèse des principaux résultats 97
4.4.2. Perspectives . 97
4.5. Pub. I : Do Fermi LAT obs. imply very large Lorentz factors in GRB outflows ? 98
5. Comprendre la diversité de l’émission prompte optique des sursauts. 1
5.1. Une riche diversité dans l’émission optique des sursauts . 1
5.1.1. Une émission optique prompte difficile à détecter . 1
5.1.2. Le premier scénario théorique considéré : le choc en retour . 1
5.1.3. Variabilité – une origine interne ou externe ? 1
5.1.4. Intensité – des sursauts optiquement faibles et d’autres optiquement brillants . 1
5.2. Emission optique faible : la contrepartie optique de l’émission prompte gamma 1
5.2.1. Effet des cassures spectrales νc et νa 1
5.2.2. Exploration systématique de l’espace des paramètres des chocs internes 125
5.2.3. Propriétés temporelles comparées des émissions optique et gamma 125
5.2.4. Modélisation détaillée de GRB 04A 126
5.3. Comment expliquer une émission optique brillante ? 129
5.3.1. Différentes interprétations déjà proposées 129
5.3.2. Signature de chocs internes peu violents dans un écoulement très variable 130
5.4. Conclusion et perspectives 133
5.4.1. Synthèse des principaux résultats 133
5.4.2. Perspectives . 133
5.5. Pub. II : A detailed spectral study of GRB 04A and its host galaxy 133
5.6. Pub. III : GRB prompt optical emission from internal shocks 145
6. A la recherche de l’émission thermique 159
6.1. Où est l’émission thermique ? 160
6.1.1. Accélération thermique du jet : émission photosphérique brillante 160
6.1.2. Des détections marginales 160
6.1.3. Alternatives théoriques pour éviter une composante thermique brillante 163
6.2. Emission thermique d’un écoulement magnétisé 164
6.3. Discussion & conclusions 165
6.3.1. Contraintes sur le contenu thermique 165
6.3.2. Chocs internes : évolution temporelle de la composante photosphérique 167
6.3.3. Révision des pentes α pour la composante non thermique . 167
6.4. Perspectives 168
6.5. Pub. IV : Modeling the prompt thermal emission in Gamma-Ray Bursts 168
7. La transition vers la rémanence 179
7.1. Phase de décroissance rapide en X : une contribution de haute latitude ? 0
7.1.1. Une émission d’origine interne . 0
7.1.2. Une contribution de haute latitude ? 0
7.2. « émission de haute latitude » dans les différents modèles de dissipation dans le jet 0
7.2.1. Une contrainte forte sur le rayon d’émission . 0
7.2.2. Chocs internes 2
7.2.3. Emission photosphérique 2
7.2.4. Reconnexion magnétique 4
7.3. Conclusion & Perspectives 4
7.4. Pub. V : Accounting for the XRT early steep decay in different GRB models 5
III. La rémanence : comprendre la décélération du jet par le milieu extérieur 1
8. L’origine physique de la rémanence : le modèle alternatif du choc en retour 3
8.1. Modèle du choc en retour : principe et motivations . 4
8.2. Un choc en retour de longue durée
8.3. Un choc avant radiativement inefficace ?
8.3.1. Deux chocs de nature bien différente 4
8.3.2. Un choc en retour prédominant – contraintes sur la microphysique 5
8.4. Conclusion 6
9. Diversité phénoménologique de la rémanence précoce – choc avant ou choc en retour 7
9.1. Rémanence en X : la phase précoce de plateau 8
9.1.1. Par le choc avant 8
9.1.2. Par le choc en retour 9
9.2. Rémanence en X : comportements particuliers après le plateau 0
9.2.1. Impossibilité d’expliquer ces comportements avec le choc avant 1
9.2.2. Un comportement particulier du choc en retour ? .
9.2.3. Une activité interne prolongée ?
9.3. Variabilité de la rémanence
9.4. Rémanence dans le domaine optique
9.4.1. Evolutions chromatiques de la rémanence
9.4.2. Transition entre l’émission prompte et la rémanence dans le domaine optique
9.5. Conclusions et perspectives
10.Cas particuliers de sursauts – Comment éteindre et rallumer la rémanence ?
10.1. GRB 0504 – Comment éteindre la rémanence ?
10.1.1. Interprétation de GRB 0504 par le modèle du choc avant
10.1.2. Interprétation de GRB 0504 par le modèle du choc en retour 3
10.1.3. Autres possibilités
10.2. Pub. VI : Was the “naked burst” GRB 0504 really naked ?
10.3. GRB 080503 – Comment rallumer la rémanence ?
10.3.1. Hypothèses sur la structure de l’éjecta .
10.3.2. Scénario du choc rafraîchi
10.3.3. Rencontre avec un grumeau de surdensité
10.4. Pub. VII : On the origin of the late rebrightening in GRB 080503
10.5. Conclusions & perspectives
11.Les flares – un lien entre l’émission prompte et la rémanence ?
11.1. Une activité tardive du moteur central ?
11.2. Les flares – le choc en retour traversant l’éjecta structuré par les chocs internes ?
11.2.1. Surdensités de matière produites par les chocs internes
11.2.2. Une corrélation tobs − ∆tobs naturelle
11.2.3. Nécessité d’une émission anisotrope dans le référentiel comobile
11.2.4. Une corrélation entre la variabilité prompte et le nombre de flares ?
11.3. Conclusions & perspectives
Conclusions & perspectives
Bibliographie
Annexes
A. Rayon photosphérique d’un écoulement relativiste
B. Rayon de décélération par le milieu extérieur
C. Algorithme pour l’identification des ondes de choc
D. Facteur de Lorentz γm des électrons distribués en loi de puissance
E. Energie de coupure associée à l’auto-absorption synchrotron
F. Expression du flux émis par un flash
F.1. Cas d’un flash sphérique
F.2. Correction géométrique dans le cas d’un double jet conique
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