Modélisation de la qualité du biogaz produit par un
fermenteur méthanogène
Les défis du Développement Durable
Le siècle dernier a connu un accroissement démographique exceptionnel ; la population a été multipliée par six, et au rythme de croissance actuelle, les prévisionnistes de l’ONU tablent sur un doublement de la population mondiale d’ici à 2050. Cet essor démographique s’est accompagné d’un fort développement économique qui, faute d’une gestion réfléchie des ressources, a marqué durablement l’environnement. Les effets des activités humaines sont visibles à plusieurs niveaux ; épuisement des ressources naturelles, érosion de la biodiversité, augmentation de la pollution, réchauffement climatique… La consommation d’eau pour les usages industriels est en constante augmentation depuis une cinquantaine d’année, atteignant actuellement 20% des prélèvements. L’agriculture reste le premier consommateur d’eau puisqu’elle représente 69% des prélèvements effectués. Bien que l’eau soit essentielle à la vie et au développement (Gleick, 1996), de grandes disparités existent dans l’utilisation de cette ressource et 12% de la population mondiale consomme à elle seule 80% de l’eau utilisée annuellement. La situation est telle que l’on n’hésite plus à employer le mot de guerre pour désigner la compétition pour accéder aux ressources en eau (Barbier, 2004). On comprend d’autant mieux cette tension que les pays développés, qui ont largement participé à l’épuisement et à la pollution des ressources naturelles, plaident désormais pour une gestion plus rationnelle, ce qui avec les modes de production actuels constituerait un frein à la croissance des pays émergents. Cette crise devrait encore s’accentuer dans les années à venir puisque les pays en voie de développement, qui dans une large proportion sont déjà les plus sé- 2 INTRODUCTION vèrement touchés par le manque d’eau salubre, devraient connaître les accroissements démographiques les plus prononcés ; la part de la population mondiale n’ayant pas durablement accès à l’eau augmentera en conséquence, creusant d’autant plus les inégalités. L’agriculture et l’industrie génèrent des rejets nocifs pour l’environnement. Pendant longtemps les effluents de ces deux secteurs ont été rejetés dans la nature sans réelle précaution ; les déchets des industries agro-alimentaires (IAA) étaient considérés comme peu polluants en raison de leur caractère naturel (matière organique). Cependant leur forte charge organique présente un réel danger pour l’environnement, puisque leur dégradation implique la consommation de l’oxygène dissous dans l’eau, limitant ainsi la croissance des autres organismes présents dans le milieu. La pollution agricole a détérioré la qualité des sols, des cours d’eau et des nappes phréatiques. Cette pollution est attribuée à l’utilisation massive d’engrais et de produits phytosanitaires, ainsi qu’aux déjections animales des élevages intensifs. Ces rejets, fortement chargés en azote et phosphore, favorisent l’eutrophisation des cours d’eau lorsqu’ils sont transportés par les eaux de pluie vers les milieux aquatiques environnants. Les problématiques de l’énergie présentent de nombreuses similitudes avec celles de l’eau ; inégale répartition et déplétion des ressources, disparités régionales des besoins, impacts environnementaux… Malgré les chocs pétroliers successifs, les énergies fossiles (hydrocarbures [pétrole et gaz naturel] et charbon) fournissaient encore 83% de l’énergie primaire à l’échelle mondiale en 2005, ce qui ne représente qu’une baisse de 3,6% par rapport à 1973 (IEA, 2007), et 63,5% de l’électricité est produite à partir des énergies fossiles (Anderson et al., 2004). La consommation totale d’énergie a très fortement augmenté (+70%) entre 1973 et 2005 et l’on prévoit une nouvelle augmentation de 60% de la demande énergétique d’ici 2030. Au vu des politiques énergétiques actuellement mises en place, l’Agence Internationale de l’Energie (IEA, International Energy Agency) prévoit que les combustibles fossiles resteront la principale source énergétique, fournissant encore 81% de l’énergie à l’horizon 2030. Les ressources en énergies fossiles sont pourtant loin d’être illimitées et depuis le premier choc pétrolier l’idée d’un épuisement des réserves mondiales d’hydrocarbures s’est ancrée dans les esprits. Au rythme de consommation actuel, l’ASPO (Association for the Study of Peak Oil and Gas, 2002) estime que les ressources mondiales seront épuisées bien avant la fin de ce siècle. Cette diminution des hydrocarbures disponibles s’accompagne naturellement d’une forte augmentation du prix de l’essence, qui, compte tenu de la place des hydrocarbures dans l’économie mondiale, se répercute sur le prix des matières premières et de tous les produits manufacturés. La forte demande énergétique des nouvelles puissances économiques (Chine, Inde,..) favorise le maintien de prix élevés. Le secteur des transports dont la part dans la consommation de produits pétroliers s’élevait à 60% en 2005 devrait être le premier touché par le manque d’hydrocarbures. Une première réponse pour faire face à la pénurie annoncée en énergies fossiles a été d’intensifier la recherche de nouveaux gisements. L’US Geological Survey (USGS World Energy Assessment Team, 2000) estime ainsi que les réserves d’hydrocarbures à découvrir sont au moins aussi importantes que les réserves avérées. Cependant les réserves pétrolières sont situées aux deux tiers au Moyen-Orient entraînant de fait une dépendance des pays consommateurs vis-à-vis de cette région. Les grandes économies 3 qui reposent principalement sur le « tout pétrole » ont donc intérêt à développer des politiques promouvant l’efficacité énergétique et favorisant la production domestique d’énergie pour garantir la sécurité de leurs approvisionnements en énergie. Au delà des considérations économiques, l’exploitation de nouveaux gisements est loin d’être pérenne et ne prend pas en compte l’impact environnemental de l’usage des combustibles fossiles. L’utilisation des énergies fossiles est responsable de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES) tels que le dioxyde de carbone (CO2) et les oxydes d’azote (NOx) qui participent au réchauffement climatique. La comparaison des relevés actuels de ces émissions avec les mesures effectuées dans les carottes glacières est sans appel, et les stigmates liés aux activités humaines sont évidents ; augmentation de la température moyenne de surface de la mer et de la température moyenne atmosphérique, acidification des océans et augmentation du niveau de la mer, réduction de la couverture glacière,… (Intergovernmental Panel on Climate Change, 2007). Ces dernières années ont vu une succession d’épisodes climatiques « exceptionnels » (vagues de chaleur, inondations, tempêtes,…) qui ont marqué les esprits. L’épuisement des ressources naturelles et les effets tangibles du dérèglement climatique ont fait prendre conscience de la nécessité d’inclure une dimension environnementale dans le modèle de croissance des pays développés, basé uniquement sur des critères économiques. En 1992, lors du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro, l’adoption du programme 21 (Action 21) consacra le concept de Développement Durable. Selon la définition donnée dans le Rapport Brundtland (1987), « Le Développement Durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. »
L’enjeu des énergies renouvelables “Nous n’héritons pas de la Terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants.” Antoine de Saint Exupéry. Ecrivain et Aviateur. 1900 – 1944. Le terme énergie renouvelable (ER) désigne une source d’énergie dont le renouvellement est suffisamment rapide pour être inépuisable à l’échelle de temps humaine. Les atouts des énergies renouvelables sont multiples ; d’une part elles contribuent à accroître l’autonomie énergétique et la sécurité des approvisionnements en énergie en fournissant des moyens de production locale, et d’autre part elles ont un effet positif sur l’effet de serre puisqu’elles se substituent aux énergies fossiles et limitent donc l’augmentation des émissions de GES. L’ADEME (Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) estime que les ER pourraient contribuer à un tiers de la réduction des émissions de GES que la France doit réaliser pour satisfaire aux objectifs du protocole de Kyoto. Le concept d’énergies renouvelables est à différencier de celui d’énergies propres qui ne prend en considération que les émissions de CO2 et la quantité de déchets générés. Il existe une controverse sur les énergies hydro-électrique et nucléaire qui ne sont pas systématiquement classées dans la catégorie des énergies renouvelables, certains mettant en avant les nuisances écologiques causées par les grands barrages ou l’épineux problème des déchets nucléaires. Le rapport Observ’ER (2006) considère comme énergies renouvelables les sources suivantes : – l’éolien, – le photovoltaïque, – le solaire thermique, – la petite hydraulique, – la biomasse solide, – la géothermie, – l’héliothermodynamique, – l’énergie marine, – les biocarburants, – le biogaz. L’Union Européenne a défini des objectifs chiffrés qu’elle a consignés dans un rapport intitulé le Livre Blanc (Communication de la Comission Européenne, 1999). Le but est de doubler par rapport au niveau de 1997 la part des sources d’énergies renouvelables dans la consommation totale d’énergie primaire à l’intérieure de l’Union, la portant ainsi à 12%. Des directives européennes sont par la suite 5 venues compléter ces objectifs. La directive Electricité Renouvelable (Parlement Européen et le Conseil de l’Union Européenne, 2001) fixe comme objectif de produire 21% de l’électricité à partir d’énergies renouvelables à l’horizon 2010. La directive sur les biocarburants (Parlement Européen et le Conseil de l’Union Européenne, 2003) impose aux Etats membres qu’à partir de 2005 les biocarburants représentent une part minimale des carburants vendus sur leur territoire. Pour 2005 la valeur choisie comme référence est 2%, cette part devant être portée à 5,75% en 2010. L’ambition est d’amener la part des biocarburants à 20% de la consommation européenne en carburant d’ici 2020. Malgré le développement très encourageant de l’éolien et du photovoltaïque qui devraient remplir leurs objectifs fixés par le Livre Blanc (Observ’ER, 2006), les autres énergies renouvelables peinent à s’imposer. La petite hydraulique (définie par des puissances inférieure à 10MW) est victime du déficit pluviométrique enregistré en Europe, et malgré une augmentation de la capacité de production, la production d’électricité a baissé de 3,4% de 2004 à 2005. De même, si les objectifs de production de chaleur par géothermie ont déjà été dépassés, la production d’électricité par cette voie devrait rester inférieure à ce qui est visé dans le Livre Blanc. La valorisation de la biomasse renouvelable est l’une des voies les plus importantes pour lutter contre le réchauffement climatique. Gosh (1997) estime que la valorisation des déchets organiques et des effluents industriels permettrait une réduction de 20% du réchauffement climatique. On inclut sous l’appellation biomasse une grande variété de matériaux : – déchets verts de l’agriculture et de la sylviculture, – fraction fermentescible des ordures ménagères brutes, – bois, – cultures énergétique agricoles, – rejets d’élevages, – rejets des industries agro-alimentaires (IAA), papeteries, tanneries,… La biomasse peut être valorisée comme matière première dans l’industrie de la chimie où elle sert à produire des tensioactifs, résines, huiles essentielles,… (AND Internationnal, 2007). Un autre débouché est sa combustion directe pour produire de la chaleur et de l’électricité dans des chaudières ou des machines de cogénération, mais elle peut aussi au moyen de traitements biologiques (méthanisation) ou thermochimiques (transestérification, pyrolyse et gazéification) servir à produire des biocarburants comme le biodiesel ou le biogaz. L’augmentation du prix du baril de pétrole (+254% en 10 ans) a favorisé le développement de la production de biodiesel à partir de cultures dédiées (colza, tournesol, betteraves,…) pour remplacer les carburants conventionnels. Les limites de cette solution résident dans l’utilisation d’engrais et de produits phytosanitaires pour garantir de bons rendements aux récoltes. Une solution alternative est la production d’huile végétale à partir de micro-algues ; un avantage de cette technique est le rendement à l’hectare nettement supérieur des micro-algues en comparaison de celui des oléagineux terrestres comme le colza ou le tournesol. Ce mode de production autorise donc un gain de place, ce qui permet de libérer des surfaces cultivables (Chisti, 2007). Un autre mode de valorisation de la biomasse repose sur sa décomposition, dans un environnement 6 INTRODUCTION dépourvu d’oxygène, qui conduit à la formation d’un biogaz, composé majoritairement de méthane (40- 70%) et de dioxyde de carbone. Ce phénomène naturel, qui peut être observé dans les décharges d’ordures ménagères ou les marais, est appelé digestion anaérobie ou fermentation méthanogène. Il tire profit de la capacité de certains microorganismes à dégrader la matière organique en l’absence d’oxygène. Cette décomposition peut également s’effectuer de manière contrôlée dans des fermenteurs anaérobies. Le biogaz produit peut alors se substituer au gaz naturel pour de nombreuses applications : – production de chaleur sous forme d’eau chaude ou de vapeur, – production d’air chaud pour le séchage, – production d’électricité par turbines ou moteurs à gaz, – production combinée d’électricité et de chaleur par cogénération, – utilisation comme carburant automobile. En 2005, les pays de l’Union Européenne ont produit 4,7 Mtep (million de tonnes équivalent pétrole) de biogaz sur un gisement estimé à 20 Mtep (Observ’Er, 2005). Les principales sources exploitées sont le biogaz de décharges (2962 ktep), les stations d’épuration (898 ktep) et les autres gisements (855,6 ktep) comme le biogaz agricole, les unités de méthanisation des déchets municipaux ou les unités centralisées de co-digestion (Observ’ER, 2006). Le Royaume-Uni, qui était le premier producteur de biogaz en Europe avec 1600 ktep, a été rattrapé par l’Allemagne et devrait être rapidement dépassé. La France avec une production évaluée à 209 ktep arrive en 5e position, alors que son potentiel valorisable serait proche de 3250 ktep. Plusieurs raisons peuvent expliquer cet écart et le retard pris sur l’Allemagne et le Royaume-Uni. En premier lieu, un tri sélectif mieux organisé permet à ces deux pays de constituer des gisements de matières organiques de bonne qualité pour produire du biogaz. En France une grande partie des déchets urbains sont directement incinérés alors qu’il serait possible de les méthaniser. A cela s’ajoute le fait qu’une grande proportion du biogaz produit dans les décharges n’est pas captée et est donc perdue. Sur le biogaz effectivement capté seul un quart est réellement valorisé, le reste étant brûlé en torchères.
Le potentiel de la digestion anaérobie
Le traitement de déchets par méthanisation remonte à la fin du 19e siècle en Inde. Historiquement, les fermenteurs méthanogènes étaient plutôt destinés à traiter des effluents liquides et le développement de procédés pour le traitement de solides et de déchets secs ne date que des années 1980 (Gijzen, 2002). La variété des matériaux pouvant produire du biogaz par digestion anaérobie1 confère à la fermentation méthanogène une place unique dans le système de production de bioénergies, puisqu’elle permet la valorisation énergétique de déchets. Comparée à la combustion ou à la gazéification, la méthanisation de la fraction organique des déchets urbains et ménagers permet de récupérer plus d’énergie (Murphy et McKeogh, 2004). Elle présente aussi 1 boues de stations d’épuration, effluents des IAA et des industries papetières et chimiques, fraction organique des déchets ménagers et urbains. 7 de nombreux avantages par rapport aux autres techniques de traitement des eaux usées et de déchets comme par exemple la digestion aérobie et les procédés à boues activées : • traitement d’effluents fortement concentrés en substrats difficilement dégradables, • dégradation des germes pathogènes qui se retrouvent sous forme concentrée dans les boues de station d’épuration (STEP), • faibles besoins énergétiques en comparaison de la digestion aérobie où l’apport d’oxygène pour la croissance des bactéries est énergivore, • production réduite de boues dont le devenir est un des soucis majeurs pour les procédés à boues activées, • production d’énergie via la valorisation du biogaz. La fermentation méthanogène apparaît être une meilleure solution que les procédés à boues activées en terme de bilan énergétique, ce qui encourage son utilisation pour le traitement de rejets fortement concentrés. Autre atout non négligeable, la digestion anaérobie permet la stabilisation des déchets organiques sous forme d’un digestat qui possède un fort pouvoir fertilisant. Malgré une faible valorisation du gisement exploitable, il existe une véritable volonté de développer le biogaz en Europe. La rentabilité du traitement de la fraction solide des déchets urbains et ménagers explique l’accroissement du nombre d’unités de méthanisation (figure 2). Murphy et McKeogh (2004) ont étudié la rentabilité de différentes voies de valorisation des déchets ménagers : incinération, gazéification, méthanisation. Ces auteurs ont montré que la méthanisation de la fraction organique des déchets urbains pour produire du biogaz véhicule était la solution la plus rentable, mais également la plus bénéfique pour l’environnement.
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