Cycline G, contrôle de la transcription et stabilité du
développement
Bases génétiques de la stabilité du développement
Les bases génétiques de la stabilité du développement sont mal connues. Des recherches de « Quantitative Trait Loci » chez la souris (analyse des dents, de la mandibule et du crâne) mettent en évidence une base génétique épistatique de l’AF (Leamy et al., 2002 ; Leamy et al., 2005 ; Burgio et al., 2009). Deux études récentes ont identifié des régions génomiques impliquées dans la stabilité du développement chez la Drosophile (Breuker et al., 2006 ; Takahashi et al., 2011). Breuker et al. ont étudié 115 lignées isogéniques de drosophiles porteuses de délétions (issues de la collection Exelixis) (Breuker et al., 2006). En appliquant la méthode de morphométrie géométrique à l’aile, ils ont montré que l’AF varie entre les génotypes, démontrant que la variabilité de taille et de forme de l’aile a une base génétique. Cependant, l’étude n’a pas été poussée jusqu’à identifier les gènes présents dans les déficiences qui modifient (augmentent ou suppriment) l’AF. Takahashi et al. ont également étudié des lignées isogéniques porteuses de délétions (issues de la collection DrosDel) (Ryder et al., 2004). Ils ont analysé 435 souches recouvrant environ 65% du génome et ont ainsi identifié 89 déficiences qui affectent l’AF de forme de l’aile et 5 déficiences qui affectent l’AF des soies, alors qu’aucune déficience n’affecte l’AF de taille des ailes. De façon intéressante, certaines régions génomiques identifiées par Takahashi et ses collaborateurs contiennent un ou plusieurs gènes qui sembleraient être impliqués dans la morphogenèse de l’aile (tableau 1). En effet, ces régions comprennent 17 gènes spécifiquement exprimés dans le disque d’aile (tableau1) (Butler et al., 2003) et 221 gènes dont l’expression varie au cours de la morphogenèse de l’aile (Ren et al., 2005). Ces études ont permis d’identifier plusieurs régions génomiques ayant un effet sur l’AF de taille et de forme de l’aile soulignant la complexité du déterminisme génétique de la stabilité du développement.D’autres travaux suggèrent un rôle individuel de certains gènes sur l’AF, comme le gène rbcl, homologue de Notch, chez Lucilia cuprina. L’action de Rbcl sur l’AF a été mise en évidence dans le cadre d’une étude sur la résistance de la mouche Lucilia cuprina à l’insecticide Diazinon très utilisé entre 1958 et 1980. En 1980, plus de 90% des mouches présentaient le gène de résistance Rop-1 au Diazinon. Les mouches résistantes à cet insecticide présentaient également une augmentation de l’asymétrie du nombre de soies sur la tête. Une étude visant à étudier le phénotype d’asymétrie lié à la présence du gène de résistance Rop-1 montre que le gène rbcl aurait été sélectionné spécifiquement à la même période. Rbcl modifierait l’AF en interagissant avec le gène Rop1. (Batterham et al., 1996). Des études réalisées chez Drosophila melanogaster et chez Arabidopsis thaliana suggèrent que des protéines chaperonnes, comme HSP90, tamponneraient les variations morphologiques (Rutherford et Lindquist, 1998 ; Queitch et al., 2002). Le gène codant la protéine de choc thermique HSP90, Hsp83, a été testé pour ses effets sur l’AF des ailes chez Drosophila melanogaster (Debat et al., 2006). L’analyse a été réalisée dans trois contextes expérimentaux différents : 1) en inhibant spécifiquement HSP90 avec la Geldanamycin (ajoutée au milieu), 2) en contexte mutant pour Hsp83 (deux chromosome III porteurs de différents allèles mutants différents de Hsp83 ont été introduits dans 9 fonds génétiques différents), 3) en introgressant une de ces mutations d’Hsp83 dans ces mêmes 9 fonds génétiques (le reste du chromosome III est alors celui de chaque fond génétique). Seule la 3ème expérience montre une augmentation significative de l’AF en contexte mutant pour Hsp83, et ceci, dans les 9 contextes génétiques testés, les auteurs concluent à une contribution de Hsp83 à la stabilité du développement. Chez la drosophile, trois gènes importants pour le contrôle de la croissance semblent également impliqués dans la stabilité du développement : Le gène pro-apoptotique hid est un acteur indispensable de la compétition cellulaire, un processus qui contribue à la croissance et à l’homéostasie des tissus (De la Cova et al., 2004). La compétition cellulaire est activée lorsque deux cellules voisines ont des « fitness » différents. La cellule la plus « forte » ou cellule gagnante 21 enverrait un signal qui causerait la mort de sa voisine plus « faible » ou cellule perdante. Ce mécanisme fait intervenir différentes voies de signalisation comme les voies BMP (Bone Morphogenetic Protein), JNK (Jun kinase) et Hippo, ainsi que plusieurs facteurs comme le proto-oncogène Myc. Le gène hid est l’effecteur de la mort des cellules perdantes (De la Cova et al., 2004). Les mutants hid (combinaison d’un allèle hypomorphe de hid et d’une petite déficience contenant les gènes proapoptotiques hid, reaper et grim) présentent une AF des ailes beaucoup plus élevée que les mouches sauvages. Ceci suggère qu’hid est impliqué dans la stabilité du développement (figure 2) (Neto et al., 2009).
La chromatine et les mécanismes épigénétiques
Epigénétique
C’est en 1942 que l’embryologiste et généticien Conrad H. Waddington propose le terme « épigénétique » en associant les mots « épigénèse » et « génétique ». Il s’inspire de la théorie selon laquelle un embryon se développe par différenciation progressive des organes. Souhaitant lier la génétique et l’embryologie, Waddington décrit l’épigénétique comme l’ensemble des mécanismes permettant à partir d’un génotype d’engendrer un phénotype. De nos jours, la définition la plus couramment admise est « l’étude des changements de l’expression des gènes, transmissibles pendant la mitose et/ou la méiose, n’impliquant aucune modification de la séquence nucléotidique de l’ADN » (Riggs et al., 1996). L’hérédité est donc centrale. Comme le montre la figure 6, le paysage épigénétique de Waddington dépeint le contrôle épigénétique du développement (Waddington, 1957).
Mémoire épigénétique
On appelle mémoire épigénétique, le maintien de l’état transcriptionnel des gènes au cours des mitoses et/ou des méioses en l’absence des facteurs inducteurs. La mémoire épigénétique a été mise en évidence chez Drosophila melanogaster lors de l’étude de la régulation de l’expression des gènes homéotiques. Les gènes homéotiques déterminent le plan d’organisation du corps selon l’axe antéropostérieur. Chez la drosophile, les gènes homéotiques (gènes Hox) s’organisent en deux complexes Antennapedia (ANT-C) et Bithorax (BX-C) (McGinnis et Krumlauf, 1992). Comme le montre la figure 7 le complexe ANT-C contient cinq gènes (lab, pb, Dfd, Scr et Antp) responsables de l’identité de la tête et des deux premiers segments thoraciques. Le complexe BX-C est formé de trois gènes (Ubx, Abd-A et Abd-B) responsables de l’identité du 3ème segment thoracique et des segments abdominaux. L’expression des gènes le long de l’axe antéro-postérieur suit leur position le long du chromosome (règle de colinéarité). En général, une perte de fonction d’un de ces gènes entraîne la transformation d’un segment vers un segment plus antérieur. Inversement, un gain de fonction entraîne la transformation d’un segment vers un segment plus postérieur. Ces transformations sont dites homéotiques. Le profil d’expression des gènes Hox est initié par des facteurs de transcription précoces codés par les gènes de segmentation. L’expression de ces facteurs est transitoire et s’arrête après la gastrulation. Le profil d’expression (activé ou réprimé) des gènes homéotiques est maintenu au cours du développement, un mécanisme appelé mémoire épigénétique. Il fait intervenir les protéines Polycomb (PcG) et Trithorax (TrxG). Ces proteines PcG et TrxG forment des complexes qui se lient à la chromatine et maintiennent respectivement l’état réprimé ou activé des gènes.
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