La souffrance psychique en lien avec le travail vue en consultation de médecine générale

La souffrance psychique en lien avec le travail vue en consultation de médecine générale

Le travail a connu au cours des dernières décennies de profondes transformations avec notamment l’apparition de nouvelles technologies (informatisation, automatisation …) qui ont réduit la pénibilité physique du travail et modifié son organisation, et l’émergence de nouveaux modes de gestion caractérisés par la recherche du rendement optimal. Ceci s’est accompagné d’une intensification du travail (complexité grandissante des tâches, suppression des temps morts, pression managériale, surveillance du travail …) et des contraintes psychosociales (Stansfeld and Candy, 2006; Vézina, 2008; Malard et al., 2015; Begue et al., 2016). Ces transformations du travail ont souvent été analysées pour les bienfaits économiques qu’elles procurent aux entreprises dans un marché mondialisé. Toutefois, plusieurs études ont montré qu’elles engendrent aussi des effets néfastes sur la santé, notamment en termes de problèmes de santé mentale, de lésions musculo-squelettiques et de maladies cardiovasculaires (Nasse and Légeron, 2008; Vézina, 2008). Ces effets néfastes entraînent des coûts économiques et sociaux, dont notamment ceux liés à l’utilisation des services de santé, aux indemnités pour des incapacités permanentes, à l’augmentation de l’absentéisme au travail pour des problèmes de santé ou aux difficultés de réinsertion professionnelle entraînant des conditions de vie souvent précaires. 

 Troubles mentaux et travail

Durant ces dernières décennies, la relation entre travail et santé et notamment la santé mentale a été fortement étudiée. Dans cette partie nous essaierons de répondre à la question qui est de savoir si le travail est bon pour la santé et le bien-être de l’individu ? Nous nous intéresseront également à l’importance des troubles mentaux et du lien avec le travail.

Travail et bien-être

Dans nos civilisations, la notion de travail est une valeur centrale. Outre le fait que le travail permet aux personnes de subvenir à leurs besoins, il est aussi un outil de développement et 16 d’accomplissement personnel. En effet il permet de créer et de maintenir le lien social en intégrant l’individu dans une communauté et dans la société et lui permet ainsi de trouver sa place, de se rendre utile et de gagner en reconnaissance (Greenhill, 1958). De plus, le travail donne la possibilité de développer et de maintenir les compétences intellectuelles de l’individu. La réalisation d’une tâche dans son travail apporte également un sentiment de satisfaction au travailleur (Spector, 1997; Lu et al., 2012). Ainsi il existe des arguments économiques, sociaux et moraux qui montrent qu’en général la manière la plus efficace pour améliorer son bien-être, celui de sa famille ou d’une communauté est le travail (Erikson, 1950; Huppert and Whittington, 2003). Par ailleurs, la perte ou l’absence prolongée de travail, peu importe la cause, peut avoir des conséquences néfastes sur la santé physique et mentale (Waddell et al., 2007; Herbig et al., 2013). Une revue de la littérature a montré que l’absence prolongée de travail multipliait par deux le risque de maladie mentale (surtout anxiété et dépression) par rapport aux personnes en activité. D’autres pathologies comme l’asthme, le diabète, certains cancers ou des maladies cardiovasculaires ont rapporté un risque plus élevé chez ces personnes (Herbig et al., 2013). Il est reconnu que les travailleurs ont un taux de morbidité et de mortalité plus faible que la population générale. Ceci est désigné par le terme « effet du travailleur sain » qui fut initialement décrit dans la littérature par McMichael (McMichael, 1976; Waddell et al., 2007). Ceci est expliqué par le fait qu’une personne doit être en assez bonne santé afin de pouvoir faire partie de la population active occupée. Ainsi les taux de morbidité et mortalité dans cette population sont plus faibles que dans la population générale. Cependant, malgré ce phénomène, certaines professions, secteurs d’activités ou conditions de travail peuvent avoir des effets globalement néfastes sur la santé (Li and Sung, 1999). 

Travail et mal être

Malgré le fait que le travail en règle générale permet d’améliorer ou de se maintenir en bonne santé, il peut également engendrer des risques de blessures, de maladies ou encore de mort. Outre les risques professionnels exposant le travailleur à des contraintes physiques (port de charge lourdes, postures pénibles, etc.) ou chimique (contact avec des produits divers, exposition aux radiations, etc.), le travail 17 peut être une composante de problèmes de santé multifactoriels comme un mode de vie malsain, des troubles psychologiques ou encore des maladies chroniques. Non seulement le travail peut être néfaste pour la santé mais l’inverse est vrai, les personnes en mauvaise santé sont moins productives au travail (McLellan, 2017). 

 Troubles mentaux liés au travail

Dans la plupart des pays industrialisés les troubles mentaux sont maintenant la première cause d’arrêt de travail et d’incapacité de travail au long terme devant les troubles musculo squelettiques (TMS) (Hulshof, 2009). La majorité des troubles mentaux chez les travailleurs sont des troubles psychiatriques communs comme les troubles anxieux ou dépressifs (Harvey et al., 2017). On retrouve également les conduites addictives (alcool, drogues et médicaments) mais aussi les comportements suicidaires incluant les pensées suicidaires, les tentatives de suicide et le suicide (Head et al., 2004; Marchand et al., 2011; Loerbroks et al., 2016; Milner et al., 2017a). Nous présenterons dans un chapitre ultérieur les données existantes sur leur prévalence. D’un point de vue empirique, plusieurs instruments ont été développés et validés pour mesurer les troubles mentaux, les plus fréquemment utilisés sont : le Composite International Diagnostic Interview (CIDI) (Robins et al., 1988); le Mini International Neuropsychiatric Interview (MINI) (Sheehan et al., 1998); le General Health Questionnaire (GHQ) (Goldberg and Blackwell, 1970) ou encore le CAGE (Cutting Down, Annoyance by cristicism, Guilty feeling, Eye-openers) pour la mesure de la consommation d’alcool (Mayfield et al., 1974). Ces différents outils renvoient à des diagnostics compatibles avec les classifications qui sont les plus utilisées dans le domaine de la santé mentale : la Classification Internationale des Maladies (CIM) et le Diagnostic and Statistical Manuel of mental disorders (DSM) (WHO, 2008; American Psychiatric Association, 2013). L’apparition d’une souffrance psychique au travail est due à des mécanismes complexes et est souvent multifactorielle, la dimension du travail peut affecter le travailleur en raison de problèmes organisationnels, d’absence d’évolution professionnelle ou encore de déséquilibre entre les efforts et 18 récompenses cela étant dépendant du niveau de tolérance de l’individu (Derriennic and Vézina, 2001). Le lien avec le travail est difficile à aborder car jugé trop subjectif, l’OMS a défini les « maladies en lien avec le travail » comme des « maladies multifactorielles qui peuvent être liées au travail, mais qui peuvent aussi se produire en population générale. Elles peuvent être en partie causées par des conditions de travail défavorables, accélérées, aggravées ou exacerbées par des expositions sur le lieu de travail, ou elles peuvent détériorer les capacités de travail » (WHO, 1985). On ne peut pas parler de causalité, la littérature existante repose essentiellement sur des études transversales ne permettant pas de définir le sens de la relation. 

Altération des capacités de travail du fait des troubles mentaux 

Le travail peut entrainerl’apparition de troubles mentaux mais l’inverse est également vrai : la capacité de travail peut être altérée du fait de la présence de troubles mentaux. Dans la littérature, le terme présentéisme est décrit comme une situation où l’employé est symptomatique et a une capacité de travail réduite mais il demeure en activité (Cooper and Dewe, 2008). Les troubles mentaux peuvent se développer sans que l’employé réalise à quel point il est malade, ainsi l’individu vit une situation de mépris vis-à-vis de ses collègues et de réprimandes par ses managers en raison de sa baisse de productivité (Henderson et al., 2011). Il a été estimé que cette baisse de productivité était à l’origine de 60 % du coût des troubles mentaux au travail (Health., 2007). Elle peut être expliquée par la fatigue qui serait un des éléments les plus nocifs sur le lieu de travail (Harvey et al., 2009). D’autres études ont souligné le rôle des dysfonctionnements cognitifs (Henderson et al., 2011). A peu près la moitié des personnes souffrantes de troubles mentaux ont une détérioration de leur situation de travail qui mène à l’exclusion sociale, la perte de confiance et des difficultés financières. Ces altérations de la situation de travail peuvent ainsi engendrer des arrêts maladies de courte durée dans un premier temps puis au long terme et dans certaines situations elles peuvent même mener au licenciement (Henderson et al., 2011; Milligan-Saville et al., 2017; Harkko et al., 2018). 1

Prévalence des troubles mentaux en lien avec le travail 

Population générale 

Afin d’évaluerla prévalence des troubles mentaux, des études en population générale chez des adultes en âge de travailler ont été régulièrement réalisées. Le statut par rapport à l’emploi n’était toutefois pas vérifié par ces différentes études (en activité, au chômage, autre) et donc elles ne réalisent qu’une approximation des prévalences des troubles mentaux en lien avec le travail. Une méta-analyse chez des adultes en âge de travailler comprenant 174 études venant de 63 pays différents a montré une prévalence de 17,6% pour les troubles mentaux fréquents sur une période d’un an, la prévalence vie entière était de 29,2% (Steel et al., 2014). Ces prévalences varient en fonction de la région dans le monde, la méta-analyse de Steel et al a retrouvé des prévalences plus faibles dans les pays du Nord et d’Asie du Sud-Est et des taux plus élevés dans les pays de langue anglaise. En Europe, l’étude ESEMeD réalisée auprès de plus de 21 000 sujets en âge de travailler a rapporté une prévalence de troubles mentaux au cours des 12 derniers mois de 11,5% et de 25,9% vie entière (Alonso and Lepine, 2007). Au Japon, une étude réalisée auprès de plus de 4 000 foyers a mis en évidence une prévalence des troubles mentaux fréquents de 7,6% au cours des 12 derniers mois et de 20,6% vie entière (Ishikawa et al., 2016). Les troubles les plus souvent rapportés sont les épisodes dépressifs majeurs (EDM), les troubles anxieux généralisés (TAG) et l’abus/dépendance à l’alcool. En population générale, les données montrent des prévalences annuelles des EDM allant de 2 à 9%, de 3 à 7% pour les TAG et de 1 à 7% pour l’alcool avec des prévalences plus élevées chez les femmes pour les EDM et les TAG et plus élevées chez les hommes pour l’alcool (Alonso and Lepine, 2007; Cohidon et al., 2009; Kessler et al., 2012; Steel et al., 2014; Ishikawa et al., 2016). Une revue de la littérature sur la prévalence des troubles anxieux a montré que les habitants des pays avec une culture européenne ou anglo-saxonne avaient des niveaux de prévalence plus élevés (Remes et al., 2016). En France peu d’études ont permis d’évaluer la prévalence des troubles mentaux en population générale et les données existantes ne sont pas mises à jour régulièrement. Les données issues de 20 l’étude ESEMeD qui date maintenant de plus de 15 ans, ont mis en évidence une prévalence des troubles mentaux au cours des 12 derniers mois de 18,4% ce qui représente un des niveaux les plus élevés par rapport aux autres pays européens ((Belgique, France, Espagne, Allemagne, Italie, Pays-Bas et Espagne) (Demyttenaere et al., 2004). L’étude SMPG réalisée auprès de plus de 36 000 français(es) de plus de 18 ans a rapporté des prévalences chez les hommes et les femmes de 17/26% pour les TAG, de 11/16% pour les TDM et 7/1,5% pour les problèmes d’alcool. La moitié des individus ayant été repérés avec un trouble mental déclaraient que cela impactait leur travail (Cohidon et al., 2009).

Table des matières

1 Introduction
1.1 Troubles mentaux et travail
1.1.1 Travail et bien-être
1.1.2 Travail et mal être
1.1.2.1 Troubles mentaux liés au travail
1.1.2.2 Altération des capacités de travail du fait des troubles mentaux.
1.1.3 Prévalence des troubles mentaux en lien avec le travail
1.1.3.1 Population générale
1.1.3.2 Population de travailleurs
1.1.3.3 Médecine générale
1.2 Les caractéristiques du travail associées aux troubles mentaux
1.2.1 Facteurs psychosociaux au travail
1.2.1.1 Facteurs « classiques »
1.2.1.2 Facteurs « émergents »
1.2.2 Autres facteurs du travail
1.3 Prise en charge des troubles mentaux en lien avec le travail
1.3.1 Intervention et acteurs impliqués en milieu professionnel
1.3.1.1 Acteurs.
1.3.1.2 Interventions
1.3.1.3 Place du médecin généraliste
1.3.2 Type de traitement en médecine générale
1.3.3 Organisation
1.4 Objectifs de la thèse.
2 Méthode
2.1 Contexte de l’étude Héraclès
2.2 Mise en place du projet d’étude
2.3 Type d’étude
2.4 Population d’étude
2.4.1 Justification des effectifs.
2.4.2 Sélection des médecins généralistes
2.4.3 Sélection des sujets
2.4.4 Définition des cas de souffrance psychique en lien avec le travail
2.4.5 Modalités d’inclusion des patients
2.5 Données recueillies
2.5.1 Données relatives aux médecins participants.
2.5.2 Données relatives aux patients
2.5.2.1 Troubles mentaux des patients
2.5.2.2 Lien entre troubles mentaux et le travail 51
2.5.2.3 Caractéristiques du travail 51
2.5.2.4 Caractéristiques des patients 53
2.5.2.5 Caractéristiques de la prise en charge des patients 55
2.5.2.6 Données contextuelles
2.6 Mode de recueil et de traitement des données
2.6.1 Support d’étude
2.6.2 Suivi des inclusions
2.6.3 Retour des classeurs d’étude
2.6.4 Saisie des données et nettoyage de la base de données
3 Analyses Statistiques
3.1 Description de la population d’étude
3.2 Prévalence de la souffrance psychique liée au travail en médecine générale
3.3 Analyse des facteurs psychosociaux au travail associés à la souffrance psychique .
4 Rôle de l’étudiant dans l’étude .
5 Résultats
5.1 Participation
5.2 Description de l’échantillon.
5.2.1 Les médecins généralistes
5.2.2 Les patients
5.3 Article prévalence
5.3.1 Souffrance psychique objectivée par le MINI
5.3.2 Prévalence de la souffrance psychique diagnostiquée par les médecins et de la souffrance psychique ressentie par le patient
5.3.3 Association entre la souffrance psychique en lien avec le travail et les caractéristiques
des patients et des médecins
5.3.4 Relation entre les différents types troubles mentaux.
5.4 Articles facteur de risque
5.4.1 Troubles mentaux (EDM/TAG et abus d’alcool)
5.4.2 Suicidalité
6 Discussion
6.1 Principaux résultats
6.2 Comparaison avec la littérature
6.2.1 Prévalence
6.2.2 Facteurs associés au travail
6.2.3 Suicidalité
6.3 Forces et limites
6.3.1 Limites
6.3.2 Forces de l’étude
6.4 Conclusion
Références
Table des annexes

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