Cohérence, brouillage et dynamique de phase dans un condensat de fermions appariés
Brouillage de phase à température nulle
Ce chapitre introductif entend permettre une première compréhension intuitive du brouillage de phase dans un gaz de paires de fermions, à partir d’une situation expérimentale concrète, et à température nulle. La séquence que nous imaginons est la suivante : (i) Un gaz de N fermions répartis à proportions égales dans deux états internes notés ↑ et ↓ est préparé sous forme de dimères bosoniques ↑ / ↓ dans le mode fondamental φ0 d’un puits simple et avec des interactions négligeables. (ii) Une barrière de potentiel sépare le gaz en deux sous-systèmes a et b, cohérents entre eux et piégés dans des puits symétriques l’un de l’autre ; nous appelons aˆ (respectivement ˆb) l’opérateur d’annihilation d’un dimère dans le mode fondamental du puits a (respectivement b). Au cours de la séparation, nous supposons que le couplage tunnel et la variation adiabatique du potentiel de piégeage assurent que le gaz demeure dans son état fondamental, où chaque dimère est dans la superposition (ˆa † + ˆb † )|0i/ √ 2, |ψi = 1 p (N/2)! aˆ † + ˆb † √ 2 !N/2 |0i = X N/2 na=0 cna |na : φ0a; N/2 − na : φ0bi, (I.1) avec ici cna = 2−N/4
Brouillage thermique
Le but de cette thèse est d’aller au-delà du raisonnement présenté en introduction, qui nous laisse insatisfaits car il ne permet pas de décrire les effets de la température sauf dans le cas non physique d’un système intégrable (cf. annexe A). Venir à bout du cas thermique requiert une compréhension plus en profondeur du phénomène de brouillage, et en particulier, d’adopter une description microscopique de la dynamique du gaz au cours de son évolution libre. Pour cela, la première étape est de lier le brouillage du gaz à la dynamique de l’opérateur phase du condensat de paires, opérateur dont nous commençons par donner la définition. Comme nous le verrons dans la suite de ce travail, il est commode de discrétiser l’espace en un réseau cubique de pas l afin de pouvoir modéliser l’interaction entre les deux états de spin ↑ et ↓ par un potentiel δ de Kronecker sur site, d’une façon donc exempte de divergence ultraviolette.
Mode et phase d’un condensat de paires de fermions
Cette première partie entend donner une définition claire et rigoureuse de l’opérateur phase du condensat de paires dont nous aurons besoin tout au long de cette thèse. Pour commencer, nous supposons qu’à température nulle il existe un et un seul condensat peuplé par un nombre macroscopique de paires. Plus précisément, nous disons que dans l’état fondamental du gaz, la matrice densité à deux corps ρ2 possède un et un seul mode propre macroscopiquement peuplé. Nous appelons ce mode le mode du condensat, nous le notons ϕ0(r1, r2) et nous le choisissons normalisé à l’unité l 6 X r1,r2 |ϕ0(r1, r2)| 2 = 1. (II.1) Comme le gaz polarisé n’a pas de cohérence du premier ordre entre ↑ et ↓, le mode du condensat s’obtient en résolvant l’équation aux valeurs propres : l 6 X r 0 1 ,r 0 2 ρ2(r1, r2; r 0 1 , r 0 2 )ϕ0(r 0 1 , r 0 2 ) = N¯ 0ϕ0(r1, r2) (II.2) où ρ2 est la matrice densité dans l’espace réel à deux fermions de spins opposés ρ2(r1, r2; r 0 1 , r 0 2 ) = hψˆ† ↑ (r 0 1 )ψˆ† ↓ (r 0 2 )ψˆ ↓(r2)ψˆ ↑(r1)i0 (II.3) 24 et la moyenne h. . .i0 est prise dans l’état fondamental du système. Le choix de définir le mode du condensat à température nulle, plutôt que dans un état thermique sera une constante dans toute cette thèse où nous développerons plusieurs théorie en puissances de faibles déviations autour de l’état fondamental ; cela suppose bien sûr d’être à température suffisamment faible. Le nombre moyen de paires condensées N¯ 0, valeur propre apparaissant dans l’équation (II.2), est une fraction non nulle à la limite thermodynamique du nombre total N/2 de paires de fermions. L’amplitude aˆ0 du champ de paires dans le mode du condensat s’obtient par projection sur ϕ0 : aˆ0 ≡ l 6 X r1,r2 ϕ ∗ 0 (r1, r2)ψˆ ↓(r2)ψˆ ↑(r1). (II.4) La phase du condensat est la phase de cette amplitude : e −iθˆ 0 = 1 p Nˆ 0 aˆ † 0 , (II.5) où Nˆ 0 = ˆa † 0aˆ0 est l’opérateur nombre de paires condensées. La décomposition (II.5) de l’amplitude du condensat aˆ0 en un module p Nˆ 0 et une phase ˆθ0 supposée hermitienne est légitime à condition (i) l’on puisse considérer que l’opérateur Nˆ 0 est inversible, c’est-à-dire exclure la possibilité que le condensat soit vide, ce qui est légitime si la température est faible devant la température critique et (ii) que l’opérateur e iθˆ 0 soit unitaire comme le suggère son écriture. Il faut donc nous assurer que aˆ0 1 Nˆ 0 aˆ † 0 = 1 p Nˆ 0 aˆ † 0aˆ0 1 p Nˆ 0 = 1 (II.6) La seconde égalité est évidente. La première en revanche nécessite quelques manipulations. Nous utilisons l’égalité 1 + 1 Nˆ 0 [ˆa0, aˆ † 0 ] aˆ0 1 Nˆ 0 aˆ † 0 = 1 + 1 Nˆ 0 [ˆa0, aˆ † 0 ] (II.7) qui s’obtient par simple développement des commutateurs. Si l’opérateur aˆ0 était bosonique, [ˆa0, aˆ † 0 ] = 1, l’opérateur 1 + 1 Nˆ0 [ˆa0, aˆ † 0 ] serait suffisamment proche de l’identité à la limite des grands N0 pour être inversible, ce qui prouverait l’égalité manquante dans (II.6). Mais étant un opérateur de paires de fermions, aˆ0 ne peut être exactement bosonique [ˆa0, aˆ † 0 ] = 1 − l 9 X r1,r2,r 0 1 ϕ ∗ 0 (r1, r2)ϕ0(r 0 1 , r2)ψˆ† ↑ (r 0 1 )ψˆ ↑(r1) − l 9 X r1,r 0 1 ,r2 ϕ ∗ 0 (r1, r2)ϕ0(r1, r 0 2 )ψˆ† ↓ (r 0 2 )ψˆ ↓(r2), (II.8) et pour la même raison, ˆθ0 et Nˆ 0 ne peuvent être des variables canoniquement conjuguées. Néanmoins, en supposant que le gaz ne contienne pas de cohérence à longue portée à un corps 1 , il demeure vrai que les éléments de matrice du commutateur [ˆa0, aˆ † 0 ] sont d’ordre unité comme le montre l’expression (II.8), et donc que l’opérateur entre parenthèses dans l’équation (II.7) est inversible. 1. Nous excluons donc les états dans lesquels les fonctions hψˆ† ↑ (r 0 1 )ψˆ ↑(r1)i et hψˆ† ↓ (r 0 2 )ψˆ ↓(r2)i ne sont pas à décroissance rapide en fonction respectivement de r 0 1 − r1 et r 0 2 − r2.
Illustration par la théorie variationnelle de Hartree-Fock-Bogolioubov
Illustrons maintenant notre définition générale de ˆθ0 en prenant pour état fondamental approché celui, |ψ0i, de la théorie variationelle (cf. chapitre VI). Cet état étant gaussien, on peut appliquer le théorème de Wick pour calculer ρ2 : ρ2(r1, r2; r 0 1 , r 0 2 ) = hψ0|ψˆ† ↑ (r 0 1 ) ψˆ† ↓ (r 0 2 )|ψ0ihψ0|ψˆ ↓ (r2) ψˆ ↑ (r1)|ψ0i + hψ0|ψˆ† ↑ (r 0 1 ) ψˆ ↑ (r1)|ψ0ihψ0|ψˆ† ↓ (r 0 2 ) ψˆ ↓ (r2)|ψ0i. (II.9) Dans |ψ0i les fonctions de cohérence à un corps tendent vers zéro pour des valeurs typiques de ||r1 −r 0 1 || et ||r2 −r 0 2 || de l’ordre de la taille d’une paire 2 . À la limite thermodynamique, leur contribution à l’intégrale dans (II.2) est donc négligeable. Les opérateurs tels que ψˆ† ↑ (r)ψˆ ↓(r 0 ), qui changent la polarisation du gaz, ont eux une valeur moyenne nulle dans |ψ0i, qui décrit un gaz non polarisé. On obtient alors le vecteur propre macroscopique de ρ2 en posant ϕ HFB 0 (r1, r2) = hψ0|ψˆ ↓ (r2) ψˆ ↑ (r1)|ψ0i p N¯ HFB 0 (II.11) où N¯ HFB 0 est le nombre moyen de paires condensées prédit par la théorie variationnelle : N¯ HFB 0 = l 6 X r1,r2 |hψ0|ψˆ ↓ (r2) ψˆ ↑ (r1)|ψ0i|2 . (II.12) L’approximation de Hartree-Fock-Bogolioubov de l’opérateur (II.4) d’annihilation d’une paire dans le condensat s’écrit aˆ HFB 0 = l 6 p N¯ HFB 0 X r1r2 hψ0|ψˆ† ↑ (r1) ψˆ† ↓ (r2)|ψ0iψˆ ↓(r2)ψˆ ↑(r1) (II.13) et la phase associée e −iθˆHFB 0 = l 6 q Nˆ HFB 0 N¯ HFB 0 X r1r2 hψ0|ψˆ ↓(r2)ψˆ ↑(r1)|ψ0iψˆ† ↑ (r1) ψˆ† ↓ (r2) (II.14) où Nˆ HFB 0 =
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