EFFETS DES CONDITIONS DE CRISTALLISATION
SUR LA CONFORMATION DE L’ATPASE-CA2+
Le calcium intracellulaire et sa régulation
Au repos, la cellule maintient une concentration de calcium libre très basse dans le cytoplasme, inférieure à une centaine de nanomoles par litre, alors que la concentration de calcium est presque 10000 fois plus élevée à l’extérieur de la cellule, et sans doute presque autant dans certains compartiments internes de la cellule comme le réticulum endoplasmique ou l’appareil de Golgi. La Figure 1 représente une cellule-type, avec certains des acteurs, qui seront présentés plus loin, de ce contrôle du calcium.De la fertilisation de l’ovocyte au développement de certains cancers en passant par les mécanismes de l’apprentissage, le calcium joue un rôle crucial durant toutes les étapes de la vie d’un organisme (Berridge et al. 2000; Carafoli 2002). Le calcium intervient dans le cadre de la signalisation cellulaire, en jouant un rôle de second messager ubiquitaire, et dans le cadre de mécanismes physiologiques spécifiques à certains tissus, en déclenchant des réponses concertées (activation ou répression de la transcription de certains gènes, libération de neurotransmetteurs, mouvements ciliaires, contraction musculaire …). Dans ces différentes situations, la concentration de Ca2+ dans le cytoplasme cellulaire varie en réponse à un stimulus particulier (que ce soit par entrée de calcium externe ou par mobilisation de calcium interne), et la cellule interprète cette variation en tant que signal physiologique spécifique:l’homéostasie calcique doit donc être régulée de façon extrêmement fine, d’autant plus que la concentration en Ca2+ ne doit rester élevée dans le cytoplasme que de façon transitoire (une concentration de Ca2+ trop élevée pendant trop longtemps peut devenir toxique). Nous décrirons d’abord différents types de signaux calcium. Puis nous présenterons sommairement les différents acteurs du contrôle, de la reconnaissance ou de la modulation de la concentration de Ca2+. Nous discuterons ensuite plus spécifiquement de certains de ces acteurs, les « SERCAs », des ATPases membranaires qui transportent le calcium du cytoplasme vers le réticulum endoplasmique (ou son équivalent dans les tissus musculaires, le réticulum sarcoplasmique). Ces protéines membranaires appartiennent à la famille des « ATPases de type P », responsables notamment du transport actif de nombreux ions à travers les membranes biologiques.
Quelques mots sur les différents types de signaux calcium
La cellule peut engendrer une multitude de réponses physiologiques à une variation de la concentration de calcium (Berridge et al. 2000). Une première explication de cette diversité réside dans le fait que toutes les cellules n’expriment pas les mêmes protéines cibles du calcium : la nature des senseurs et des effecteurs interagissant avec le calcium dans le cytoplasme sont autant de facteurs menant à autant de réponses. Mais ces différentes cibles du calcium peuvent aussi coexister au sein d’une même cellule, chacune étant localisée dans une région spécifique de la cellule (par exemple dans le cas des cellules neuronales), et cette différentiation spatiale est aussi source de diversité. Enfin, une différentiation temporelle du signal est aussi possible : en effet, l’ouverture des canaux calciques puis le transport du calcium vers les citernes intracellulaires ou l’extérieur de la cellule peut aboutir à l’apparition d’oscillations périodiques sur l’ensemble de la cellule, dont la fréquence peut être décodée pour aboutir à une réponse ou une autre. En effet, certaines molécules, comme la protéine kinase II Ca2+/calmoduline-dépendante (CaMKII) ou la protéine kinase C, répondent de façon différente à des fréquences basses ou élevées : il a par exemple été décrit que le facteur de transcription NFκB était activé par des fréquences faibles, alors que le facteur de transcription NFAT était activé par des fréquences plus grandes. Dans le foie, la fréquence des oscillations de la concentration de calcium a également des conséquences sur le métabolisme: l’augmentation de la fréquence des pics de calcium active l’enzyme responsable de la dégradation du glycogène. Le caractère oscillatoire des variations de calcium cellulaire et les mécanismes qui y aboutissent ont été notamment décrits dans le cas des événements dépendant de l’IP3 (inositol triphosphate, un second messager produit par l’hydrolyse d’un phospholipide particulier, en réponse à certaines stimulations cellulaires). On avait initialement considéré que la formation d’IP3 suffisait à induire l’ouverture de canaux à la surface de certains réservoirs intracytoplasmiques de calcium. En réalité, dans beaucoup de cas, l’ouverture du canal récepteur de l’IP3 dépend aussi de façon cruciale de la concentration de calcium libre cytosolique présent au voisinage de ce récepteur. Une certaine concentration de calcium cytosolique « sensibilise » le récepteur à l’IP3 (c’est le phénomène de « CICR » dont on reparlera), et vice versa. A partir d’un certain seuil d’IP3, la libération de calcium en un point a donc tout d’abord un effet explosif. La coexistence de cette boucle de rétroaction positive rapide avec des mécanismes d’inhibition différents et plus lents (rétroaction négative) peut à elle seule engendrer des oscillations. En outre, une libération de calcium en un point peut, via la diffusion du calcium, entraîner l’ouverture de canaux récepteurs à l’IP3 voisins (ou de canaux récepteurs à la Ryanodine, voir plus loin), entraînant une réaction en chaîne se propageant au sein de la cellule: on parle alors de « vague » calcique. D’une certaine manière, un tel mécanisme tel-00011390, version 1 – 16 Jan 2006 3 transforme le cytoplasme de n’importe quelle cellule en un milieu excitable (Berridge 1997). Les avancées techniques en terme de microscopie de fluorescence et d’imagerie cellulaire ont permis de mettre en évidence et de mieux comprendre ces processus complexes (Petersen et al. 2005). Cette vague calcique peut même s’étendre d’une cellule à l’autre par l’intermédiaire des jonctions communicantes, et une telle propagation inter-cellulaire peut avoir des implications physiologiques, par exemple pour la synchronisation du battement des cellules ciliées à la surface de l’épithélium respiratoire ou, dans le foie, pour la sécrétion biliaire et les contractions canaliculaires. Comme pour beaucoup de mécanismes oscillatoires en biologie, les modélisations ont eu un grand rôle pour comprendre l’origine et la nature de ces oscillations (Swillens et al. 1999).
Protéines solubles sensibles au Ca2+ : tampons, senseurs et effecteurs
Si, comme nous l’avons vu précédemment, la cellule est sensible aux variations de concentration de calcium dans le cytoplasme et aussi aux caractéristiques temporelles de ces variations, c’est qu’il existe dans la cellule des protéines, souvent solubles, susceptibles de lier le Ca2+, et dont le fonctionnement va être affecté par le Ca2+ : des senseurs ou des effecteurs du Ca2+; certaines autres protéines ont simplement pour rôle de tamponner la concentration de calcium dans la cellule, un rôle important pour la modulation de l’intensité et de la durée des signaux calcium. Parmi les protéines sensibles au Ca2+, la plupart contiennent des motifs de type « EF-hand » (Kretsinger 1972), et parmi celles-ci certaines sont des enzymes calcium-dépendantes (c’est par exemple le cas de la calpaine et de la calcineurine, protéases ayant un rôle dans l’activation de voies apoptotiques). Au contraire, d’autres protéines ne contiennent pas de motifs EF-hands (ex: gelsoline et annexines). Les protéines de type EF-hand, dont on compte environ 600 membres, exercent leur action en changeant de conformation après fixation de calcium (leur domaines hydrophobes devenant alors plus exposés). Dans les cellules excitables, nous avons mentionné précédemment qu’un même signal calcique peut être interprété différemment selon sa localisation sub-cellulaire. Cette propriété est justement rendue possible par l’existence de protéines tampons, dont l’un des effets est de ralentir la diffusion du signal calcique. Par exemple, la parvalbumine (dont la structure, déterminée par Kretsinger et al. est à l’origine de la caractérisation de la famille de protéines « EF-hand ») et la calbindine jouent ce rôle. Dans les neurones, certaines protéines sont au contraire des « senseurs »: c’est par exemple le cas de la synaptotagmine, senseur pour l’exocytose. Dans le cytoplasme du muscle squelettique, la troponine C inhibe l’interaction actine myosine: cette inhibition est levée quand la troponine C fixe le calcium. Et c’est encore après fixation de Ca2+ que la calmoduline peut stimuler une phosphorylase kinase, qui va activer la glycogénolyse et permettre l’augmentation de la concentration en ATP (Berridge et al. 2000). A l’intérieur des compartiments intracellulaires, par exemple celui délimité par le réticulum endoplasmique, de nombreuses protéines sont également présentes, dont plusieurs lient elles aussi le calcium (par exemple, dans le muscle squelettique, la calséquestrine, la protéine tampon majeure de la lumière du réticulum sarcoplamique de muscle rapide) (Meldolesi and Pozzan 1998). Certaines de ces protéines intra-réticulaires ont, de nouveau, un fonctionnement différent selon la concentration de Ca2+. Ainsi, la concentration de calcium dans la lumière du réticulum endoplasmique influence sûrement le repliement des protéines. Il faut en effet garder à l’esprit que le réticulum est avant tout le lieu de fabrication des tel-00011390, version 1 – 16 Jan 2006 4 protéines, en présence de protéines « chaperonnes » qui permettent un repliement adéquat des protéines synthétisées. Et ces protéines chaperonnes peuvent être sensibles au Ca2+. C’est par exemple le cas de la calréticuline et de la protéine BiP (Meldolesi and Pozzan 1998; Corbett and Michalak 2000).
Protéines membranaires responsables des mouvements de calcium
Certaines protéines mises en jeu dans la régulation de l’homéostasie calcique doivent maintenir ou rétablir des gradients électrochimiques très importants; d’autres doivent être capables de permettre un afflux massif de calcium dans le cytoplasme, en réponse à certains stimuli. Nous discuterons dans un premier temps des différents mécanismes d’augmentation du calcium cytosolique, puis nous décrirons les mécanismes de repompage du Ca2+, du cytoplasme vers l’extérieur de la cellule ou encore vers la lumière des compartiments internes (Berridge et al. 2000). L’ensemble de ces mécanismes et la localisation des différents acteurs de cette régulation sont résumés sur la Figure 1 précédemment montrée.
Protéines impliquées dans les augmentations du calcium cytoplasmique
Ce sont des canaux membranaires qui, en s’ouvrant, permettent l’entrée de quantités importantes de Ca2+ dans le cytoplasme. Dans certains cas, l’augmentation de la concentration cytoplasmique de calcium est la conséquence de l’ouverture de canaux situés à la surface cellulaire. Différents types de canaux peuvent être impliqués. Dans le cas des cellules excitables, ce sont souvent des canaux dits « voltage-dépendants » (VOCs ou Voltage-Operated Channels), sensibles aux variations du potentiel de membrane, qui vont permettre l’entrée de calcium. Les effets d’une telle entrée de calcium dans un neurone peuvent être différents, on l’a dit, selon la localisation de l’augmentation de la concentration de calcium. Au niveau d’une terminaison synaptique, un pic de concentration de calcium peut déclencher l’exocytose de neurotransmetteurs, alors que l’activation de canaux voltage-dépendants situés au niveau du corps cellulaire peut déclencher des cascades de signalisation aboutissant à la régulation de la transcription de certains gènes. Dans le cas de cellules non excitables, une multitude de canaux sont susceptibles d’être activés, permettant une entrée massive de calcium. Ces récepteurs-canaux, sensibles aux neurotransmetteurs (AMPA, nACh …), sont plus généralement appelés ROCs, pour « Receptor-Operated Channels ». De plus, certains canaux de la membrane plasmique sont sensibles à la concentration de calcium dans les compartiments internes : une concentration faible en Ca2+ dans le Réticulum Endoplasmique (RE) conduit à l’ouverture de ces canaux (appelés SOCs, Store-Operated Channels ou CRAC pour Ca2+-Release-Activated Channels), un mécanisme qualifié d’ouverture « capacitative ». Cette communication entre un compartiment interne et un canal de la membrane plasmique n’est pas encore bien comprise. On a longtemps supposé l’existence d’un facteur soluble, baptisé CIF (pour calcium influx factor), dont le rôle serait d’induire l’ouverture de ces canaux quand les compartiments internes se vident (Berridge 1997). Il a aussi été proposé que les compartiments internes et les SOCs soient couplés physiquement (Berridge 1995). Depuis peu, certains soutiennent que les SOCs sont l’équivalent chez les vertébrés des canaux TRP (transient receptor potential) mis en évidence pour la première fois chez la drosophile (Berridge 1997). Les TRP constituent une famille de protéines impliquées dans la réponse à divers stimuli sensoriels, tels que la lumière (la tel-00011390, version 1 – 16 Jan 2006 5 réponse de certains photorécepteurs à la lumière est basée sur une entrée de calcium de type « capacitatif »), les variations de température ou les variations d’osmolarité, et sont impliqués dans de nombreux processus physiologiques tels que l’audition (Corey 2003), la réponse inflammatoire (Li et al. 2002) ou la régulation de la fonction cardiaque (Inoue et al. 2001). Plusieurs de ces canaux TRP sont perméables au Ca2+ (c’est par exemple le cas de certains récepteurs des sous-familles TRP V, TRP M et TRP A) mais leur sélectivité vis à vis du Ca2+ varie, et la plupart sont non spécifiques. L’hypothèse selon laquelle les SOCs seraient des canaux de type TRP n’a toutefois jamais été prouvée, et fait l’objet d’un débat (Clapham 2003). D’autres canaux permettent de faire passer le Ca2+ à travers la membrane plasmique, sans pour autant être sélectifs vis à vis du Ca2+ (Nowycky and Thomas 2002). C’est le cas de certains canaux ouverts sous l’action de stimuli sensoriels tels que des molécules odorantes et la lumière, les canaux sensibles aux nucléotides cycliques (CNGC, cyclic nucleotide-gated channels). D’autres s’ouvrent en réponse à des stimuli physiques, comme les cellules ciliées de l’oreille interne (Ghazi et al. 1998). Dans d’autres cas, la cellule peut aussi mettre en œuvre des mécanismes aboutissant à l’ouverture de canaux situés sur les membranes de compartiments internes riches en calcium, tout particulièrement le réticulum endoplasmique. Par exemple, de nombreux récepteurs localisés à la surface de la membrane plasmique, couplés à de petites protéines G ou ayant eux-même une activité tyrosine kinase, activent des voies de signalisation aboutissant à la formation d’inositol triphosphate (IP3) (Berridge 1993) . En se fixant sur un récepteur-canal (IP3R) situé à la surface du réticulum endoplasmique, cet IP3 induit un changement de conformation du récepteur, l’ouverture du canal et la libération de calcium contenu dans le réticulum. D’autres récepteurs localisés à la surface du réticulum sont susceptibles de s’ouvrir dans certaines conditions. C’est par exemple le cas du récepteur à la Ryanodine (activé par l’ADP ribose cyclique, son ligand endogène, ou bien, dans le cas du muscle à contraction rapide, par un changement de conformation d’un récepteur voltage-dépendant qui lui fait face, le récepteur à la dihydropyridine, voir plus loin). Les récepteurs à l’IP3 et les récepteurs à la Ryanodine ont des similitudes structurales et fonctionnelles et dérivent vraisemblablement d’un ancêtre commun (Berridge 1993; Taylor and Traynor 1995). Le Ca2+ cytosolique lui-même a des effets sur l’ouverture des récepteurs à l’IP3 et à la Ryanodine, par l’intermédiaire d’un mécanisme de régulation positive appelé CICR (pour « calcium-induced calcium release »). Ce type de réponse est mis en marche dans le cadre de la contraction cardiaque, mais aussi dans le cas des vagues calciques. Au delà du réticulum endoplasmique, d’autres organites intracellulaires sont susceptibles de libérer du Ca2+ dans le cytoplasme. La sortie de calcium à partir des mitochondries se fait par l’intermédiaire des canaux PTP et NCX mitochondriaux (voir plus bas), la sortie de calcium de l’appareil de Golgi se fait via un récepteur à l’IP3; les mouvements de calcium entre cytoplasme et noyau (celui-ci possède des récepteurs à l’IP3 et à la Ryanodine à sa surface) sont sujet à controverse (voir (Santella and Carafoli 1997)).
Chapitre I : Introduction |