L’attitude de l’autorité judiciaire
Nous avons vu comment l’idée du contrôle du détourne ment de pouvoir, lequel constitue l’expression la pIas élevée du contrôle contentieux de la moralité administrative, a été consacrée et mise en reuvre par le juge administratif au cours de la derniere moitié du XIX » siecle. Il convient d’ exa miner, maintenant, les solutions des tribunaux judiciaires intervenues entre I860 et I905. Dans une premiere section, nous formulerons des consi dérations générales sur l’attitude adoptée par les tribunaux de cet ordre, considérations qui seront, d’ailleurs, reprises uItérieurement, pour fail’e l »objet de plus amples dévelop pements, au Titre IH de notreétude. Dans une deuxieme section, nous insisterons sur quelques solutions importantes de la jurisprudence qui nous aideront à fixeI’ le sens de l’orientation du juge judiciaire. Nous savons déjà que les tribunaux de l’ordre judiciaire peuvent être appelés à statuer sur la régularité d’actes admi nistratifs lorsque cette question est incidemment portée devant eux par la voie de l’exception d’illégalité. Sans insister ici SUl’ les particularités de cette exception, nous ne Précisons, tout de suite, que la juri.sprudence judiciaire n’a nullement suivi la marche progressive qui caractérise Ies décisions du Conseil d’Etat. Dans l’ensemble, le juge de l’ ordre judiciaire, ne croyant pas devoir dépa.ss~r le point de vue de la légalité, entendue au sens étroit de ce mot, s’est refusé à donner une interprétation suffisamment large de l’article 471 n° 15 du Code pénal qui lui aurait per mis de contrôler le détournement de pouvoir dans toute la mesure de ses moyens. Aussi, peut-on affirmer que, sauf quelques cas nettement exceptionnels, ou le éaractere flagrant de l’irrégularité de l’acte elevait l’amener à reCOll.
JURISPRUDENCE JUDICIAIRE ET DÉTOURNEMENT DE POGTOIR
Poussant, d’autre part, à l’extrême le respect du principe de la séparation des autorifés administrative et judiciaire, Ja Cour de cassation s’est rarement rendu compte qu’il put sembler contraire à une interprétation rationnelle des prin cipes de justice qu’en matiere pénale, surtout, ou la pléni tu gnages formeIs pour nous démontrer le caractere propre du contrôle contentieux portant SUl’ les buts des décisions administratives, cette attitude réservée de la jurisprudence judiciaire nous prouverait suffisamment que ce que nous appelons le contrôle juridictionnel de la moralité adminis trative ne se confond nullement avec le contrôle de la léga lité proprement dite. TQ.utefois, une atténuation de -cette jurisprudence peut être relevée en maW~re de permissions de voirie, ou la Cour suprême a reconnu au juge le droit de connaltre du vice du Imt de l’acte sans qu’il puisse être prouvé, du reste, qu’elle observée sur ce point Pilr l’auforité judiciaire a amené une divergence de solutions entre la jurisprudence judiciaire et la jurisprudence administrative. de Ia jurisprndence judiciaire ne nous autorise à affirmer, comme on a essayé de le faire, que la Cour de cassation ait vraiment admis Ia faculté pour les tribunaux soumis à son autorité d’appliquer, par eux-mêmes, la théorie du détour nement de pouvoü, dans foute la mesure des moyens dont ils peuvent disposer.
Dans un arrêt du 12 novembre 1887 Cadieu S. 88.J .137, la Cour de cassation, ch. crim., considere comme régulier tion qui éclairent le sens dans lequel le juge judiciaire comprend sa mission : ce sont les décisions qui ont été ren dues dans les affaires relatives àla sortie de sociétés musi cales ouautres ou au jeu d’instruments de musique sur la voie publique. arrêté du maire de conte nir une mesure arbitraire. Mais au lieu de viser également, dans sa formule, soit directement, soit indirectement, Ie but poursuivi par l’acte incriminé, la Cour tranche la ques tion par une argumen tation quclque peu superficielle, en constatant simplement que Ic maire avait fait un usage Iégalement régulier de son droit. 01′, si Ie fait que Ie maire n’avait entouré la réserve d’autorisation d’aucune restricégalité de tous devant la loi, il n’implique pas, par lui-même, Ia régularité eles bufs ayant déterminé I’intervention administrative. Si la Cour suprême avait vou lu épuiser toutes les possibilités d’examen s’offrant au juge de l’exception, elle n’aurait pu, à supposer que la décision pr,ise fut réellement réguliere, se dispenseI’ d’exprimer dans son arrêt, d’une façon plus ou moins appa rente, qu’il n’était pas établi que le maire eut agi dans un but autre que la sauvegarde de I’ordre ou de la tranquillité publics. La Cour s’étant bornée à vérifier la légalité stricte de l’interdiction portée par le maire ne put évidemment.